Selon A. Barrau, ‘De la vérité dans les Sciences’
A l’occasion de la sortie du livre d’Aurélien Barrau, édit. Dunod, je souhaite mettre en exergue quelques-unes des idées exprimées par l’auteur qui, à ma connaissance, le sont pour la première fois, en tous les cas publiées dans le cadre d’un ouvrage qui vise à offrir aux lecteurs sa conception de la recherche fondamentale en science (physique), son but, et son apport à la quête de vérité dans les sciences en général. Je privilégierai surtout les idées avec lesquelles je me trouve en résonnance et qui pour moi font immédiatement sens parce que sous une forme ou sous une autre je les ai déjà fait miennes et exprimées ces dernières années. Ceci suppose évidemment que j’interprète correctement ce qu’il a voulu nous dire. A cet égard, il faut toujours être vigilant par respect à l’auteur et pour que les conditions d’un échange utile puisse s’établir à terme. Donc en première recommandation : il faut lire le livre dans son intégrité.
(Parmi les articles au sein desquels j’ai exprimé des idées qui convergent avec celles d’A Barrau, je cite les plus anciens : ‘L’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence une loi de la Nature ?’, le 21/12/2011 ; ‘Les nouveaux paysages : physiques ? intellectuels ? bref scientifiques de l’anthrôpos.’ Le 24/04/ 2012 ; ‘Synthèse : un Monde en Présence’, le 02/11/2012 ; ‘Un Monde en Présence II’, 01/01/2013 ; ‘Bienvenu au ‘Moment Présent’ de Lee Smolin’, le 02/05/2013 ; plusieurs autres, au-delà de ces dates jusqu’à maintenant, reprennent et tentent de préciser mes hypothèses.)
Page 36 et 37 : « Mon ami le génial physicien Carlo Rovelli – inventeur de l’une des meilleures théories de gravitation quantique – considère que la science c’est « un peu d’air frais qui entre dans la maison ». Il n’est plus seulement question de s’émerveiller devant nos propres créations mais aussi devant ce qui semble exister et se déployer indépendamment de nous. Je pense qu’il a raison. Il est sain, voire salutaire, de souligner cela. Mais il ne faut pas oublier, en parallèle de cette mise en rapport avec l’autre, avec l’ailleurs, avec l’hors, que nos manières d’appréhender cet « autre part » n’en demeurent pas moins humaines et créées. Il faut rester conscient que cette tentative d’exploration du loin n’est entreprise qu’avec nos modalités purement et inéluctablement humaines et donc locales. Nous choisissons et inventons les rapports au(x) monde(s) que nous jugeons pertinents. Ils ne sont pas donnés, ils sont construits. Tout se joue dans cette tension entre l’ « air frais » qui vient du dehors et notre ressenti ou notre explication de cet air frais qui n’est jamais une mise en lumière de la nature intrinsèque et absolue de l’essence de cet air frais…
La science est souvent arrogante dans ses enjeux et parfois même dans ses conclusions mais elle est fondamentalement modeste dans ses moyens. Elle est une louable tentative d’accéder au non-humain-du-réel. Elle est toujours consciente – elle devrait en tout cas l’être – de ses limites. Limites omniprésentes ! Elle intègre sa finitude et c’est ce qui lui permet de jouer avec l’illimité.
La situation est parfois complexe et plurivoque. Il ne faut pas chercher à enfermer la science dans une vision linéaire et parfaitement sans équivoque… »
Ci-après mon commentaire de cette première tranche de citation du livre.
Je constate que l’auteur attribue à C. Rovelli le rôle d’inventeur de la gravité quantique et non pas de découvreur de ce qui serait dans la Nature. C’est une prise de distance judicieuse car Rovelli a récemment publié un livre (2015, O. Jacob) pour expliquer sa découverte (sic) : ‘Par-delà le visible, la réalité du monde physique et la gravité quantique’. Après avoir indiqué le respect qu’il a pour son travail depuis 20 ans, A. Barrau rappelle à juste raison : nos manières d’appréhender cet « autre part » n’en demeurent pas moins humaines et créées. Ainsi est-il précisé, pour ne pas faire fausse route quant au statut du travail scientifique et de ses résultats, que c’est l’intelligence humaine qui produit des résultats. Ce n’est pas faire preuve de pessimisme, ni de réduction des capacités et des méthodes de recherche en physique que de préciser que l’activité du physicien conduit à de la création et non pas à de la découverte. Effectivement nos modalités déterminées et inéluctablement humaines ne peuvent pas être néantisés pour que le spectacle du réel se présente à nous. Barrau, évoque nos modalités ; dans mes articles j’évoque : nos déterminations, et ce terme me paraît plus évocateur de ce qui caractérise les contraintes qui expliquent que penser, voir le monde réel, est certes une perspective motivante, mais jamais absolument accessible. Acceptons l’idée que nos savoirs sont construits, et sont souvent de belles constructions qui, en retour, nous construisent en tant que ‘sujet pensant’ et nous propulsent vers de nouvelles constructions. C’est cette dynamique-là qui a du sens et nourrit nos facultés proprement humaines. Je me permets d’ajouter (comme déjà exprimé dans quelques articles) que la connaissance en physique a un rôle fondamental d’avant-garde à propos de cette dynamique.
