P. Picq l’annonce, S. Dehaene l’illustre.
Lorsque nous découvrons des nouvelles lois et propriétés dictées par la Nature, c’est autant de connaissances qui provoquent une distinction entre ce qui est de l’ordre de notre ‘être de la Nature’ et ce qui est notre ‘être dans la Nature’. Exemple, avec Newton, l’humanité accède à la connaissance que nous sommes physiquement constitués de matière et le poids de cette matière naturelle que nous mesurons résulte de l’effet de l’interaction avec la matière de notre planète Terre, identiquement naturelle. Ainsi sur ce plan, notre matière constitutive fait de l’humanité des êtres de la nature et le fait de connaître notre interaction matérielle avec la Terre et hiérarchiquement avec celle du reste du monde, nous place sur un promontoire qui nous autorise à nous distinguer partiellement de la nature et donc d’avoir un regard extérieur, intelligent, et in fine d’accroitre notre statut d’être dans la nature.
A la fin de ce processus qui accroît ce qui nous est extérieur et affine ce qui nous est intrinsèque il est évident de considérer que le sujet pensant de l’après ce processus n’est plus le même que celui de l’avant ce processus. Ce processus est sans fin et c’est un propre de l’homme. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler qu’il y a un peu plus d’un siècle, pour projeter sa conception basique de la loi de la Relativité Générale, Albert Einstein avait (comme tous les physiciens de l’époque) une compréhension de l’Univers, étriquée, concentrée, qui s’appuyait sur une connaissance très imparfaite de la Voie Lactée. Nous pouvons mesurer le chemin parcouru depuis (grâce, essentiellement, au développement des outils d’observation de plus en plus sophistiqués) et éprouver une sorte de vertige quand on se rend compte de la vitesse exponentielle avec laquelle on éclaire ce chemin. Nous devons intégrer aussi l’idée que depuis une bonne trentaine d’années nous émettons l’hypothèse que la matière qui physiquement nous constitue n’est pas universelle. Elle ne représenterait que 16% de la matière composant notre univers. Y a-t-il un tropisme qui s’ensuit ? Pouvons-nous disposer naturellement d’une capacité d’identification de cette autre matière dite : noire ? Personnellement j’en doute ! Un résultat (positif ou négatif, mais scientifique), ne pourra être obtenu que par un dépassement conceptuel qui de fait sera un véritable saut conceptuel et probablement mettra en évidence ce tropisme aujourd’hui imperceptible.
Dans le dossier ‘Pour la Science’, juillet-septembre 2016, ‘INTELLIGENCE. Notre cerveau a-t-il atteint ses limites ?’, Pascal Picq écrit dans son avant-propos : ‘Le roman des intelligences’ : « Pour appréhender toute la diversité et la richesse des intelligences dans leur dynamique (évolutive ou individuelle), nous devons nous défaire d’une conception dualiste qui oppose humain et animal. C’est aussi essentiel pour que demain nous puissions cohabiter au mieux avec les nouvelles formes d’intelligence. »
Nous défaire d’une conception dualiste qui oppose humain et animal est une condition essentielle pour entendre ce que je propose avec la dynamique évolutive : être de la nature/être dans la nature. Il est possible que sur la base de ce que nous dit P. Picq, d’autres cheminements de réflexions soient proposés mais, selon moi, se défaire de la conception dualiste est une condition première. La partie être de la nature de l’être humain sera toujours réductible mais ne sera jamais déracinable sinon ce n’est plus de l’être humain dont il s’agira. C’est la conquête de l’intelligence des lois physiques gouvernant la Nature qui contribue à l’épanouissement de l’être dans la nature en réduisant les déterminations héritées de l’être de la nature. A ce point de la réflexion il est évident que nous avons envie de nous poser la question : « Quand situer l’origine de ce processus de l’évolution du rapport être de la nature/être dans la nature ? sachant que dès que cette hypothèse est affirmée, il y a le corolaire induit : au tout début il n’y aurait que de l’être de la nature. »
Est-ce que les prémices du processus d’émancipation des lois de la nature s’est engagé, il y a 12 millions d’années, avec le premier des hominoïdes, ou il y a environ 7-8 millions d’années lorsqu’il y a eu divergence avec, entre autres, les gorilles, les chimpanzés, et que la lignée humaine (hominines) apparaît dans la nature ? Faut-il situer les débuts de cet avènement avec le surgissement des premiers Homo, (Homo habilis, Homo erectus, Homo ergaster, …), il y a quelques 2 millions d’années ? Enregistrons avec un grand intérêt que les paléoanthropologues ont acquis ces derniers temps des connaissances suffisantes pour affirmer : « La taille du cerveau a triplé entre 2,6 millions d’années et 200 000 ans, pendant une période charnière pour l’évolution de l’espèce humaine. » Ajoutons à ce constat, celui énoncé par Yves Coppens et qui nous concerne directement : « L’homme est né d’un changement climatique. » Voir ‘La Recherche’, hors-série : mars-avril 2016.
