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10 novembre 2015 2 10 /11 /novembre /2015 09:58

Principe de causalité : construction de l’esprit ou loi de la Nature ?

Dans l’article du 29/10 : l’univers n’est pas si bizarre si…, j’ai affirmé : « Ma réponse est évidente : le processus de l’enchaînement causal est la conséquence d’une projection déterminante de l’esprit humain à l’endroit de la nature. » Dans le présent article, je propose de justifier les fondements de cette affirmation.

Comme déjà précisé, cette proposition n’est pas neuve, depuis 3 siècles on la pense. L’’empiriste critique’ : D. Hume, est évidemment le plus cité à propos de la défense de cette thèse.

David Hume : l'empiriste qu’il est, considère que la connaissance se fonde sur l'accumulation d'observations et de faits mesurables, dont on peut extraire des lois générales par un raisonnement inductif, allant par conséquent du concret à l'abstrait. Il ‘montre’ que nous n’avons pas de connaissance a priori de la causalité, qu’elle est une projection de notre esprit et que l’ordre manifesté par les lois de la physique résulte d’une nécessité intérieure à la pensée elle-même. En 1748, il publie : ‘l’Enquête sur l’entendement humain’. Le point capital de la pensée humienne réside dans sa critique de l’idée de cause. A cette époque le principe de causalité tenait une place essentielle dans la philosophie cartésienne (R. Descartes, 1596-1650) où les effets sont censés résulter des causes.

La critique de la causalité est le plus souvent illustrée par l’exemple brut suivant : « Quand je vois par exemple, une boule de billard qui se meut en ligne droite vers une autre ne puis-je pas concevoir que cent évènements différents pourraient aussi bien suivre cette cause ? Les billes ne peuvent-elles toutes deux rester en repos absolu ? La première bille ne peut-elle retourner en ligne droite ou rebondir de la seconde dans une ligne ou une direction quelconque ? Toutes ces conceptions sont cohérentes et concevables. Alors pourquoi donner la préférence à l’une d’elles qui n’est ni plus cohérente, ni plus concevable que l’autre. » Comme il est dit toutes les conceptions sont cohérentes, ce sont donc plus des conceptions que des observations inconditionnées et c’est donc le conditionnement empirique qui rend l’observateur aveugle vis-à-vis de toutes les autres possibilités. Pour nous, il est quand même difficile de suivre, d’adopter, le point de vue critique de Hume, nous qui sommes intellectuellement formatés par la logique cartésienne et la philosophie kantienne qui considèrent la causalité comme une composante a priori de l’entendement, conditionnant la possibilité même de construire l’expérience humaine à partir des données brutes des sens.

Pas simple de concevoir en dehors de ce moule ! Toutefois, au fond, ce schéma kantien est cohérent si les phénomènes eux-mêmes – la cause et l’effet – sont considérés comme mentaux plutôt que physiques. Alors… ?

Il y a une autre raison qui m’amène à penser que le principe de causalité est une construction de l’esprit et non pas une loi naturelle car dans ce cas il faudrait considérer que la nature est structurée par un ordre préétabli, par des structures réelles mais qui ne peuvent être que finis et qu’il y aurait une harmonie préalable entre la réalité et l’esprit humain. Cela suppose une bonne dose de croyance métaphysique qui me semble aujourd’hui dépassée.

Il est remarquable que la science physique ait atteint un niveau de connaissances et d’énigmes très pointues au point que nous sommes objectivement interpelés sur la problématique : la causalité construction de l’esprit à cause l’empirisme expérimental ou bien règle logée au sein de la Nature ? Voilà la problématique posée par la phénoménologie de l’intrication.

Pour construire une réponse pertinente à ce type de questionnement, il me semble qu’il est approprié d’avoir recours à des connaissances scientifiques dans d’autres disciplines. Je pense plus particulièrement à la paléoanthropologie qui dispose à l’heure actuelle de matériaux très riches et de techniques d’analyses très diversifiées.

