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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 10:34

Là, où, pense Homo Sapiens.

Il me semble qu’il est intéressant et utile de s’intéresser aux travaux des paléoanthropologues qui ont accumulé suffisamment de matériaux pour être capables maintenant de rendre compte où se trouvent dans l’histoire la plus profonde les racines de l’évolution des Hominidés… qui deviennent progressivement des êtres réflexifs. Evidemment, parmi ces travaux, j’ai sélectionné ceux qui peuvent nous aider à comprendre l’émergence et le développement de savoirs prélevés sur l’environnement Naturel qui ont conduit à concevoir des embryons de savoirs intériorisés dits rationnels.

Du livre de J. Guilaine : ‘Le seconde naissance de l’homme’ (O. Jacob) :

« Au paléolithique archaïque, aux alentours de 1,9 million d’années (homo ergaster et/ou homo erectus), l’analyse de la documentation fournie par plusieurs sites africains montre une gestion des matières premières fondée sur un certain rapport à l’espace (et donc au temps). A Oldowaï, les matériaux bruts nécessaires à la taille ont été apportés de sources distantes de 3 km. Des gîtes plus lointains, entre 9 et 13 km, on n’a ramené que des outils finis, après avoir laissé sur place blocs et déchets. Ces indices, parmi les plus anciens observés, donnent une première idée de l’espace prospecté et, de ce fait, du temps mis à le parcourir.

L’histoire des temps paléolithiques, dans leur extrême durée, est précisément caractérisée par une maîtrise de l’espace toujours plus élargie, par des déplacements sans cesse portés vers des frontières plus lointaines. Ces pérégrinations impliquent donc une maîtrise minimale du temps.

Ensuite, rapide élargissement du cadre : les déplacements de certains acheuléens africains pouvaient atteindre 100km, en Europe, entre -700 000 et -200 000 ans, on observe des tendances voisines.

Au paléolithique moyen (entre -200 000 et -35 000 ans) ce schéma ne sera guère modifié.

Autant de comportements qui sous-entendent une gestion planifiée de l’espace et du temps. »

On constate avec J. Guilaine que naturellement le besoin de se déplacer dans l’espace est corrélé avec la nécessité d’évaluer le temps de ce déplacement. Vitalement, la distance spatiale à parcourir n’est pas une information en soi. Ce qui fait sens c’est la combinaison distance spatiale et durée temporelle. Evidemment nous comprenons les choses maintenant en fonction de nos concepts et de notre acuité intellectuelle mais une initiation à l’espace-temps, en tant que un, s’échafaude à ce stade. Homo, se déplace en évaluant simultanément l’espace et le temps à parcourir. Il y a de l’inférence en jeu.

Selon Natalie Uomini et Georges Meyer (article dans la revue ‘Plos One’ en 2013), il est rendu compte que chez homo ergaster, il y a à peu près 1,75 million d’années, il y aurait une concomitance probable entre le début du développement du langage et la capacité à travailler le silex pour fabriquer des outils. La faculté de langage ne serait donc pas une faculté intrinsèque qui nous aurait caractérisés tout au long de la longue marche de l’humanité, mais elle est un surgissement provoquée par une réelle et âpre confrontation entre la nature matérielle et une action d’homo ergaster sur celle-ci pour en façonner un avantage vitale. Les auteurs ont obtenu ce résultat grâce à d’autres paléoanthropologues qui ont été placés en situation de fabriquer des outils correspondant à l’époque et la zone du cerveau qui s’activait était la même que celle du langage. On peut concevoir aussi que le projet de fabriquer des outils implique un échange d’expérience, de conseil, bref de la communication…gestuelle, sonore ?

Les paléoanthropologues sont de plus en plus nombreux à penser que les changements climatiques (Afrique de l’Est et du Sud) ont joué un rôle très important dans l’évolution humaine (lire dans ‘Pour la Science’ n° spécial novembre 2014 : ‘L’odyssée humaine’ : les moteurs cachés de notre évolution). Le premier choc évolutif a eu lieu il y a entre 2,9 et 2,4 millions d’années. « Lucy » et son espèce (Australopithecus afarensis) se sont éteintes, laissant la place à deux groupes assez différents. L’un correspond aux premiers membres du genre homo. Ils présentaient les premiers traits modernes, y compris des cerveaux volumineux. Ces individus ont fabriqué les premiers outils. Le second choc s’est produit il y a entre 1,9 et 1,6 million d’années. Une espèce plus carnivore, donc au cerveau encore plus développé, Homo erectus (aussi nommé Homo ergaster), est apparue. (Lire, Peter deMenocal in : ‘Pour la Science’, Novembre 2014)

De J.P. Demoule, professeur de protohistoire : « Révolution technique, le Néolithique (-12000 ans) est aussi une révolution spirituelle et symbolique : les représentations humaines, rares jusque-là, se multiplient sous forme de statuettes ou de signes gravés. « Les chasseurs-cueilleurs se pensaient comme une espèce animale parmi les autres. Au Néolithique, l’homme se ‘dénature’ pour se penser comme distinct du reste du vivant. »

