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1 février 2017 3 01 /02 /février /2017 09:36

Où mène la raison

En consultant les livres qui étaient exposés à la vitrine d’une librairie, je me mis à l’arrêt sur le titre : « Pourquoi ne peut-on pas ‘naturaliser’ la raison », de Hilary Putnam. H. Putnam (enseignant la logique mathématique à Harvard), je connaissais en tant que philosophe des sciences dures professant un réalisme scientifique, mais pas ce livre sur la question de la naturalisation de la raison. Spontanément, j’achetai le livre car je me demandai comment il était possible de supposer que la raison soit de la nature comme en creux cela était supposé dans le titre. lisant ce livre avec intérêt, je retrouvais des arguments satisfaisant, confirmant que la raison était une production humaine et qu’elle résultait de ce qui faisait la spécificité de l’être humain. Ainsi je pouvais lire : « Je dis que la raison en tant que tel est langagière, d’une part : immanente, dans le sens qu’il est impossible de la trouver en dehors de jeux de langage concrets et d’institutions concrètes et qu’elle est : en même temps transcendante, dans le sens qu’elle est une idée régulatrice en fonction de laquelle nous nous orientons lorsque nous critiquons nos activités et nos institutions. Nous retrouvons-là l’articulation entre une philosophie des concepts et une philosophie des préceptes. » Avec cette citation on vérifie que Putnam parle de la raison qui guide notre réflexion, tout autant dans notre vie quotidienne et banale que la raison qui oriente notre raisonnement face à une énigme scientifique. C’est aussi cette raison qui est en jeu quand on dit : « Il n’y a pas de raison que cela soit ainsi… il est déraisonnable de considérer la chose sous cet angle… et c’est aussi la raison de l’expression : « c’est la raison du plus fort qui est toujours la meilleure. » fin pour mesurer l’importance de ce que ce mot véhicule de signification pour nous humains, il suffit d’évoquer les travaux de E. Kant sur la : ‘critique de la raison pure’, et la : ‘critique de la raison pratique’.

Ce qui s’affirme dans le livre, pour conforter l’idée d’une impossible naturalisation de la raison, c’est une critique sans concession au réalisme métaphysique et au naturalisme philosophique. Le réalisme métaphysique, en tant que métaphysique, c’est une croyance que l’on conçoit comme étant a priori dans l’ordre des choses et la pensée de celui qui est croyant est organisée en fonction de celle-ci (voir par exemple la métaphysique platonicienne). Le naturalisme philosophique c’est plutôt un choix qui se fait à postériori car il est ce qui offre la meilleure cohérence à des convictions-intuitions qui précèdent. Le naturalisme philosophique est argumenté par celle ou celui qui intellectuellement conçoit qu’il n’y a pas d’autre réalité que la nature.

Avec la lecture du livre de H. Putnam, je rencontrai de la concordance pleine et entière avec l’idée qu’il n’était pas possible de naturaliser la raison, et au fond de moi j’étais rassuré au point que je me suis demandé pourquoi a contrario l’idée d’une validité éventuelle de l’hypothèse inverse m’inquiétait d’une façon si troublante[1]. Est-ce que cela aurait remis en cause le corpus de mes convictions, le socle de ma métaphysique ? J’étais donc obligé d’aller découvrir le front d’opposition sur lequel H. Putnam avait justifié sa thèse c’est-à-dire le Naturalisme philosophique.

Le naturalisme en tant que philosophie date de l’Antiquité mais nous allons nous concentrer sur sa version contemporaine dont il semblerait que ce soit Baruch Spinoza qui en fut le précurseur. L’animateur principal de cette philosophie au cours du XXe siècle est W.V.O. Quine (1908-2000) et il est responsable de la prééminence actuelle du naturalisme chez les philosophes anglo-saxons. Le naturalisme philosophique considère qu’aucun événement dans le monde ne peut être causé par quelque chose qui se trouverait en dehors du monde naturel. Le naturalisme soutient qu’il n’existe rien en dehors de la nature (sic) et les sciences de la nature sont les seules voies d’accès à la connaissance authentique. En conséquence l’homme est une production de la nature (ce qui en partie correspond à ce que je désigne comme étant une composante de l’être humain : l’être de la nature) qui n’a pas d’autre justification que les causes naturelles qui l’ont amené à l’existence. On comprend donc que Charles Darwin fut un inspirateur des naturalistes mais j’ai la conviction qu’il est surinterprété à mauvais escient.

L’adhésion aux travaux de Darwin et leur exploitation les conduisent à affirmer que toutes les formes organisées de la vie, jusqu’aux plus élevées (par ex : celle relative au fonctionnement cérébral) sont issues de la matière non vivante par un processus mécanique aveugle (sic) de transformation et d’organisation de cette matière (jusque-là on peut accepter cette thèse). Ce qui à mon sens pose problème, ce sont les extrapolations et donc les conséquences qu’ils en tirent :

Ils remettent en cause la validité du point de vue que nous offre l’introspection ;

Ils rejettent la possibilité d’un point de vue transcendant sur le monde.

Avec les naturalistes il se trouve que mon hypothèse de l’être dans la nature qui constitue mon autre versant de l’être humain, n’a pas droit de cité car selon eux l’être humain ne peut être qu’au ras de la nature. L’être humain, le physicien, ne peut se situer en surplomb de la nature. On verra un peu plus loin jusqu’où nous conduit ce type d’extrapolation.

