Votre, Notre Cerveau est une Machine du Temps.
Avec ce titre je me réfère à un livre récent en anglais de Dean Buonomano neurobiologiste et psychologue : spécialiste des neurosciences du temps. Le titre original est ‘Your Brain Is a Time Machine ; The neuroscience and Physics of Time’, édit. W.W. Norton and Company. Livre à lire, bien sûr.
Le titre laisse concevoir deux possibilités, le cerveau est une machine qui produit le temps ou une machine qui est sensible au temps. La présentation insiste sur le fait que l’auteur développe sa théorie de comment on dit le temps et le perçoit. « Le cerveau humain étant un système complexe qui non seulement dicte le temps mais le crée ; il construit notre sens du flux de la chronologie et rend possible « la circulation du temps mental » (mental time travel) - les simulations des évènements du futur et du passé. Ces fonctions sont essentielles non seulement pour notre vie quotidienne mais pour l’évolution de la race humaine : sans l’habilité d’anticiper le futur, l’humanité n’aurait jamais façonné des outils ou inventé l’agriculture. » Je retiendrais plus particulièrement l’expression : « La quatrième dimension est essentielle à notre existence et, bien sûr, fondamentale à ce qui fait de nous des humains (sic). »
Il est donc facile de comprendre pourquoi je suis enthousiasmé en découvrant ce livre car selon moi, depuis plus de 10 ans, je professe que l’être humain est le fondateur du temps, l’espace-temps est le propre de l’homme, c’est-à-dire que l’être humain a pour origine et il est à l’origine de la première intelligence qui a réussi à se situer dans un espace-temps autrement que d’une façon instinctive. Dans ce cas nous sommes presque renvoyés au problème “de la poule et de l’œuf”. Mais n’hésitons pas à considérer que c’est une intelligence humaine naissante (surgissement de l’être dans la Nature qui commence à surplomber cette Nature) qui a assis sa faculté d’émergence (j’utilise ce terme volontairement pour indiquer le rapport qu’il y a avec l’utilisation actuelle et fréquente de ce terme par les physiciens qui veulent faire preuve d’innovation), et de développement en fabricant et capturant les concepts d’espace et de temps. Voir mon article du 27/08/2014 : ‘Un authentique Big Bang’ qui commence ainsi : ‘Puisque ma conviction est que l’espace et le temps sont fondés par l’être humain, il me faut assumer cette conviction et étayer les conséquences qui en résultent, même les plus iconoclastes.’ Voir aussi l’article du 05/11/2014 : ‘L’espace et le temps ne sont pas donnés dans la nature, la lumière l’est.’ Voir aussi d’autres articles qui vont dans le sens de l’affirmation de la fondation de l’espace-temps par le sujet pensant.
L’idée de la fondation de l’espace-temps grâce à l’émergence d’une intelligence naissante nous renvoie probablement à 2 millions d’années en arrière comme le supposent des paléoanthropologues et plus particulièrement Jean Guilaine qui m’a précisé : « Il me semble en effet que l’intégration psychique espace-temps chez l’homme (voire ses progrès) doit être abordée au départ, c’est-à-dire aux temps de l’hominisation voire au Paléolithique inférieur. Il est certain, du moins je pense, que cette notion est totalement bien maitrisée au Paléolithique moyen et supérieur… »
Le livre qui vient de sortir, s’appuie, selon l’auteur, sur des observations scientifiques propres aux neurosciences, à l’imagerie cérébrale, à des observations sur le comportement des animaux comme les grands singes afin de déterminer où se trouvent les frontières clivantes entre l’animalité et l’humanité. La plupart des conceptions qui sont miennes et convergentes avec Buonomano résultent d’une analyse tenace depuis plus de 10 ans sur les difficultés voire les contradictions, ainsi que la très grande hétérogénéité des discours et modèles, concernant la physique fondamentale et plus particulièrement sur la nature de l’espace-temps. En fait je véhiculais aussi en marchant et méditant dans la Nature une métaphysique préalable romancée depuis plusieurs décennies comme je le retrouve dans un extrait du livre que j’ai publié en 2000, « En dix escales vers l’Ouest[1] ». Ci-dessous page 187 dans le chapitre ‘Entrevues’ :
« Pensée tendue par le désir d'investir le devenir, pensée mobilisée par le désir de réaliser ses projections dans le devenir désigné par la flèche du temps. C'est en accédant à la conscience du temps en devenir que l'être humain a puisé l'énergie de son ultime naissance dans le monde et qu'il s'est différencié dès cet instant, de toutes les espèces vivantes au sein de
L'homme est devenu homme quand il est sorti de sa chair, quand son esprit attaché au corps s'est déployé dans la lumière du Temps-Monde infini en perpétuel devenir. Avant son ultime naissance, l'homme était un être conscient sans transcendance soumis à la loi de sa chair. Avant son ultime naissance, l'homme, avant qu'il ne devienne homme, avait une perception du cours de la vie ordonné par une flèche du temps irréversible, tronquée, écrasée sur le mur du présent, horizon indépassable de son intelligence. Il subissait le défilement continu du présent et subissait la réactualisation perpétuelle du passé intériorisé, son intelligence d'avant qu'il ne devienne homme était subordonnée à ces deux uniques ordres du temps.
