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27 janvier 2017 5 27 /01 /janvier /2017 12:11

Dieu est-il mathématicien ?

Le questionnement en titre de cet article, comme je l’ai souvent exprimé, n’est pas banal, n’est pas marginal, de fait il est central. Suivant la réponse que les physiciens formulent à l’égard de cette question dépend non seulement la représentation qu’ils développent du monde physique mais aussi de facto elle détermine le rôle et la place de l’être réflexif qui cogite ce monde. Cette problématique que je souhaite présenter concerne principalement les physiciens théoriciens, qu’ils soient à l’origine des mathématiciens ou non, mais pas uniquement car en général, que ce soit consciemment ou inconsciemment, la réponse suscité par ce questionnement oriente la façon d’aborder les problèmes de physique dès qu’ils s’insèrent dans un modèle de représentation préétabli.

‘Dieu est-il mathématicien ?’ est le titre d’un livre qui vient d’être publié : édit. O. Jacob, auteur ‘Mario Livio’, qui m’offre donc un excellente occasion pour traiter ce sujet. Lorsque Cédric Villani déclare : « les mathématiques sont le squelette du monde, la physique en est la chair. », apparemment il peut y avoir consensus à propos de cette affirmation mais son interprétation sera multiple. Effectivement, comme on le verra plus loin, le physicien, sous l’influence de la métaphysique platonicienne, l’interprétera suivant un certain schéma fidèle à l’idée qu’un ordre mathématique (le squelette) préexiste dans le monde. Pour les non platoniciens, ce qui conduit à la connaissance du monde c’est l’appréhension, l’observation, des contours de la chair du monde et concomitamment l’invention des outils mathématiques qui consolident et structure intellectuellement les observations et conduisent à formuler des prédictions.

Voici à grands traits ce qui constitue un clivage significatif entre les platoniciens croyants et les non croyants. On peut me répliquer que ceci n’a pas d’importance car c’est le résultat qui compte. Mais en fait, il n’y a jamais de résultat qui boucle sur un savoir complet, final, au contraire le plus souvent il provoque un questionnement nouveau, conduit à des hypothèses nouvelles, a des extrapolations divergentes, à coup sûr, suivant des croyances préalables. Il suffit de prendre en considération des exemples multiples en mécanique quantique après 100 années de développement de cette mécanique. Je cite une réplique illustrative de S. Hawking a R. Penrose dans le livre : ‘Les deux infinis et l’esprit humain’, collection Flammarion, (2003) p.189, dans le chapitre ‘Les objections d’un réductionniste sans vergogne’ : « R. Penrose et moi avons travaillé ensemble sur la structure de l’espace-temps à grande échelle, y compris les singularités et les trous noirs. Nous sommes bien d’accord sur la théorie classique de la relativité générale, mais des désaccords ont commencé à émerger quand nous sommes passés à la gravitation quantique. Nous suivons à présent des voies différentes vers la compréhension du monde, physique et mental. Il est fondamentalement un platonicien qui croit en un monde unique des idées qui décrivent une réalité physique unique. Moi, au contraire, je suis un positiviste qui croit que les théories physiques ne sont que des modèles mathématiques que nous construisons et qu’il n’y a pas de sens à demander si elles correspondent à la réalité, mais seulement si elles prédisent les observations (sic).»

Pour le platonicien, l’être réflexif est passif, c’est un contemplateur, un découvreur de ce qui préexiste, un chercheur qui doit écouter la nature elle-même, et par la réminiscence il lui faut retrouver les ‘Idées’ comme le préconisait déjà Galilée en son temps : « Moi je vous dis que si quelqu’un ne sait pas la vérité de par lui-même, il est impossible qu’un autre le lui fasse connaître. » P. Dirac, le théoricien découvreur de l’antiélectron a fait, intellectuellement et avec certitude, surgir cette nouvelle particule de la pointe de son crayon parce que les équations qu’il mettait en évidence révélaient des propriétés de symétries, comme il le disait là où je constate de l’harmonie, de la beauté, j’atteins la vérité de la Nature. Pour illustrer et comprendre ce propos, il suffit simplement de regarder l’image d’un flocon de neige au microscope. Morale de l’histoire, trois années après la prédiction de P. Dirac, l’antiélectron a effectivement été observé (1932) et c’est le nouveau paysage d’une très grande ampleur, celui de l’antimatière, qui se dévoile à la sagacité des physiciens.

Découvreur ou inventeur ? : tel est le clivage fondamental qu’a identifié l’auteur du livre, dès le premier chapitre. Je préconise la lecture de ce livre car il est le plus exhaustif possible quand on traite ce type de sujet (puisqu’on passe en revue 25 siècles de réflexions) et l’auteur n’a pas la volonté d’imposer son point de vue, au contraire, il nous donne les moyens d’avoir un point de vue propre lorsque l’on referme le livre.

