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15 novembre 2016 2 15 /11 /novembre /2016 14:35

A chacun sa tranchée

La publication récente, de très grande qualité, des résultats concernant l’observation des variations de vitesse de déplacement des étoiles dans 153 galaxies de toutes sortes (formes, masses, densités) obligent à une réévaluation de la validité de la théorie de la Matière Noire ainsi que celle de la théorie Mond. Les résultats des observations publiés mi-octobre par S. McGaugh et F. Lelli et les autres a provoqué un tir groupé de publications que les différents auteurs proposent d’interpréter suivant leur grille de lecture très déterminée par leur croyance préalable. Pour certains (majoritaire aujourd’hui) sur la base de leur croyance définitive en la théorie de la Matière Noire et pour les autres plus disponibles à considérer positivement la théorie Mond. Ces deux groupes ont conscience que de toute façon le Modèle Standard de la Cosmologie va devoir être repensé, conduisant à une réévaluation de celui-ci avec des conséquences plus ou moins importantes voire radicales.

Il y a deux types d’articles génériques marquant une différence contrastée d’analyse et d’interprétation des résultats de McGaugh. Il y a d’un côté des articles qui ont pour titre : ‘Des galaxies défient la théorie de la matière noire’ et ‘Des corrélations entre la rotation des galaxies et la matière visible laisse perplexe les astronomes’ et de l’autre côté des articles qui titrent : ‘Les galaxies spirales défient la matière noire’ et ‘Connection entre le côté brillant et noir des galaxies.’ Dans ces derniers on constate que le décryptage des résultats est proposé dans le cadre de la théorie de la Matière Noire et c’est ce que je me propose d’évoquer en premier temps. Je me réfèrerai principalement aux arguments qui sont développés dans l’article : ‘Connection…’ de A. Kosowsky, du 9/11, dans phys.aps.org, car le raisonnement apparemment implacable qu’il développe est parfaitement traçable dans le sens où, selon lui, il n’est pas possible d’interpréter les nouveaux résultats en dehors de la théorie de la matière noire. Idem pour l’autre : ‘Des galaxies spirales…’.

Alors que les observations de McGaugh rapportent qu’il y a une relation directe entre la variation de l’accélération centripète des étoiles (V2/R : V = vitesse tangentielle et R = distance du centre de la galaxie) et la variation de la quantité de matière visible (baryonique) et donc qu’il y a une corrélation entre les deux, Kosowsky nous dit : « Il a été montré une simple relation entre l’accélération rotationnelle de ces galaxies et la distribution de la matière ordinaire (baryonique) qu’elles contiennent. Puisque (sic) la matière noire est la principale composante de ces galaxies – et donc le principal déterminant de la rotation de la galaxie – cette découverte implique que la distribution de la matière conventionnelle dans le disque spécifie le profil de la densité du halo de la matière noire qui l’entoure. » Il faut rappeler que les résultats de McCaugh sont identiques quelle que soit le type de galaxie : qu’elle soit massive ou non, spirale ou non, brillante ou moins. Malgré tout, Kosowsky continue d’interpréter les résultats d’une manière bornée par une conception qui privilégie, sans aucun questionnement de sa part, la théorie de la matière noire. Ainsi il affirme : « La loi de Tully et Fisher a montré une corrélation entre la matière visible et la matière noire : la luminosité d’un disque galactique, proportionnelle à sa masse de matière visible, dépend d’une loi de puissance de sa vitesse de rotation aux grands rayons, essentiellement déterminée par son contenu en matière noire (sic). Et de plus grâce à McGaugh qui a montré une remarquable relation simple entre la distribution radiale de la matière visible dans le disque des galaxies et la dépendance radiale de la vitesse de rotation, cela confirme qu’il y a une corrélation (sic) entre la matière visible et la matière noire. » Cette interprétation est franchement erronée car, au contraire, la remarquable loi de Tully-Fisher (empirique : fruit d’observations) constituerait plutôt une première validation de la théorie Mond. Ce qui est impressionnant chez Kosowsky c’est qu’il ne peut pas penser la dynamique des galaxies en dehors d’une existence problématique de matière noire qui, jusqu’à présent, n’a jamais été observée d’une façon ou d’une autre (voir article sur le blog du 29/07/2016 : ‘Abandonner l’hypothèse de la matière noire’). N’oublions pas que la physique est une science de l’observation en conséquence il n’est pas possible d’affirmer que les vitesses excessives de plateau des étoiles périphériques – en se fiant uniquement à la loi de Newton – ne peuvent s’expliquer qu’avec la matière noire qui jouerait le rôle de glue alors que la publication nouvelle nous dit qu’une seule chose : corrélation entre la distribution radiale de la matière visible et la variation de la vitesse de rotation et rien de plus.