Comment a-t-il pu passer du stade d'une conscience prisonnière d'un ordre intérieur déterminé par la chronobiologie de sa chair, au stade d'une conscience qui s'extériorise, qui transcende le présent incrusté dans le corps et découvre ainsi la plage infinie du temps à venir, plage accueillante invitant à la projection de ses désirs ? Quelle est la source, quelle est la nature de l'impulsion intérieure qui a conduit l'homme jusqu'au seuil de la perception d'un Temps-Monde en perpétuel devenir ? »
Aujourd’hui, ce que j’ai cogité depuis 2 décennies prend du relief grâce au développement des sciences humaines et de ses techniques, il est possible d’affirmer, comme le fait D. Buonomano dans le chapitre 11, au-delà d’un point de vue purement métaphysique, et donc avec preuves de plus en plus rigoureuses à l’appui : « Est-ce que l’habileté à se projeter mentalement dans le passé ou dans le futur est unique à l’Homo sapiens ? » ; « Seuls les humains, non seulement communiquent sur les évènements passés et font des plans pour le futur, mais sautent en arrière et en avant en parcourant un temps linéaire mentale pour rendre compte de relations temporelles complexes » Dès la fin du chapitre 1, l’auteur a annoncé la couleur : « Ceci est parce que, comme je le soutiens dans le prochain chapitre, le cerveau est une machine du temps : une machine qui non seulement dit le temps et prédit le futur, mais ce qui nous permet de nous projeter en avant (forward) dans le temps. Il est extrêmement facile d’oublier le fait que sans l’habileté de voyager mentalement dans le futur, notre espèce n’aurait jamais pu façonner une pierre obsidienne en un outil ou compris qu’en plantant des semences aujourd’hui on peut assurer notre survie future. Notre capacité unique de comprendre le temps et de scruter dans le temps futur est, quoi qu’il en soit, à la fois un cadeau et un fléau. Durant le cours de notre évolution nous provenions de l’état où nous étions soumis à l’imprévisible et capricieuse nature jusqu’à atteindre l’état d’être en mesure de s’émanciper de la Mère Nature elle-même : en manipulant le présent pour assurer la survie dans le futur. Mais notre faculté clairvoyante nous conduit aussi à l’inévitable découverte que notre temps est fini et éphémère. Cadeau ou fléau, nous sommes confrontés au magnifique et déroutant mystère : qu’est-ce que le temps ? »
L’idée que l’espace-temps est un propre de l’homme est une idée qui ne peut que pesamment perturber les physiciens car dans ce cas l’espace-temps n’est pas donné dans la Nature, il est une construction de l’esprit, ainsi que le principe de causalité. Lorsque nous aurons accédé à ce cap de compréhension, on pourra dans ce cas expliquer l’intrication et toutes les bizarreries de la mécanique quantique avec avant tout la possibilité d’élucider les postulats de l’Ecole de Copenhague. Avec un tel nouveau paradigme on procédera à un bond magnifique de connaissance de la Nature et de ses lois et nous repousserons les barrières actuelles de la connaissance de l’univers, vers des nouvelles.