Je cite : « Pour les platoniciens, il existe une réalité mathématique distincte de la nôtre. Pour les constructivistes, les mathématiques progressent et évoluent en fonction de nos besoins, cela résulte de l’émergence d’Homo mathématicus façonné par l’évolution et capable d’appréhender le ‘réel’ avec des outils mathématiques de plus en plus sophistiqués. » voir mon article du 27/08/2014 : ‘Un authentique Big-Bang’

Etant donné l’efficacité apparente des mathématiques, il est légitime de se demander : « Les mathématiques sont-elles totalement indépendantes de l’esprit humain ? Ont-elles une existence autonome ? Ou sont-elles une invention humaine ? »

D’emblée, j’indique que je mettrais plutôt en exergue les arguments qui correspondent à ma conviction qui est celle des non platoniciens. Ceux qui ont la pratique de lire mes articles savent que je place au centre du processus de la conception du savoir en physique le ‘sujet pensant’ qui doit sans cesse différencier et faire évoluer ce qui est de l’ordre de ‘l’être de la nature’ de ce qui est de l’ordre de ‘l’être dans la nature’, c’est la condition de l’existence et le propre de l’évolution de ‘l’être humain’. Aucune transcendance ni aucune immanence n’offrent un coup de pouce à cette nécessaire dynamique.

Je cite volontiers Sir Michael Atiyah, (que l’auteur me fait découvrir et qualifié comme l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle), médaille Fields 1966 et prix Abel 2004, « L’homme a créé les mathématiques en idéalisant les éléments du monde physique… les mathématiques sont une partie naturelle de l’humain. Elles émanent de nos corps, de nos cerveaux et de notre expérience quotidienne… Si l’on envisage le cerveau du point de vue de l’évolution (sic), alors le mystérieux succès des mathématiques dans l’explication du monde naturel s’explique en grande partie. Le cerveau a évolué en fonction du monde physique (sic), et il n’est nullement étonnant qu’il ait développé un langage, et des mathématiques, bien adaptés à ce but… Les mathématiques, qui émergent d’un esprit incorporé, sont ainsi un système de concepts qui fait un usage extraordinaire des outils ordinaires de la cognition humaine… Les êtres humains ont créé les mathématiques, et nous sommes responsables de leur bon usage et de leur extension. » voir article du 18/03/2015 : ‘Décrypter la physique comme science de l’interface de l’être humain et de la Nature’.

En Europe, la science physique moderne est née au XVIIe siècle à partir de l’affirmation que dieu était mathématicien. Durant ce siècle s’est opéré de façon péremptoire et absolue une identification du monde à un gigantesque complexe mathématique, dont la science aura désormais pour but de révéler l’agencement. Pour cette raison l’auteur nous précise que nous sommes maintenant dans le registre théologique et nous dit fort justement : « Plus fondamentalement, Galilée, Descartes et Newton ont changé la relation entre les mathématiques et les sciences. D’abord, la révolution scientifique de cette époque a encouragé les recherches mathématiques. Ensuite, les champs mathématiques abstraits, comme le calcul différentiel, sont devenus l’essence même des explications physiques. Finalement, la frontière entre les mathématiques et les sciences s’est brouillée au point de devenir indiscernable dans bien des domaines. Tout cela fait que les mathématiques ont suscité un enthousiasme comparable à celui qu’elles avaient généré dans la Grèce antique. Le monde s’ouvrait aux mathématiciens… »

Si, pour les trois fondateurs historiques de la science moderne, la réalité de dieu n’était pas sujet à un questionnement, il y avait entre eux plus que des nuances sur le rôle et la place qu’ils lui attribuaient. Pour Galilée et Newton, qui avaient une connaissance approfondie de la métaphysique platonicienne, leur Dieu n’était pas que le fondateur du monde pour ensuite se retirer sur son Aventin car selon Newton : il doit exister un agent non matériel qui « active » la nature, une « quantité de présence » indéfectible et à ce titre l’espace absolu est le sensorium (centre de toutes les sensations) de Dieu. Par contre, la philosophie de la nature mécaniste (chaîne de causalité) de Descartes peut s’interpréter jusqu’à nier l’existence de Dieu, puisque le fonctionnement de la mécanique du Monde suit les lois mathématiques nécessaires du mouvement et au mieux, Dieu serait le créateur d’un Univers qui, une fois l’œuvre faite peut se développer à sa guise, sans autre intervention divine. Pour Newton cela était une hérésie et il abhorrait cette conception mécaniste. Ce rejet ne fut pas sans conséquence pour lui puisqu’il préféra ne pas publier ses travaux, conçus autour de 1665 exploitant l’analyse cartésienne, qui équivalent au calcul différentiel et intégral que Leibniz publiera presque vingt ans plus tard, et ceci alimenta une polémique et des échanges de noms d’oiseaux, sur la base d’accusation de plagiat (déjà).

