~~Académie des sciences : ‘A la Recherche du temps’ Le 19 Mai 2015.
Deux interventions ont retenu mon attention. Celle de Stanislas Dehaene : ’Le tempo de la conscience’ et celle de Alain Connes : ’Aléa du quantique et passage du temps’.
Au cours de son intervention, S. Dehaene a relaté que « Le cerveau ne perçoit pas instantanément les évènements du monde extérieur. Il lui faut au moins un tiers de seconde, et souvent bien plus, avant qu’une information sensorielle élémentaire accède à la conscience. Il montre comment, grâce à l’imagerie cérébrale et notamment à la magnéto-encéphalographie, il parvient à suivre toutes les étapes de traitement visuel non conscientes et conscientes dans le cerveau humain. »
Rappelons que cela fait à peu près deux décennies que nous avons connaissance d’une temporalité de l’activité cérébrale, elle a toujours été estimée inférieure à la ½ seconde. Comme le précise Dehaene les moyens techniques exploitables maintenant permettent une compréhension de plus en plus précise de ce qui se passe dans notre cerveau durant ce 1/3 de seconde avant qu’il n’y ait prise de conscience effective à propos d’une image ou encore à propos d’un concept. En effet des neurones conceptuels sont maintenant isolés dans le cerveau.
Mon hypothèse est que cette durée correspondant à la ‘tâche aveugle de la conscience’ ne peut pas être sans conséquence sur l’éveil intellectuel et la vigilance observationnelle du sujet réflexif. En effet nous rencontrons des durées propres limites qui nous rendent aveugles. C’est par exemple le cas autour de 10-21s, 10-22s quand des particules élémentaires (structures résonnantes) ont des durées de vie de cet ordre de grandeur. Nous les appelons des particules virtuelles puisqu’effectivement inobservables mais que l’on peut reconstituer par le calcul à partir de la connaissance des caractéristiques physiques des éléments de leur désintégration. Nous trouvons là une frontière incontournable qui sépare le monde des particules réelles (observables) de celui des particules virtuelles (inobservables).
Cette durée aveugle ne peut pas se résoudre en exploitant des moyens techniques nouveaux quel que soit le détecteur (les plus sensibles et précis sont actuellement en activité au Cern) car ces particules n’ont pas le temps de déposer une trace pour nous perceptible. Elles ont une durée de vie, mais si étroite, que notre acuité observationnelle, intellectuelle (cérébrale ?), ne peut pas enregistrer un signal de leur présence extrêmement fugace et c’est rédhibitoire.
Il me semble qu’il est légitime d’établir une corrélation entre la durée aveugle de la conscience et la durée aveugle de l’intelligence humaine (que je situe autour de 10-25s) et que je nomme le Temps Propre du Sujet (TpS), (Voir article du 2/11/2012). Il serait quand même difficile de postuler que le fonctionnement par intermittence avérée de la conscience du ‘sujet pensant’ conduise à un fonctionnement intellectuel, observationnel, absolument continu du sujet.
Il y a peut-être une piste, dans le futur, pour vérifier le bien-fondé de mon hypothèse : actuellement nous sommes capables techniquement de maîtriser et de mesurer des phénomènes d’une durée de 10-18s (attoseconde), la prochaine étape sera 10-21s, ainsi de suite. Jusqu’à quelle durée pourrons-nous aller ? Réponse dans une dizaine d’années. (En ce qui concernent ‘La passion de la précision et la mesure du temps’ ainsi que ‘La métrologie et la science de l’attoseconde et de l’angström’, voir les leçons 5 et 6 de Serge Haroche du 07 et 14 /04/2015 au Collège de France).
En ce qui concerne l’intervention d’Alain Connes, je suis moins enthousiaste car on pouvait espérer une présentation plus solide. Il a surtout aligné un certain nombre d’affirmations qui lui sont propres, certaines appropriées, certes, mais certaines communément acceptées depuis longtemps, d’autres qui auraient dû être étayées. Ainsi affirmer : « L’aléa quantique est le tic-tac de l’horloge divine (sic) » mérite au minimum que cela soit commenté. La référence au divin est une échappatoire assez habituelle chez les platoniciens. A mon sens ce n’est pas intellectuellement rassurant, surtout quand on prend en compte les affirmations d’un autre platonicien notable : Roger Penrose : « La vérité mathématique est quelque chose qui va au-delà du simple formalisme. Il y a quelque chose d’absolu et de « divin » dans la vérité mathématique. C’est ce dont il est question dans le platonisme mathématique. […] La vérité mathématique réelle va au-delà des constructions fabriquées par l’homme. »
En conséquence, Penrose n’hésite pas à prétendre : « Non seulement j’affirme que nous avons besoin d’une physique nouvelle, mais aussi que celle-ci doit s’appliquer à l’action du cerveau (sic). » et on peut considérer que son programme de recherches comprend les trois thèses suivantes : 1- l’activité du mental peut être abordée de manière scientifique ;
2- les idées de la mécanique quantique sont pertinentes pour le problème des relations du corps et de l’esprit ;
3- le problème de l’actualisation des potentialités en mécanique quantique est un vrai problème, qui ne peut être résolu sans modifier le formalisme de la théorie.