Plus impressionnante encore est la lecture par Kosowsky des résultats quand il constate que lorsque l’accélération centripète est supérieure à 3×10-9m/s2 il y a accord entre la valeur prédite des vitesses par le calcul avec la loi de Newton, soit aN, et celles observées, mais si l’accélération est plus petite alors la vitesse observée est plus grande que la prédite. On remarquera qu’une telle valeur pivot, toujours la même quelle que soit le type de galaxie, a été postulée par Milgrom, il y a plus de trente ans mais avec une valeur différente : 1,2×10-10 soit 25 fois plus petite. Est-ce que cette différence de valeur a un sens ou a-t-elle vocation à s’annuler ? On verra bien. (Il est étonnant qu’aucun autre article de compte rendu n’évoque cette valeur pivot de 3×10-9)

Avec cette remarque finale : « Une possibilité pour expliquer les nouvelles observations c’est de considérer que celles-ci sont relatives à une fin naturelle (sic) de l’évolution astrophysique des disques des galaxies et de la matière noire. » on peut constater que l’auteur est prêt à avancer des explications inédites, arcbouté qu’il est dans sa tranchée pour justifier la théorie de la matière noire.

Evaluons pourquoi il y tient à cette théorie, et c’est à la fin de son article que cela est explicite. Subsidiairement l’auteur évoque donc une explication alternative qui est celle de Mond (Modified Newtonian Dynamics) : « Il se pourrait que la loi de Newton ne convienne pas. La relation d’échelle pourrait indiquer une modification de la loi de la force de gravitation de Newton plutôt que d’introduire de la matière noire. M. Milgrom a défendu cette possibilité depuis 1983, et J. Bekestein en 2004 a démontré que cette loi modifiée pouvait bénéficier d’une propriété de covariance et devenir compatible avec la loi de Relativité Générale. La modification de la gravité de Newton évite les difficultés de corrélation entre la matière noire à la matière visible dans les galaxies (pour être clair, en fait, avec Milgrom il n’y a pas (plus) de matière noire). Mais si une modification de la gravité peut reproduire les observations de la dynamique des galaxies, cela conduit à des difficultés sérieuses quand on veut faire coïncider des observations obtenues à des échelles cosmologiques différentes, incluant le développement des structures, les amas de galaxies, l’effet lentille gravitationnelle, etc… (ceci est vrai bien que cela soit d’une façon de moins en moins dramatique car la théorie Mond est ajustable).

Je réserve pour la fin l’explication pour laquelle on assiste à une telle résistance, à un tel aveuglement, de la part d’une majorité de physiciens : « La relation de l’accélération observée dans les disques galactiques présente un clair challenge pour la simulation de la formation de galaxies dans le cadre du Modèle Standard de la Cosmologie. Cela conduira à une compréhension plus profonde des processus astrophysiques de la formation des galaxies, ou – peut-être possiblement – à une révision substantielle des théories physiques fondamentales. » Voilà cela est dit.

Dans l’autre article générique de Sean Bailly on peut lire : « Cependant, si Mond est la solution pour expliquer les courbes de vitesse des galaxies et que la matière noire n’existe pas, il reste à expliquer toutes les autres situations où la matière noire apporte (sic) une explication efficace. » Pourquoi est-il possible de proposer une telle réponse puisqu’on ne sait pas ce qu’est la matière noire et elle n’a jamais été détectée ? On est ici dans la doctrine et non pas dans la démarche objective, dite scientifique, et ça fait longtemps que cela dure.

L’autre tranchée a été creusée méthodiquement, empiriquement, depuis 1983, par M. Milgrom. Son hypothèse est franchement iconoclaste car il propose de modifier la loi de Newton lorsque l’accélération centripète devient < 1,2×10-10m/s2. Iconoclaste parce qu’il détruit le caractère de loi universelle, qualité prêtée à la loi de Newton (et n’est pas remise en cause par la R.G. l’héritage étant assumé). Ainsi les physiciens devraient considérer que le monde n’est pas ordonné comme ils le pensent, il serait donc plutôt configuré comme un jeu de poupées russes. Ou bien le monde est parfaitement ordonné, unique, mais les physiciens n’auraient pas (encore) accédé à la loi qui régit cette unité. En l’occurrence, quelle que soit la réalité de ce monde, on comprend pourquoi les physiciens n’étaient pas (ne le sont toujours pas) accueillant à l’égard de cette hypothèse de Milgrom. Quoi qu’il en soit avec Mond la théorie de la matière noire est annulée et progressivement, en 33 années, Milgrom obtient des confirmations entre des observations et ses prédictions théoriques.  Elles ne sont toujours pas suffisantes pour que l’hypothèse Mond soit adoptée mais elle devrait être mieux prise en considération par un plus grand nombre de physiciens. Comme le précise Milgrom dans un article dans le NewScientist du 3/05/2014 qui a pour titre : ‘Il est temps de renoncer à la matière noire’, « La théorie Mond est nettement plus économique. Pour chaque galaxie, les théoriciens de la matière noire doivent définir au fur et à mesure la quantité et la distribution de matière noire. Ainsi, si on comprend 10 galaxies, nous ne connaissons toujours pas la onzième. La matière noire explique après coup. Mond prédit les choses à l’avance. Ceci est la clé. » Cette remarque de Milgrom est pertinente car si les physiciens sont rebutés par la rupture de l’universalité de Newton, ils se condamnent au bricolage avec la matière noire. Dans l’article on lui demande : « Est-ce que cela vous embête que la plupart des physiciens continuent de rejeter votre idée ? » ; il répond : « Il y a 15 ans, je trouvai cela consternant. Maintenant, je suis au-dessus de ça. Dans les récentes années, environ 700 publications exploitant Mond ont été publiées. Cela est vraiment encourageant. »