Dans la citation de P. Picq que je privilégie, il est écrit : « … C’est aussi essentiel pour que demain nous puissions cohabiter au mieux avec les nouvelles formes d’intelligence. » Selon l’auteur, nous ne sommes pas à une quelconque apogée et l’être dans la nature va continuer de dépasser les déterminations héritées de l’être de la nature et ainsi continuera de conforter et d’élever le promontoire sur lequel l’intelligence humaine sur la nature gagnera en acuité.
A la fin de son avant-propos, P. Picq analyse : « La première coévolution concerne tous les organismes vivants et leurs interactions. La deuxième se met en place avec les premiers hommes (Homo erectus) avec des innovations techniques et culturelles comme la cuisson et la taille des outils qui modifient et sélectionnent nos organismes, des gènes aux capacités cognitives. La troisième se manifeste depuis le début du XXIe siècle (sic) avec l’impact des NBIC (nanotechnologies, biologie naturelle et de synthèse, sciences informatiques et cognitives).
Mais contrairement aux sirènes du transhumanisme qui postulent que l’évolution est arrivée à son terme et que nos technologies doivent prendre le relais, il faut penser notre avenir en fonction des interactions de ces trois coévolutions ; l’émergence, en quelque sorte, d’une nouvelle intelligence. Car, fondamentalement, c’est quoi l’intelligence ? Essentiellement des interactions. »
Aujourd’hui grâce à l’imagerie cérébrale on commence à acquérir des compréhensions significatives à propos du fonctionnement de notre cerveau. Empiriquement nous découvrons des mécanismes et des organisations physiques propres à notre cerveau qui sont en jeux lorsque nous cogitons (état permanent, que nous soyons éveillés ou pas). A partir de ces observations on peut mieux comprendre ce qui est de l’ordre de l’apprentissage et comment celui-ci, lorsqu’il a correctement abouti, devient un donné permanent libérateur qui favorise l’émergence de nouvelles tâches et de nouvelles inférences
Récemment des travaux de Stanislas Dehaene ont permis d’imager ce qui se passe, dans le cerveau de mathématiciens professionnels comparativement avec celui de non-mathématiciens mais ayant un niveau général académique identique, lorsqu’on pose des questions à propos du vrai ou du faux concernant des déclarations mathématiques et non-mathématiques. Chez les mathématiciens professionnels, l’imagerie cérébrale montre clairement que les zones du cerveau activées sont les mêmes que celles correspondantes aux nombres, aux calculs et aux représentations dans l’espace, tout autant pour des questions en algèbre, en analyse, en topologie, en géométrie. Aucune zone identifiée à celle du langage n’est active pendant cet interrogatoire. Ceci laisse voir que les professionnelles cogitent les mathématiques abstraites en utilisant les mêmes zones que celles de l’apprentissage basiques des mathématiques (après automatisation des tâches mathématiques les plus simples). Les mathématiques de haut niveau recyclent des fonctions cérébrales anciennes du point de vue de l’évolution de la personne.
A partir de ces constatations, sur le plan scolaire, il est légitime de considérer que si l’apprentissage élémentaire des mathématiques est correctement fait cela permet aux enfants de comprendre les mathématiques au-delà du simple calcul algébrique. Dans ce domaine, et dans d’autres, ces observations donnent de l’espoir aux enseignants d’exercer leur métier avec un taux de réussite plus élevé, cela s’appelle la neuro-éducation.