Ainsi en fonction de ce qui est dit par J.P. Demoule, on doit considérer que la fascination provoquée par les œuvres des artistes homos sapiens qui nous ont offert les peintures rupestres de la grotte Chauvet (-35000 ans) résultent d’une osmose naturelle entre les hommes modernes primitifs et les autres représentants du monde vivant qu’ils côtoyaient, chassaient, redoutaient. C’est donc l’autre d’eux-mêmes qu’ils extérioriseraient sur les parois de la grotte avec une économie de moyen époustouflante. Le morceau de charbon de bois qui marque le trait continu assuré, et qui épouse intentionnellement les reliefs de la paroi, nous laisse voir ce qui est encore une intériorité d’Homo Sapiens.

Les paléoanthropologues nous informent que l’être humain est devenu ce qu’il est aujourd’hui grâce à un processus d’évolution dont le moteur principal fut et est une confrontation avec la Nature. Nature très immédiate il y a 2.000.000 d’années et à partir de cette proximité, déploiement et confrontations multiples, et causes d’évolutions. A ce niveau, il n’est pas abusif de considérer que le genre homo jusqu’à son terme actuel homo sapiens a développé une pensée où il a été façonné. On peut aussi conjecturer que cette pensée est déterminée, conditionnée, par ce naturel, sachant qu’il est aujourd’hui ce que nous appelons Notre Univers, sachant aussi, étant donné le développement de nos capacités intellectuelles qu’il n’est pas nécessaire d’aller physiquement sur de telles étendues pour les investir.

Il est évalué qu’homo ergaster avait un cerveau d’une capacité de l’ordre de 860 cm3, celui d’homo sapiens (homme moderne) est de 1300 cm3 en moyenne. Il est légitime de considérer que le cerveau d’homo sapiens englobe celui d’homo ergaster, il n’y aurait donc pas destruction des apprentissages archaïques d’homo ergaster, l’imprégnation primordiale indélébile a subit les effets de l’évolution sur 2.000.000 d’années et les effets des apprentissages qui se sont succédés.

On a clairement identifié que l’homme moderne a toujours cherché à porter son regard de plus en plus loin dans le monde pour le saisir, au sein duquel il avait conscience de se trouver et aussi de dépendre. Ces observations, d’objets très lointains, par exemple des planètes, n’étaient pas passives car il fallait pour réduire cette dépendance aveugle prévoir, prophétiser. Ainsi tout récemment on a découvert sur des tablettes cunéiformes que la trajectoire de Jupiter était calculée soit par des moyens mathématiques (-1800 ans) soit par des moyens géométriques (-300 ans) comme le faisaient déjà les astronomes grecs. Figures géométriques dont les standards étaient prélevés dans la nature immédiate puisqu’il y avait une nécessité sociale, économique, de mesurer physiquement par exemple des surfaces de terre (cultivables).

Platon (-370) a formulé l’idée d’un Univers globale préinscrit et c’était à l’être humain de le comprendre en décryptant l’alphabet (mathématique) dans lequel il était écrit, ‘encodé’. Galilée a pensé les prémisses de la physique moderne sur la base de cette métaphysique. Selon Galilée (1564-1642), la géométrie, avec ces figures élémentaires (triangle, cercle, etc. devenus des Idéalités.), constituée la base de cette alphabet et il put ainsi établir formellement les premières lois physiques.

Descartes (1596-1650) son contemporain a proposé un saut dans la faculté d’abstraction en imposant le paradigme de la chaîne de causalité. Théorie mécaniste qui ne fut pas du goût de Newton (1642-1727) pour des raisons purement métaphysiques pour ne pas dire théologiques.

Il y a quelques années encore on n’aurait jamais affirmé que l’homme premier serait venu sur terre, nu, sans au moins l’attribut d’un protolangage. En effet pour l’éminent linguiste Émile Benveniste (1902-1976), cela ne fait aucun doute : « C’est un homme parlant que nous trouvons dans le monde, un homme parlant à un autre homme, et le langage enseigne la définition même de l’homme. » Pour le psychanalyste J. Lacan il en est de même : « L'homme qui naît à l'existence a d'abord affaire au langage ; c'est une donnée. Il y est même pris dès avant sa naissance. Oui, l'enfant à naître est déjà, de bout en bout, cerné dans ce hamac de langage qui le reçoit et en même temps l'emprisonne ». Lacan a cherché aussi à « montrer combien le langage est ce qui ordonne notre rapport au monde (sic) aussi bien qu'à nous-mêmes. » Eh bien maintenant on doit accepter que ce n’est pas un donné mais un acquis, dans des conditions rapportées dans la revue ‘Plos One’. Corrélativement, la pensée, même sous sa forme embryonnaire, résulte de l’aride et rude confrontation, pour la survie d’Homo, avec les éléments naturels. Il y a unanimité pour penser que les changements climatiques contribuèrent notamment, sans équivoque, à la sélection naturelle dont la branche homo sapiens fut la seule à survivre. On peut comprendre aujourd’hui pourquoi le concept d’anthropocène n’est pas du tout banal.