Maintenant nous sommes dans une période cruciale car les observations publiées par McGaugh pourraient valider Mond ou au moins confirmer des convergences significatives avec et remettre en cause le modèle de la matière noire. Les articles génériques de points de vue plus objectifs nous disent : « Les résultats nous parviennent avec surprise parce qu’ils ne sont pas prédits par le modèle de matière noire conventionnelle. » Milgrom a malgré tout exprimé un sérieux mécontentement parce que McGaugh ne lui a pas attribué franchement la paternité de ces résultats qui sont, selon lui, la confirmation de sa théorie. Mais on vérifie que la théorie de la matière noire a étonnamment imprégné les esprits car McGaugh le confirme : « Il veut garder l’esprit ouvert en pointant l’idée que des formes exotiques de matière noire par exemple superfluides ou même des dynamiques complexes des galaxies pourraient être consistantes avec les données. Néanmoins, il ressent aussi qu’il y a un rejet implicite à l’égard de la théorie Mond parmi les membres de la communauté scientifique. »

McGaugh est prêt à mettre un pied dans la tranchée de M. Milgrom mais ses collègues retiennent l’autre pied : « L’essentiel de notre compréhension courante de la cosmologie repose sur la matière noire. Il se pourrait que mes résultats menacent les modèles de la formation des galaxies et de la formation des structures aux grandes échelles. Je le pense mais pas mes collègues. »

Maintenant essayons de comprendre l’hypothèse originale qui permettrait de rendre compatible à la fois les résultats de Mond et l’hypothèse de la matière noire. Il s’agirait de prendre en compte le modèle de la matière noire exotique et ainsi assister à une fraternisation entre les occupants des deux tranchées. L’axion serait typiquement une particule exotique. Ce qui est important de remarquer c’est qu’elle ne fut pas inventée pour les besoins de la cause de cette hypothèse, non elle précède celle-ci. Ce fut au tout début des années 1980 que dans le cadre de la théorie de la chromodynamique quantique (QCD) que le formalisme prêté à cette interaction faisait apparaître une violation de CP : non observable concrètement, aussi il fallut colmater cette faille du formalisme et ce fut l’hypothèse de l’axion qui reçut une approbation majoritaire de la part des physiciens. Précisons tout de suite qu’elle n’a jamais encore été observée, si malgré tout elle existe, voyons pourquoi. Sa masse estimée est très petite entre 1 meV et 1 µeV, elle est neutre, elle est supersymétrique. Dotée de ces trois paramètres, elle n’a pas jusqu’à présent été détectée dans les trois détecteurs configurés à cette fin. Il semblerait qu’il lui fut attribué d’autres propriétés pour qu’elle hérite de la qualification de matière noire aussi exotique. Donc ce supplément de propriétés serait pour les besoins de la cause et à mes yeux cette nouvelle invention réduit la fiabilité du sujet. Allons quand même jusqu’à ce qui justifie le terme d’exotique. L’axion interagit très faiblement avec la matière ordinaire et serait présente dans l’univers avec une densité de 107/cm3 (rappelons-nous que pour les photons c’est 400 et les neutrinos 300).  D’après B. Famaey, dans l’article de Futura science du 15/10 : « Ces particules pourraient se comporter comme un superfluide sans viscosité en dessous d'une certaine température critique. Cette température critique serait d'autant plus élevée que la densité est grande. Cette transition de phase se produirait justement au niveau des galaxies, lorsque la matière noire est beaucoup plus froide, un peu comme un gaz qui se condense en donnant des gouttes de liquide.

Des ondes sonores dans ce superfluide sont décrites par des phonons, comme dans le cas des solides, d'un point de vue quantique. Il est alors possible de montrer que ces phonons peuvent interagir avec la matière normale comme si la force de gravité était modifiée en donnant précisément les phénomènes que l'on trouve dans le cadre de Mond.

Au moment où le rayonnement fossile a été émis et au niveau de la formation des amas de galaxies et des grandes structures qui les regroupent, la matière noire est, bien sûr, non relativiste mais quand même trop chaude pour se comporter comme un superfluide, de sorte que Mond ne s'applique pas. »

Le sujet est ouvert, il n’est pas prêt de se refermer, nous aurons donc l’occasion d’en reparler.

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