Ensuite A. Barrau nous dit que la science est souvent arrogante. Cela correspond a du véridique mais analyser la cause de celle-ci vaut la peine. Depuis Galileo Galilei, qui a ouvert au 17e siècle l’ère de la science positive, est véhiculée la croyance que La science moderne se distingue avant tout par le caractère mathématique universel de ses théories. Elle correspond au remplissage d’un cadre prédéterminé, où chaque phénomène doit être rapporté à une construction mathématique. Ainsi le physicien n’invente pas son monde, son rôle est beaucoup plus modeste et il doit se contenter de découvrir ce qui est (sic). C’est cette croyance qui imprègne notre culture (occidentale), pas uniquement scientifique, et peut conduire à l’arrogance du : « Moi je sais, parce que mon savoir me met en rapport avec ce qui est de l’ordre de l’universel. » D’accord pour l’arrogance mais ce qui est le plus dommageable c’est la croyance en ce dogme (chez les physiciens) qui n’est pas du tout minoritaire, bien au contraire.
Page 56 : « Depuis près d’un siècle nous tentons de construire une théorie cohérente de gravitation quantique et c’est un effort qu’il est indispensable de poursuivre ! Pour autant, il n’est pas exclu que dans certaines de ses modalités le réel se dérobe aux sciences mathématiques, même lorsqu’il est sondé par ce prisme. Rien n’assure que cette manière spécifique d’appréhender l’Univers soit de portée tout à fait illimitée. Il faut continuer à chercher à comprendre le Big Bang avec des équations et des télescopes, et je m’y emploie, avec beaucoup d’autres ! Mais il ne me semble pas absolument exclu que dans certains cas les mathématiques, par exemple, ne fonctionnent tout simplement plus. Demeurons, ici aussi, modestes. »
Cette citation d’A. Barrau : page 56, il faut la commenter parce que, à ma connaissance, cela est tout à fait nouveau d’évoquer les limites des mathématiques par des physiciens. La première fois que j’ai rencontré ce doute à l’égard des mathématiques, c’est dans le livre de L. Smolin : ‘La renaissance du Temps : pour en finir avec la crise (sic) de la physique’, 2014, édit. Dunod : « Quand les lois de la physique sont décrites mathématiquement, les processus causaux qui illustrent l’activité du temps sont représentés par des implications logiques intemporelles. Mais l’univers réel a des propriétés qui ne sont pas représentables par un quelconque objet mathématique. Une de celles-ci est qu’il y a toujours un moment présent. Les objets mathématiques, étant intemporels, n’ont pas de moments présent, n’ont pas de futurs ni de passés. Toutefois, si on embrasse la réalité du temps et voit les lois mathématiques comme des outils plutôt que des miroirs mystiques de la nature, d’autres faits têtus, inexplicables, concernant le monde deviennent explicables… »
Très probablement cette prise de conscience chez l’un et chez l’autre résulte d’une compréhension aigue de la crise de la physique fondamentale à notre époque. Il faudrait qu’ils l’explicitent eux-mêmes mais il me semble qu’ils sont entrain de comprendre que les mathématiques n’ont pas la valeur prédictive comme ils le pensaient. C’est, pour eux, la fin de la croyance Platonicienne réactivée par Galilée : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui est constamment ouvert sous nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, cercles et autres figures de géométrie, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. »
On peut considérer que cette crise de la physique qui perdure, ne pourra être dépassée que par une réévaluation salutaire de la place et du rôle des mathématiques dans la volonté humaine de rendre compte de vérités à propos des propriétés dans la nature. Selon moi, la primauté appartient à la faculté de penser, de projection, de l’être réflexif et les mathématiques pourvoient en moyens (outils) descriptifs, très puissants qui condensent cette pensée. Les mathématiques constituent un langage commun qui permet la communication intersubjective si essentielle pour que vive les connaissances toujours provisoires. Le fait que Barrau fasse référence, page 70, au théorème de K. Gödel n’est pas fortuit, car la thèse de l’incomplétude des mathématiques conduit à la thèse de l’incomplétude de la physique théorique (quoi qu’en dise R. Penrose) lorsque l’on considère que cette physique ne peut s’épanouir que par l’épanouissement de la langue mathématique comme le prétend Galilée. C’est donc une révolution culturelle qui doit être entreprise pour dépasser les apories qui sont identifiées.