Les causes de l’évolution d’Homo jusqu’à son terme actuel homo sapiens sont extérieures, l’essentiel de ce qui fait Homo est donc de l’acquis. Aucune essence n’a précédé l’existence. Alors le principe de causalité est une intériorisation de l’affrontement rugueux entre Homo et la Nature dans sa globalité. Voir article du 10/11/2015 : « Principe de causalité : construction de l’esprit ou loi de la Nature ? » La bonne réponse serait, il n’est ni dans l’un ni dans l’autre il est dans l’épaisseur de l’interface qui a finalement engendré, façonné, homo sapiens. Le sursaut ontologique proposé par Descartes, est peut-être un leurre, en révélant à l’humanité que l’appropriation, jusqu’à son intériorisation intellectuelle, du principe de causalité conduit à l’émergence du ‘sujet pensant en raison’, et donne ainsi la clef pour soulager l’existence de quantité de maux et favoriser le bien-être en nous rendant « comme maîtres et possesseurs de la nature » ; elle est moralement désirable car en nous donnant la connaissance des causes elle nous conduit à la sagesse. Il y a deux en un car il nous dit qu’ainsi l’humanité peut s’émanciper de la tyrannie des lois de la Nature pour être Homo Sapiens en devenir. On peut aussi comprendre pourquoi il a défini en son temps, cette hiérarchie des connaissances : « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale. »

Peut-être un leurre parce qu’Homo Sapiens, malgré les déterminations qui l’habitent au plus profond de sa manière d’Être et qui témoignent de l’histoire de son émergence dans le monde, ne doit pas, in fine, se comprendre uniquement à l’aune du réseau de contraintes extérieures qui l’a façonné. En conséquence la découverte de nouveau champ de connaissances devrait pouvoir emprunter d’autres chemins que ceux déterminés, conditionnés, par celui de l’enchaînement causal.

Et si le tronc de l’arbre de la connaissance est encore la physique comme l’affirme R. Descartes, affirmation qui est à mes yeux encore juste sinon tout ce que je viens d’écrire ci-dessus n’a plus aucun sens, alors c’est à la science physique d’ouvrir la voie. Tout comme au début du 20e siècle dans les premières prospections de l’infiniment petit qui ne peut être que pensé, conjecturé, plutôt que directement observé, le physicien est l’intellectuel désigné pour constituer l’avant-garde de cette aventure nouvelle. En plus, avec les cosmologistes, il est en mesure d’éprouver cette nécessité car l’univers qui a été conçu grâce à ces capacités de conception actuelles le confronte avec 95%, de ce qui le composerait, toujours obscur à sa compréhension.

La proposition que j’ai déjà formulée qui consiste à considérer qu’au-delà de l’horizon limite déterminé par la constante universelle C il y aurait de quoi inférer est une voie à prospecter, plus particulièrement pour la matière noire et les neutrinos. Ceci a à voir aussi avec la chaîne de causalité car dans notre monde de référence (c’est-à-dire dans notre univers de contraintes présentes, classiques) l’influence d’une cause ne peut pas se propager à une vitesse supérieure à celle de la lumière, voilà pourquoi nous accumulons les points d’interrogation à propos de l’intrication, par exemple.

Là, où, pense Homo Sapiens est un là spécifique mais toujours en évolution qui ne peut laisser croire qu’il permet de penser naturellement, immédiatement, l’universel. Certes les facultés intellectuelles croissantes d’Homo Sapiens lui permettent de largement concevoir et investir au-delà de ce que ses contraintes physiques lui imposent. Il s’est déjà émancipé de nombreuses déterminations, il est essentiel de comprendre celles qui sont toujours à l’œuvre et constituent un empêchement à concevoir des nouveaux paradigmes pour élucider les 95% inconnus de l’univers et ainsi découvrir que ce que l’on appelle notre univers aujourd’hui n’est qu’un modèle conceptuellement réduit d’un univers bien plus multiple et d’une autre envergure.

P.S. Dans le monde ‘Science et Médecine’ du 03/02/2016, de Laurent Alexandre : « Les neurosciences révèlent la complexité du fonctionnement cérébral. Le plan précis du câblage cérébral – nous avons 85 milliards de neurones, dont chacun est porteur de milliers de connexion – n’existe pas dans nos chromosomes. Notre ADN a une action plus subtile : il donne à nos neurones une boite à outils, plus ou moins performante, leur permettant de bâtir un réseau de connexions plastiques et dynamiques. Le cerveau se bâtit grâce à un mélange de déterminisme génétique, de réponse à l’environnement et de hasard. Notre quotient intellectuel, in fine, n’est déterminé par notre ADN qu’à hauteur d’un peu moins des deux tiers ; le tiers restant étant lié à l’école, la stimulation familiale, l’environnement et l’alimentation. »

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