J’ai déjà eu l’occasion de citer dans l’article du 21/07/2015 : ‘La seconde naissance de l’homme’, les travaux de J. Guilaine : « Au paléolithique archaïque, aux alentours de 1,9 millions d’années, l’analyse de la documentation fournie par plusieurs sites africains montre une gestion des matières premières fondée sur un certain rapport à l’espace (et donc au temps). A Oldowaï (en Tanzanie), les matériaux bruts nécessaires à la taille ont été apportés de sources distantes de 3 km. De gîtes plus lointains, entre 9 et 13 km, on n’a ramené que des outils finis…

L’histoire des temps paléolithiques, dans leur extrême durée, est précisément caractérisée par une maîtrise de l’espace toujours plus élargie, par des déplacements sans cesse portés vers des frontières plus lointaines. Ces pérégrinations impliquent donc une maîtrise minimale du temps… Dans ce cas, le temps nécessaire pour parvenir aux gîtes est une notion intellectuellement assimilée. » Ce qui est ici signifié : c’est que dans la contrainte de la survie, la corrélation de la distance de déplacement nécessaire avec la durée de ce déplacement s’impose empiriquement. Cette corrélation fait partie de la vie primordiale consciente (Il y a de l’instinct mais il y a aussi du calcul. Il y a de l’instinct parce que tout observateur de la vie animale sauvage peut constater que ces animaux suivent quotidiennement leur parcours dédié à la collecte de nourriture en fonction de la lumière du jour qui est donc instinctivement modifié suivant les saisons). Etre encore sur le chemin du retour une fois la lumière solaire disparue, c’est pour l’Homo (Erectus ou Ergaster) en question, prendre le risque de devenir une proie. Ce conditionnement qui conduit à articuler distance (espace) et durée (temps) vient de loin, il serait donc inscrit dans le cerveau Homo depuis au moins cette époque.

Les paléoanthropologues sont dorénavant presque unanimes pour considérer que le changement climatique serait un facteur important dans l’évolution humaine. Ce serait donc à cause des phases successives de changements climatiques que l’évolution (mise en évidence par Darwin) des différents Homo ce serait produite. Un N° spécial de ‘Pour la Science’ : ‘L’odyssée humaine, les moteurs cachés de notre évolution’, Novembre 2014, de très bonne qualité est très instructif. Plus particulièrement je me réfère à l’article : ‘Le climat, moteur de l’évolution’, du professeur Peter de Menocal, qui en résumé nous dit : « Ces derniers millions d’années, l’Afrique de l’Est a connu plusieurs changements climatiques. La végétation s’est modifiée et, dans la lignée humaine, seules ont survécu les espèces ayant une certaine capacité d’adaptation. » Je conseille fortement de le lire ainsi que tout le N° dans son ensemble. Les théories associant les variations climatiques et l’évolution remontent à Darwin (1809 – 1882). Il postula que des grands changements du climat modifient de façon importante, la végétation et donc l’alimentation, les abris et les différentes ressources disponibles. Les espèces devaient s’adapter, disparaître ou évoluer. L’environnement, déterminé par le climat, favorise les espèces dotées de certains traits. Avec le temps, ces organismes et leur héritage génétique deviennent dominants parce qu’ils survivent en plus grand nombre au changement. Lucy et son espèce (Australopithecus afarensis) se sont éteintes, il y a 2,9 – 2,4 millions d’années, laissant la place notamment aux premiers membres du genre Homo. Ceux-ci présentaient les premiers traits modernes, y compris des cerveaux volumineux. Ces individus ont fabriqué les premiers outils (et peut-être sont-ils les premiers initiateurs d’une forme de langage, au moins d’une faculté de communication au moyen de sons ? Voir article du 10/10/2013).