Culturellement, intellectuellement, à des degrés divers, nous sommes toujours imprégnés par cette problématique immanence/transcendance. A ce titre, je conseille l’article de Heinz Wismann dans le N°H.S. de Sciences et Avenir de janvier-février 2017, p.81, qui nous dit : « Autrement dit, le christianisme, grâce à sa conception duale de la nature de Dieu, à la fois transcendant et immanent (proclamée au concile de Nicée en 325 et rejetée par Newton (sic)) a ouvert l’espace d’un questionnement qui débouche sur la science moderne… C’est parce qu’il était profondément croyant que Galilée a été un grand scientifique. Les scientifiques peuvent parfaitement être athées, la science qu’ils pratiquent est d’inspiration chrétienne. »

Autant, comme on le vérifie, le clivage qu’a privilégié Mario Livio est approprié pour marquer la nécessité de comprendre combien l’antinomie conceptuelle création/découverte scientifique puise sa source déterminante dans des a priori métaphysique-philosophique. Toutefois, il n’est pas possible de tout rendre compte en fonction de cette simple binarité. Je rappelle pour exemple ce qui est écrit et aussi dit dans l’article (toujours de ‘Sciences et Avenir’ ci-dessus référencé) : ‘Les Mathématiques, ordre caché de la nature’, p.68. Cédric Villani déclare : « Les mathématiques sont le squelette du monde, la physique en est la chair. » Un platonicien (ce qui semble être le cas de Villani) a priori adhère à cette déclaration car disposant du squelette immanent il est plausible qu’on puisse après coup l’habiller de sa chaire mais un non platonicien peut aussi approuver ce dire sans aucune réticence. Les raisons qui conduisent à cette double adhésion sont le fait d’interprétations différentes. Le physicien est celui, qui par ces observations, prospecte à tâtons les contours accessibles de la chair du monde. Lorsqu’il pense avoir atteint un bon degré de détection de ces contours, il est classique qu’il s’efforce de les mettre en langage mathématique (soit en puisant dans l’existant, soit en le construisant.), c’est une voie de structuration dans un langage commun scientifique communicable entre paires. Cette structuration formelle peut être considérée comme l’esquisse d’un squelette voire plus, cela dépend de l’avancée de l’identification des contours. Ici les mathématiques ont un caractère utilitaire, on est clairement dans un processus d’invention.

La précipitation avec laquelle on plaque un formalisme mathématique alors que la chaire détectée est trop parcimonieuse peut-être aussi franchement néfaste car cela peut masquer une phénoménologie nouvelle et originale. C’est à mon sens ce qui est le cas en ce qui concerne les neutrinos. Forcer par analogie la thèse de leur oscillation et conséquemment leur attribué une masse d’inertie classique conduit, depuis plus de 30 ans, à bâtir un puzzle d’hypothèses qui éloigne d’une possible élucidation de ce que nous révèleraient plus authentiquement ces mystérieux neutrinos.

Dans l’article du 5/11/2016, j’ai eu la possibilité de vous présenter la conception et des résultats du travail de Carl Bender qui a mon sens n’est pas une réplique du binarisme platonicien/non platonicien. C. Bender nous explique : « J’utilise la physique pour générer des problèmes intéressants et ensuite j’utilise les mathématiques pour les résoudre… Mon approche est de comprendre ce qui se passe dans le monde réel – où nous vivons – en étudiant le monde (mathématique) complexe, qui inclut le monde (mathématique) réel comme un cas spécial…etc. »

Il y a aussi le grand physicien du XIXe siècle, J.C. Maxwell, qui nous délivre sa conception pragmatique de l’accès à la connaissance des lois de la nature : « Son œuvre consiste à s’appuyer sur une modélisation de la nature, c'est-à-dire de lancer sur la nature des filets – autrement dit des « modèles » - pour en attraper les secrets dont les mailles sont mathématiques, tout en sachant bien que ce sont là des artifices, en ce que ces modèles ne reflètent jamais fidèlement les mécanismes qu’ils servent à représenter ». Ainsi, Maxwell, par le maniement des artifices, entendait pénétrer plus avant dans l’intelligence de la nature et en formuler les lois fondamentales, qu’il pensait être sinon géométriques du moins structurales.

C’est donc une controverse tout autant métaphysique que philosophique qui perdure depuis au moins 25 siècles et cela, à n’en point douter, persévérera. On peut constater que cette controverse, si fructueuse, est présentée uniquement dans le contexte d’une culture occidentale et plus précisément européocentriste. Qu’en est-il, fondamentalement dans d’autres contextes culturels ? Je crois que nous ne disposons pas, à ce jour, d’études suffisamment développées pour pouvoir mener des réflexions comparatives d’une culture à une autre. C’est un manque évident, espérons qu’il pourra être comblé.

 

 

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