Questionnement circulaire à propos de l’espace-temps.
L’article que je propose aujourd’hui peut apparaître comme étant particulièrement circulaire. En effet, son contenu boucle sur une analyse, que j’espère appropriée, de ceux qui sont convaincus que la loi de la Relativité Générale véhicule des propriétés et des concepts exacts sans failles. Je me concentre plus particulièrement sur le fait qu’il est considéré que l’espace-temps est subordonné au champ gravitationnel qui est du domaine de la ‘réalité’ pour ceux-là. Etant donné que la crise de la physique fondamentale depuis plusieurs décennies est très corrélée à une incompréhension effective de la nature de l’espace et du temps, il vaut la peine de tenter de creuser ce sujet quand des opportunités nouvelles se présentent.
Le 5 Avril dernier, l’Académie des Sciences a organisé une conférence qui rendait compte de la détection des ondes gravitationnelles annoncée le 11/02/2016. Les différentes interventions sont accessibles en vidéo et celle de Fabien Cavalier : ‘La première détection directe des ondes gravitationnelles’ a retenu toute mon attention surtout à partir de la minute 38. En effet, un des auditeurs lui pose la question suivante : « Est-ce qu’à travers ces travaux on peut dire que l’espace-temps Einsteinien qui est plat quand il n’y a rien (sic), a une réalité, une existence, intrinsèque, indépendante, et que les ondes gravitationnelles plissent cet espace-temps, indépendant et intrinsèque ? »
Réponse de F. Cavalier : « L’onde EM, n’a pas besoin d’éther pour se propager, donc l’onde gravitationnelle, onde de l’espace-temps non plus n’a pas besoin de support matériel (sic). »
Quelques instants plus tard au cours d’un commentaire spontané à propos de l’effet gravitationnel, il dit : « les ondes gravitationnelles se propagent dans l’espace-temps et suivent les mêmes géodésiques...que celles de la lumière. »
De l’espace-temps, est une affirmation qui est en accord avec l’hypothèse Einsteinienne que l’espace-temps n’a pas de réalité physique et ce qui doit pris en compte c’est le champ gravitationnel comme nous l’a rappelé récemment C. Rovelli : « Ainsi donc, pour répondre à votre question: ce qu'on appelle l'espace-temps et le champ gravitationnel sont ultimement la même chose. » Ceci est fortement confirmé quand il écrit, en mars 2015, dans : ‘Temps universel et métabolisme de l’espace-temps’ : « Les avancées d’Einstein peuvent être lues comme une invitation à renoncer à des idées préconçues sur l’espace et le temps jusqu’à abandonner ces notions entièrement. »
L’invitation à ce renoncement intellectuel n’est toujours pas évident à intégrer de nos jours car comme indiqué ci-dessus quelques instants plus tard F. Cavalier nous dit : les ondes gravitationnelles se propagent dans l’espace-temps… Ici, il serait dit que l’espace-temps préexiste aux ondes gravitationnelles. Ainsi, l’espace-temps aurait une nature propre et ce n’est pas la même chose que le champ gravitationnel. Mais encore, il y a une autre interprétation possible : concomitance absolue entre espace-temps et gravitation et on peut évoquer alternativement l’un ou l’autre sans précaution. A mon avis, il ne faut pas considérer qu’il y aurait de la part de Cavalier un manque de rigueur dans son exposé, il faut plutôt considérer que nous avons à faire, ici encore, en temps réel, au témoignage d’une conception perpétuellement vacillante de la nature de l’espace-temps. Arrêter une conception stable et largement partagée s’avère être un processus délicat car comment s’opposer à ce qui constitue l’essence même de la Relativité Générale, in fine : réalité du champ gravitationnel au détriment d’une quelconque réalité de l’espace-temps. Peut-être que C. Rovelli nous propose une stratégie de contournement quand il écrit juste après la phrase citée ci-dessus : « Mais elles (les avancées d’Einstein) peuvent être aussi lues comme la découverte de propriétés particulières de l’espace et du temps, que nous n’avons peut-être pas entièrement éclaircies. » Voilà qui est dit : admettons qu’après un siècle nous n’ayons toujours pas compris toute la teneur des idées géniales d’Einstein, mêmes celles qu’il n’a pas explicitement proposées, et ainsi nous nous octroyons la liberté intellectuelle de lire entre les lignes de ses hypothèses, donc d’interpréter celles-ci à l’aune de notre questionnement actuel. On verra quelle suite sera donnée à cette proposition astucieuse. Peut-être qu’elle est déjà à l’œuvre avec les interprétations proposées par A. Barrau : « La relativité générale nous apprend précisément que le monde est relationnel. Il n’y a plus de cadre fixe et absolu. Les choses ne peuvent plus être « ici et là », elles sont les unes par rapport aux autres. Nous sommes des vaguelettes sur un raz de marée qui tient lieu d’espace et de temps. » (Mars 2016). Ou encore : « Le cœur de la théorie d’Einstein, c’est l’invariance de fond : le fait qu’il n’existe plus aucune structure « figée » dans l’Univers, le fait que tout est dynamique et en interaction, le fait que l’espace-temps est un champ comme un autre (sic) régi par des lois d’évolution…Il devient alors possible d’étudier des théories qui respectent cette invariance fondamentale, disons donc l’esprit de la relativité générale, mais sont régies par des équations d’évolution un peu différentes. » (Janvier 2016)
Je reviens sur la réponse première de F. Cavalier « L’onde EM, n’a pas besoin d’éther pour se propager, donc l’onde gravitationnelle, onde de l’espace-temps non plus n’a pas besoin de support matériel (sic). » Il propose donc de mettre en parallèle le processus de propagation que l’on conçoit pour l’onde EM avec celui de l’onde gravitationnelle. A mon avis ce n’est pas juste de penser ainsi. En effet l’onde électromagnétique est clairement identifiée par un champ électrique et un champ électromagnétique qui oscillent en se propageant. Ce champ EM, n’est pas toujours là, dans ce cas l’hypothèse de l’auditeur qui interroge Cavalier et dit : quand il n’y a rien, a du sens. En effet ce champ est causé par une source (un électron qui oscille, qui peut être soustrait, donc créer la situation : il n’y a rien, par ex.) qui est identifiable jusqu’à l’échelle quantique puisque ce champ est quantifiable.