Il est donc scientifiquement établi que la cause principale de l’évolution des êtres vivants jusqu’à ce que l’on atteigne le stade désigné ‘Odyssée humaine’ soit le climat. Et qu’au sein de cette odyssée ce soit la faculté d’adaptation à cette cause qui a conduit l’homo sapiens à s’installer sur la terre.

Cette cause est d’emblée franchement extérieure à ce qui est à l’origine de l’ordre de la nature humaine. Mais cette nature humaine naissante a dû savoir composer avec les éléments de cette cause extérieure pour obtenir en retour un effet de survivance et de développement. Il y a donc eu un processus d’intériorisation charnelle et cérébrale de ce qui naturellement, extérieurement, s’imposait. Quand je dis processus d’intériorisation cérébrale donc ‘intellectuel’, il ne faut pas exclure processus inconscient (de l’ordre de l’instinct par exemple) et processus conscient. On peut facilement envisager que la part du conscient (élaboration de stratégies adaptatives) est devenue plus importante au fur et à mesure de l’évolution Homo, jusqu’à ce que nous sommes présentement. Conscient ou inconscient, l’empreinte de ce processus reste gravé dans notre cerveau, car nous n’avons pas changé de cerveau, celui-ci s’est enrichi jusqu’à ses développements ultimes. A ce propos, en janvier 2011 des chercheurs du Muséum d’Histoire naturelle ont communiqué une étude des modifications du cerveau au cours de l’évolution de notre espèce Homo sapiens ces 30.000 dernières années : ‘Plus petit, réorganisé, notre cerveau a évolué depuis 30.000 ans’.

En résumé, je propose de considérer que le principe de causalité est un principe sélectionné, élaboré, témoin de l’intelligence humaine embryonnaire, sélection et élaboration qui ont été validées au cours d’un processus empirique et conduisant à la capacité de survivance. Ce principe ne serait donc pas dans la Nature, il correspondrait à une spécialisation sélective de l’intelligence humaine qui doit être franchement identifiée pour être dépassée. Ce principe doit être considéré comme un déterminant de ce qui constitue la nature humaine.

Il faut faire le pari que c’est en approfondissant les propriétés de la Nature que ce dépassement sera possible. Déjà on peut considérer que l’élucidation du phénomène de l’intrication constitue une telle opportunité et que d’autres phénomènes qui se présentent actuellement à notre perplexité vont nous conduire à une capacité de réflexion moins conditionnée.

Plus particulièrement, je pense à un article tout récent : voir Phys.org, le 4/11 : « Des processus quantiques démontrent la superposition d’évènements ordonnés. » avec le commentaire suivant : « Dans une superposition quantique, un objet quantique peut être en même temps dans 2 états quantiques incompatibles, ce qui est illustré par le chat de Schrödinger mort et vivant. Des recherches récentes ont montré qu’il était possible d’avoir une superposition non seulement d’états incompatibles mais aussi d’évènements dans des ordres incompatibles. Nous pensons souvent à des évènements se produisant dans un ordre chronologique définitif, avec l’évènement A se produisant (et causant) l’évènement B, ou vice-versa. Mais dans certains processus quantiques, les évènements ne se produisent pas dans un ordre simple et défini, mais au contraire dans les deux ordres (A avant B, et B avant A) en même temps. Ce phénomène de semblable superposition contre intuitive est appelé ‘non séparabilité causale’. »

Il faut attendre pour en savoir plus sur cette situation et savoir si la fabrication de ces 2 évènements s’est produite dans une durée < TpS car dans ce cas nous avons une explication à proposer.

Si on obtient des preuves tangibles que le principe de causalité est vraiment un principe empirique, un principe déterminant profondément nos capacités intellectuelles, cela ne conduira pas automatiquement au dépassement de cette détermination. Peut-être que cela sera indépassable ? Chaque étape en son temps ! Il est trop tôt pour se poser des questions abyssales. Nous avons tous lu des articles récents mettant en évidence une plasticité cérébrale jusqu’alors ignorée. On verra si cela pourra contribuer au dépassement.

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