Etant donné la valeur des résultats récents publiés par M. Almaric et S. Dehaene, in PNAS en ligne le 11 avril 2016 : ‘les origines des réseaux cérébraux pour les mathématiques avancées chez les mathématiciens experts.’, on peut considérer que l’imagerie cérébrale a atteint un niveau de maturité tel, que ce domaine d’observation et d’interprétation fait maintenant autorité. Aussi, je réitère ma proposition d’expérience qui pourrait lever un coin du voile en mécanique quantique à propos du principe de superposition qui est un principe général en M.Q. mais que je propose de traiter en particulier en ce qui concerne la complémentarité onde/particule. Comme dans l’exemple précédent, il faut choisir deux catégories d’observateurs. Des observateurs physiciens professionnelles et des observateurs non-professionnelles de la physique, ceux-là surtout ignorant de ce qui constitue le domaine de la physique des ondes. Ensuite l’expérience consiste à placer, ces deux groupes de personnes équipées des moyens d’observation d’IRM fonctionnelle, successivement devant le même interféromètre. La 1e expérience consiste à observer les régions cérébrales qui sont activées lorsqu’un objet quantique parcourt l’interféromètre avec une information spatio-temporelle à propos de sa trajectoire. La 2e expérience est identique à la 1e sans information spatio-temporelle.
Quelles seraient les résultats possibles ?
a) Avec une information spatio-temporelle sur la trajectoire, je fais l’hypothèse que les images cérébrales seraient semblables pour les 2 catégories de personnes. Et l’apparaître de l’objet quantique serait ponctuel.
b) Sans information spatio-temporelle sur la trajectoire, je fais l’hypothèse que chacune des catégories laisserait voir des images cérébrales différentes.
Dans le cas a) je considère que le repérage spatio-temporel correspond à un apprentissage qui est acquis par tous les hommes. Les paléoanthropologues conjecturent que l’intellectualisation de l’espace et du temps s’est engagé il y au moins 2 millions d’années et elle aurait pu contribuer à la sélection naturelle. Le repérage spatio-temporel est donc une vieille histoire, il est acquis depuis longtemps (avec l’évolution, il s’est évidemment affiné) et il se pourrait que la région cérébrale active, dans ce cas, soit située dans une zone archaïque du cerveau.
Dans le cas b) les physiciens professionnels intellectuellement outillés pour pallier à l’absence d’information spatio-temporelle mettront en jeu une zone du cerveau récemment éduquée à la représentation ondulatoire. Je fais cette hypothèse parce que la représentation ondulatoire ne relève pas de la même histoire, elle est une représentation abstraite, formelle qui ne peut être spontanée. La conception ondulatoire n’est pas naturelle, c’est par l’étude qu’elle est acceptée. Historiquement, c’est une conception proposée à l’origine par Ch. Huygens (1629-1695), puis contrée par I. Newton (1647-1727), enfin devenue acceptable grâce à A. Fresnel (1788-1827).
Dans le cas b) les non-professionnelles physiciens n’auront pas d’alternative à la représentation de l’objet qui ne se laisse pas voir dans l’espace ni dans le temps de son trajet dans l’interféromètre. En conséquence, toujours selon l’hypothèse que je propose en partage, les images cérébrales qu’ils livreront seront très différentes.
Si ce que je conjecture précédemment est validé, il serait alors intéressant subdiviser le groupe de physiciens professionnelles avec d’un côté ceux qui ont été formés à la mécanique quantique et d’un autre côté ceux qui n’ont pas du tout été formés à cette discipline. Là encore on pourrait conjecturer des images cérébrales distinctes.
L’expérience que je propose peut être à juste raison controversée, elle ne résoudra pas toutes les énigmes que posent la mécanique quantique surtout celles postulées par l’Ecole de Copenhague. Les résultats de cette expérience permettront de mieux situer à partir de quel niveau se situe ou ne se situe pas notre participation à la révélation du monde des physiciens, problématique effective comme nous le rappelle Anton Zeilinger ci-après :
« Je ne suis pas un adepte du constructivisme, mais justement un adepte de l'interprétation de Copenhague. D'après cette théorie, l'état quantique est l'information que l'on a sur le monde. [...] Il s'avère finalement que l'information est la base fondamentale et essentielle du monde. Nous devons bien nous démarquer du réalisme naïf, selon lequel le monde existe seul sans notre participation et indépendamment de notre observation. »