Pour un observateur, pour spécifier cette propagation il est normal qu’il repère celle-ci à l’aide des variables spatio-temporelles qui lui sont propres, qu’il projette et qui n’ont a priori aucune influence sur la représentation physique des objets. A ce stade il est évident d’admettre que c’est une opération propre à l’observateur qui ne fait référence à aucune contrainte naturelle. A ce stade nous sommes dans une situation identique à celle du suivi du mouvement classique d’un mobile. La spécificité apparaît parce que le champ EM se déplace à la vitesse limite C, constante, qui ne peut s’additionner à aucune autre vitesse quel que soit le point de vue de tout autre observateur. Ceci amène à ce que des contraintes soient posées aux équations mathématiques qui rendent compte du mouvement du champ EM, et ce sont les équations de la relativité restreinte qui sont ainsi obtenues. Nous ne devons pas oublier le geste premier de l’observateur qui associe des moyens de repérage qui lui sont propres aux objets en mouvement. A ce stade, il est possible de considérer abstraitement l’irréalité de l’espace et du temps et considérer que l’espace et le temps n’auraient, comme toutes autres variables, qu’une fonction purement relationnelle, selon l’idée de Leibniz ou encore de Mach. Cette conception implique l’idée que la connaissance en physique pourrait s’énoncer par elle-même, sans la ‘Présence’ d’un observateur intelligent qui engendre un discours relatif à cette connaissance.
Est-ce que la réponse de Cavalier qui considère que ce qui vaut pour l’onde EM, vaut pour l’onde gravitationnelle est appropriée ?
Lorsqu’un physicien dit que les ondes gravitationnelles sont des ondes de l’espace-temps, est-ce qu’il peut dire par la suite qu’elles sont des ondes dans l’espace-temps. Rappelons-nous la confirmation de C. Rovelli : « Ainsi donc, pour répondre à votre question: ce qu'on appelle l'espace-temps et le champ gravitationnel sont ultimement la même chose. Puisque que c’est un objet dynamique, ce n'est pas très étonnant qu'il contienne des oscillations qui se propagent dans sa structure. » Il y aurait donc de fait, selon ces propos, une parfaite concomitance entre espace-temps et champ gravitationnel et en conséquence de l’espace-temps et dans l’espace-temps seraient compatibles.
Si j’interprète correctement Th. Damour, on pourrait dire aussi : sur. En effet dans le livre : ‘Einstein aujourd’hui’, l’auteur écrit page 297 : « Nous avons décrit ici la propagation d’une onde gravitationnelle dans un espace-temps de fond décrit par la métrique de Minskovski. On peut aussi considérer la propagation d’une onde dans un espace-temps de fond courbe, c’est-à-dire étudier les équations d’Einstein avec une perturbation (gravitationnelle) supplémentaire non seulement petite mais qui varie sur des échelles de temps et d’espace beaucoup plus courtes que la métrique de fond. » Ici, il y a deux niveaux d’espace-temps, celui de fond et celui de l’onde qui se propage. Celui de fond apparaît comme un espace-temps de fait permanent, atemporel, qui aurait donc la valeur d’un support matériel !
Le fait que le champ gravitationnel et l’espace-temps seraient la même chose impliquerait que c’est le champ gravitationnel qui détermine l’espace-temps et l’observateur n’y est pour rien. Il en résulte que, dans cette situation, le processus de projection de moyens de repérages par l’observateur que j’ai proposé pour le champ EM n’est pas reproductible. En conséquence, il n’est pas correct de faire un parallèle entre propagation d’une onde EM et une onde gravitationnelle, bien qu’elles aient en commun une même vitesse de propagation.