Page 57 : « Mais nos organismes – et donc nos pensées – résultent de plus de 4 milliards d’années d’évolution ininterrompue. Il y a, me semble-t-il, quelque chose de naïvement arrogant à supposer que, justement, à cet instant précis de notre histoire, la vérité ferme nous apparaît ! D’autant que ce sentiment fut évidemment partagé par toutes les civilisations précédentes… »
Ces quelques phrases de la page 57, à priori me réjouissent car la référence de ce que l’on sait de mieux en mieux de l’histoire de l’évolution de l’humanité offre un cadre de réflexions enrichissant en ce qui concerne la relation physique et intellectuel de l’être humain avec la Nature et donc le processus de décryptage de ses propriétés. Toutefois se référer à plus de 4 milliards d’années en arrière constitue une gageure inutile. Cela correspond à la période de la formation très évolutive du système solaire pendant laquelle sont forgés, sous l’action de la lumière naturelle, les acides aminés lévogyres : briques élémentaires du monde vivant puisque constituants essentiels des protéines. (Voir article du 02/08/2014 : ‘Accordons quelques batifolages à l’esprit.’). Par contre grâce au développement de la paléoanthropologie, qui a le statut d’une science pluridisciplinaire, nous pouvons remonter à plus de 2 millions d’années quand émerge parmi le foisonnement des espèces celui des homos, qui de sélections en sélections aboutiront à ‘Homo Sapiens’ : l’homme moderne. Auparavant j’ai eu l’occasion d’isoler des publications et des ouvrages qui commencent à constituer une base de données et partant de réflexions enrichissantes. Ainsi, dans l’article du 10/10/2013 : ‘Comment nous sommes devenus avec/dans le langage ?’, j’ai saisi immédiatement l’intérêt de l’article de ‘Plos One’ qui mettait en évidence une forte corrélation entre l’émergence de la faculté de langage et le besoin de tailler le silex, il y a à peu près 2 millions d’années. Le langage qui naîtrait dans ces conditions serait ainsi originellement déterminé et en conséquence la faculté de penser qui en résulte. Ces travaux ont été confirmés par une deuxième expérience, voir in ‘La recherche’ hors-série, mars-avril 2016 : ‘L’odyssée de l’homme’ page 70. De même avec la sortie du livre : ‘La seconde naissance de l’homme’ (voir article 21/07/2015), j’ai tenté d’interpréter, grâce à ce qui était relevé par les professionnelles, les indices peut-être primordiaux d’une perception ‘intellectualisée’ de l’espace et donc du temps avec la nécessité pratique de gérer l’accès à des gisements de matière première de silex. Avec l’article 10/11/2015 : ‘Principe de causalité : construction de l’esprit ou loi de la Nature ?’ j’ai tenté d’esquisser pourquoi on pouvait considérer que le principe de causalité était un principe sélectionné, élaboré, au cours d’un processus de survivance empirique propre à l’homme. Cette esquisse est motivé par l’idée qui devient de plus en plus forte chez les paléoanthropologues que ce serait à cause des phases successives de changements climatiques que l’évolution des différents Homos ce serait produite. Faire référence à l’évolution acquière de plus en plus de sens quand par exemple on lit dans un article de M. Almaric et S. Dehaene du 11/04/2016, in ‘Pour la Science’, ‘Comment fonctionne le cerveau des grands mathématiciens’ : « Et les mathématiques de haut niveau « recyclent » des fonctions cérébrales anciennes du point de vue de l’évolution. »
Etant donné tout le bien que j’exprime à l’égard du livre d’A. Barrau, il me reste à souhaiter qu’il passe à la prochaine étape, celle des travaux pratiques, car il est premièrement un physicien reconnu et il doit transcrire effectivement certaines de ses idées dans le corpus de la physique. Au moins dans le domaine qui correspond au champ intellectuel qui lui est le plus familier, cela ne peut pas être autrement. Quand par exemple il écrit : Ils (les mondes) ne sont pas donnés, ils sont construits, cela implique qu’il engage une écriture qui se distingue sur le plan mathématique et/ou conceptuel de la description traditionnelle de la physique. C’est un exercice difficile, mais comme on dit, il a le background théorique pour passer à l’action.
Il est donc possible d’envisager qu’un dialogue productif se mette en place, on verra bien ! Ainsi il sera possible d’échanger et de discuter de l’idée que le temps n’est pas donné, il est inhérent à la ‘Présence’ et donc à l’émergence de l’être doué de capacités réflexives c’est-à-dire le sujet pensant. En ce qui concerne l’espace, il faut introduire des nuances, car c’est un construit avec des références plus physiques à l’origine.
En ce qui concerne mon hypothèse iconoclaste : TpS, celle-ci n’est pas fragilisée, bien au contraire. Avec cette quantification du ‘Temps propre du Sujet’ cela permet de penser un certain nombre de situations physiques en termes de relations entre systèmes, (voir ‘Effet Zénon’ par exemple)