Ce qui est dommage, c’est que l’optimisme scientifique qui est inhérent au naturalisme philosophique mène jusqu’au réductionnisme absolu, c’est exactement ce à quoi s’oppose H. Putnam, en réfutant l’idée que la raison puisse être expliquée comme une propriété de la nature et avoir sa source dans la nature. Mais instruisons-nous plus encore de ce qui constitue le corpus du naturalisme (voir Wikipédia). Il est écrit que l’homme et l’univers entier sont susceptibles, en principe, d’être expliqués par les sciences de la nature (sic). Il est soutenu qu’il n’y a pas de limite a priori à l’explication scientifique. Même s’il existe de fait des limites au développement scientifique à une époque donnée, rien n’exclut que la nature soit entièrement intelligible et il n’y a pas de limitations définitives à l’extension des connaissances scientifiques.

Le fait qu’il est écrit entre autres que l’homme est susceptible d’être expliqué par les sciences de la nature conduit à des redoutables conclusions, celles-ci ayant trait à l’émergence, dans les années 1950, de la philosophie de l’esprit : théorie de l’identité esprit-cerveau. Elle prétend que les neurosciences peuvent nous permettre de comprendre en quoi certaines structures et certains processus neurophysiologiques du cerveau s’apparentent pour nous à une vie mentale. On peut considérer que la plupart des neuroscientifiques adhèrent explicitement ou tacitement à la théorie de l’idée de l’esprit-cerveau (J.P. Changeux, A. Damasio, S. Dehaene…) A propos de Changeux, c’est certain mais en ce qui concerne Dehaene ce n’est pas le cas, contrairement à Changeux il n’a jamais exprimé qu’il partageait l’idée de l’identité esprit-cerveau. Le réductionnisme de cette théorie n’est pas accepté, non plus, par Putnam puisqu’il exclut que la raison puisse avoir une source naturelle, celle-ci est fondée par le ‘sujet pensant’ : ‘l’être dans la nature’, preuve qu’il est doté de capacités propres qui ne peuvent être réduites au prisme des propriétés de la nature.

J’aurai pu me satisfaire de la convergence que je rencontrai avec H. Putnam et donc, rassuré, satisfait, passer à autre chose. En fait un an après je revins sur ce livre (longue période de décantation !) et je me rendis compte que je devais connaître ce que signifiait vraiment le naturalisme philosophique. Ce qui est certain c’est que cela a consolidé mon hypothèse : Être de la Nature/Être dans la Nature. Cela peut paraître étonnant et je m’en étonne moi-même, mais c’est généralement dans l’épreuve de la confrontation que l’on acquière encore plus de certitude à propos d’hypothèses proposées. Ici, avec le naturalisme philosophique qui conduit, par exemple, jusqu’au réductionnisme de l’esprit-cerveau, il y a matière à développer des arguments qui expliquent pourquoi on peut s’insurger contre ce type d’extrapolation.

Réduire la faculté humaine, à produire et mener de la pensée interrogative à propos de ce à quoi est constitué la Nature, à une propriété de la Nature elle-même, est aberrant. C’est plus du dogmatisme que de la réflexion. Il est vrai que l’on doit s’étonner et s’interroger sur ce qui est en jeu avec le processus intellectuel de l’être humain et ce qui avec la sélection naturelle a favorisé l’émergence de cette faculté propre à l’homme au stade le plus élevé. Ne pas pouvoir décrire in fine ce à quoi cela correspond, n’interdit pas le fait que nous puissions comprendre le cheminement du processus de son éclosion et de son développement, à ce titre la paléoanthropologie nous offre de plus en plus des ressources d’études remarquables. D’un autre côté, l’imagerie cérébrale nous permet aussi d’ausculter et de découvrir certains critères de fonctionnement et de dysfonctionnement de notre cerveau mais ne nous autorise pas, pour autant, à formuler le postulat aberrant : lorsque l’on observe le fonctionnement du cerveau on voit l’esprit en activité.

Le 21/06/2016, j’ai posté l’article : ‘Evolutions des connaissances ; évolutions de l’humanité’, qui rend compte de l’intérêt d’une coopération entre les physiciens (au moins les théoriciens) et des paléoanthropologues, celle-ci serait très valablement enrichie grâce à une coopération avec les spécialistes de l’imagerie cérébrale. Le débat intérieur que j’ai connu grâce à la lecture du livre de H. Putnam conforte évidemment cette proposition. Le décloisonnement que je propose est certainement le moyen d’ouvrir la voie vers une meilleure compréhension de la place du sujet pensant qui cogite les lois de la nature ainsi que l’implication de l’état de sa singularité actuelle (parce que ses compétences intellectuelles ne peuvent qu’évoluer dans le futur) qui favorise ou obstrue la découverte des propriétés de la nature.

 

[1] Si on souhaite disposer d’une démonstration supplémentaire que la raison est un propre de l’homme, découvrir le livre de B. Saint Sernin : ‘La raison au XXe siècle’, au Seuil, 1995. Dans ce livre, il n’y a pas d’élucidation de la raison qui ne débouche sur la question de l’homme. Est restitué dans toute son amplitude les formes et les évolutions de la raison au XXe siècle, à travers les sciences exactes et humaines, l’épistémologie, le problème du mal et le totalitarisme concentrationnaire. Comme la vie, la raison a une histoire.

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