Espace, Temps, Espace-Temps, sont des sujets travaillés sous toutes les coutures. Pendant que j’écrivais cet article, trois nouveaux articles ou livres en anglais ont surgi dans l’actualité : ‘Images du temps : Esprit, Science, Réalité.’ ; ‘C’est étrange : l’intrication quantique mutile (malmène) l’espace et le temps.’ ; ‘Pourquoi l’espace est à 3 dimensions ?’
Du premier ouvrage, il s’agit d’un livre de George Jaroszkiewicz, (édit. Oxford University Press) et Massimo Giovannini, en a fait une présentation dans le ‘CernCourier’ du 4 Mai, dont j’en propose quelques extraits traduits par mes soins :
«… Il y en a qui soutiennent que tandis que le temps est mesuré avec plus de précision, sa nature est discutable étant donné qu’il apparaît omniprésent en physique mais souvent avec des significations légèrement différentes. Il y en a qui clament que le temps est un mystère dont les fondations sont sociologiques, biologiques et psychologiques. Le travail de l’auteur du livre suggère que les différentes disciplines (et même les différents domaines de la physique) conçoivent des images diverses du temps à travers les années. Les propos érudits et ambitieux du livre conduisent à une collection la plus complète des images conceptuelles du temps et en particulier en ce qui concerne la science physique... L’impression générale est que les différentes branches de la physique traitent avec des images multiples du temps. Parce que ces conceptualisations ne sont pas toujours consistantes, le temps est perçu par le lecteur (et partiellement présenté par l’auteur) comme un énigmatique sujet de spéculation. Un lecteur malicieux peut même inférer qu’après presque 5 siècles depuis la méthode galiléenne, les physiciens travaillent quotidiennement avec quelque chose qu’ils ne comprennent pas bien (sic).
Cette revue des différentes images du temps est certainement valable, mais elle échoue à expliquer pourquoi les mesures de plus en plus précises du temps sont corrélées aux constants développements de la science moderne en général et de la physique en particulier. La vérité est que la physique prospère d’un mélange d’expériences, de théories et d’énigmes : sans des mystères qui conduisent notre curiosité, nous ne serions pas pourquoi nous devrions mesurer avec plus de précision, par exemple, le moment magnétique anomale du muon (sic). Cependant, en ne faisant que contempler le temps comme une énigme, nous serions probablement encore cantonnés à l’usage du cadran solaire. »
Le deuxième article provient de la revue : NewScientists du 27 avril, dans la série des étrangetés physiques étaient pointées : ‘L’intrication quantique qui mutile (malmène) l’espace et le temps’.
« Depuis l’an passé, nous avons la certitude que l’action fantôme à distance est crédible sans aucune échappatoire. Cette spécificité doit être considérée comme une caractéristique fondamentale de la nature. Ainsi le problème repose sur notre perception de l’espace et du temps. »
Le troisième article du 3 mai, publié sur le site de physics.aps.org, présente les travaux d’une équipe de recherche qui prétend avoir mis au point un modèle thermodynamique (2e loi de la thermodynamique) qui répond à la question : ‘Pourquoi l’espace a trois dimension ?’
L’auteur nous dit : "De nombreux chercheurs dans le domaine des sciences et de la philosophie ont considéré que les 4 dimensions naturelles de l’espace-temps sont justifiées et nécessaires pour qu’il y ait de la vie, de la stabilité, de la complexité. La grande signification de notre travail est que nous proposons, à partir d’un modèle physique, une dimensionnalité de l’univers avec un scénario raisonnable de l’espace-temps. C’est la première fois que le nombre ‘trois’ des dimensions d’espace survient grâce à l’optimisation d’une quantité physique qui est la densité d’énergie libre de Helmhotz. Cette ontologie de l’espace est conçue durant la toute première fraction de seconde après le Big Bang dès que l’univers commence à se refroidir. Les autres dimensions éventuelles sont figées à des échelles extrêmement petites à cause de ce refroidissement quasi immédiat dû à l’expansion. »
On retiendra, à propos de cette publication, que les chercheurs considèrent comme valables aux premiers instants de l’univers les lois physiques connus aujourd’hui, telle l’énergie libre de Helmhotz : F (T, V) = U – TS. Ceci est à mon sens une gageure qui est très difficile voire impossible à authentifier. Ce qui est certain, c’est que Lee Smolin dans son livre : ‘La Renaissance du Temps’, ‘Pour en finir avec la crise de la physique’, proclame, page 133, que : « La physique doit abandonner l’idée que les lois sont intemporelles et éternelles et adopter à la place l’idée qu’elles évoluent dans un temps qui est réel. » Pour lui c’est une condition sine qua non d’une réalité qui témoigne de l’existence naturelle du temps.