On aboutit donc à une situation extrêmement paradoxale, plus R. Penrose situe dans les altitudes inaccessibles et divines les vérités mathématiques platoniciennes plus l’être humain et ses facultés cognitives, seraient réductibles aux schémas de son physicalisme. (Physicalisme : doctrine émanant du Cercle de Vienne à partir de 1931, selon les fondateurs (notamment, Neurath) : la langue de la physique est langue universelle de la science et par conséquent, toute connaissance peut être ramenée aux énoncés sur les objets physiques, y compris celle relative aux sciences humaines.)
Je ne dis pas qu’A. Connes raisonne ainsi, mais je considère que la référence au divin constitue un renoncement de la pensée qui est préjudiciable à l’avancée de la pensée scientifique collective.
Alain Connes a aussi énoncé l’idée que, selon lui, la variabilité quantique était plus fondamentale que la variabilité du temps. Donc le temps n’est pas le chef d’orchestre dans la Nature. Et c’est la non commutativité qui implique l’évolution (théorème de Tomita-Takesahi).
Une autre affirmation qui a été exprimée, non développée, mais qui a retenu mon attention, c’est que la connaissance partielle de la réalité joue un rôle dans la détermination de la flèche du temps voire même dans la scansion de ce temps. Globalement cette idée me convient car conformément à mon article du 12/05, « La praxis du sujet pensant est motivé par un déséquilibre permanent entretenu par l’être dans la Nature et qui anime une dynamique de la conquête de la connaissance des lois physiques de la Nature… Il est évident maintenant que cette conquête n’aura pas de fin. »
En me décidant d’aller à cette conférence, j’espérais qu’A. Connes allait proposer des développements de ce qu’il avait introduit en 2007 lors d’une conférence sur le campus de l’université de Metz et repris au cours d’une interview sur Arte. Ci-joints les différents éléments qui avaient retenu mon intérêt :
- L’espace-temps est très légèrement non commutatif, en fait le point lui-même dans l’espace-temps n’est pas commutatif. Il a une toute petite structure interne qui est comme une petite clé.
- Le point a une dimension 0 au niveau de la métrique mais avec ma géométrie il a une structure interne et j’ai un espace de dimension 6, non commutatif.
- La longueur spectrale c’est exactement le passage de la géométrie commutative à la géométrie non commutative.
- La structure interne du point, dans l’espace-temps, a un lien important, très fort, avec la mesure des longueurs, et c’est ça qui donne l’unité des mesures des longueurs.
- Le temps est thermodynamique. Il y a un pont entre la linguistique (sic) et le temps tel qu’on le perçoit.
- Il y a certains types d’harmonies qui sont mathématiques.
- Dans la symétrie pure, il y a quelque chose de mort, de glacée.
- Une algèbre non commutative tourne avec le temps (d’après le théorème de Tomita) c’est le seul endroit des mathématiques où il y a un élément d’imperfection.
- Comme dans l’art japonais, les éléments d’imperfection font partie de la vie.
‘Le point de dimension 0 du point de vue de la métrique mais avec une structure interne’ est vraiment compatible avec ce que j’appelle le point aveugle de l’intelligence humaine : TpS = 10-26s, avec la ‘‘Présence’ du sujet pensant’ inexpugnable = la structure interne en question. Disons que cette structure est selon mon hypothèse le refuge inexpugnable de ‘l’Être réflexif’. Selon mon hypothèse, contrairement à A. Connes, il n’y a pas à faire appel au divin pour évoquer le tic-tac de l’horloge qui égrènerait une chronologie fondamentale de notre monde, non, point de divin : le temps résulte de l’émergence d’une intelligence primordiale dans la Nature, qui est vecteur d’un ‘tic-tac’ primordial car cette intelligence doit, avant tout, et ce serait sa première nécessaire activité consciente, se situer dans le temps et l’espace pour se déployer.