Le livre de D. Buonomano comprend 2 parties : ‘Temps du Cerveau’, (Brain Time) chapitres 1-6 et ‘La Nature Physique et Mentale du Temps’, (The Physical and Mental Nature of Time) chapitres 7-12. Les connaissances nouvelles pour nous sont dans la 2e partie, aussi je citerai des extraits les plus significatifs. Quand même, avec une grande surprise, je lis une citation de R. Feynman au début du chapitre 3 : « Peut-être il est tout aussi bien que nous soyons confrontés au fait que le temps est une des choses que probablement nous ne pouvons pas définir…Ce qui de toute façon importe réellement n’est pas comment on définit le temps, mais comment on le mesure. » Cette citation semblerait confirmer le propos dommageable attribué à Feynman : « Tais-toi et calcule !» Apres coup on peut mesurer combien une telle conception réductrice de la physique et de la tâche du physicien provoquent des dégâts dont on peut encore mesurer les conséquences aujourd’hui, de ces rapetissements de la pensée, sur ces deux sujets en question.
Dans le chapitre 10, il y a un paragraphe qui s’intitule : ‘Espace, Temps, et langage’. L’auteur indique des particularités exprimées dans certaines populations premières qui situent des mots désignant des séquences du temps (passé, futur), dans l’espace par rapport à eux-mêmes. Cette coopération avec des linguistes, je l’avais souhaitée depuis longtemps comme pertinente : voir article du 11/07/2012 : ‘Faire alliance avec les linguistes pour avancer.’, et le 10/10/2013 : ‘Comment nous sommes devenus avec/par le langage’
Page 196 : « Beaucoup de psychologues croient que la circulation du temps mental est uniquement une faculté cognitive humaine, et bien sûr, cette circulation du temps mental est un ingrédient clé de l’être humain. »
Page 202 : « Quelques évidences pour qu’il y ait une interdépendance entre langage, nombres, et circulation du temps mental provient d’études de tribus lointaines de cueilleurs-chasseurs de l’Amazonie. Leur langage n’a qu’un temps grammatical très rudimentaire pour désigner les simples : futur et passé. Ce peuple ne stocke pas la nourriture au-delà d’une journée, il ne parle pas du futur lointain et du passé lointain – il est focalisé premièrement sur le présent… Leur indifférence à l’égard du futur n’aurait pas été incitatif pour les indigènes survivant Inuit pour lesquelles une faculté de prévoyance significative et de préparation permet de survivre aux rudes hivers. » Voir article du 23/08/2016 : ‘Décrire comment les humains interagissent avec la Nature.’
Page 206 : « Ainsi la plupart de notre bagage neuronal, provient de celui des animaux qui vivent (cognitivement parlant) dans le présent immédiat… p.209 : « Qu’est-ce qui fait que les êtres humains seuls sont capables de circulation de temps mental ? Y a-t-il quelque chose de différent à propos des neurones des êtres humains ? Est-ce la taille de notre cerveau ? Ou peut-être les humains ont des aires du cerveau qui sont absentes chez les autres animaux ?... P.210 « Le cortex préfrontal, qui est localisé directement derrière le front, est une aire du cerveau très bien connectée – c’est-à-dire qu’elle est bien située pour écouter et influencer ce qui se produit dans beaucoup d’autres aires du cerveau. Tandis qu’en général le cortex préfrontal subit chez les primates une expansion, la taille relative du cortex préfrontal n’est pas proportionnellement plus grande chez les humains que chez les grands singes. Il y a toutefois l’évidence que le cortex préfrontal des humains est différent d’une autre façon – par exemple, les neurones dans le cortex préfrontal humain semblent recevoir plus de synapses. » ; «Les études en imagerie cérébrale des personnes saines suggèrent aussi que le cortex préfrontal contribue à notre capacité à concevoir un flux mental du temps…Tandis que le cortex préfrontal est important pour le flux mental du temps, il serait naïf de considérer que ce serait le lieu où il se produit… le flux mental du temps qui oriente vers le futur est le produit d’une tâche compliquée qui requiert une orchestration de fonctions cognitives très différentes…”
A l’occasion de la découverte de ce livre on peut se rendre compte de la nécessité à mon sens impérative de développer une véritable coopération entre les physiciens, les paléoanthropologues et les neuroscientifiques. La publication d’un manifeste écrit par des scientifiques de ces trois domaines serait une occasion de préciser la prise de conscience de l’enrichissement mutuel que cela engagerait et de marquer les limites atteintes par ces trois corpus et plus particulièrement celui de la physique fondamentale car celle-ci achoppe plus spécifiquement depuis de nombreuses décennies sur l’espace-temps et sa nature.
Je termine en conseillant de revisiter deux articles : 03/02/2016 : ‘Là, où, pense Homo Sapiens’ et celui du 09/12/2015 : ‘L’espace-temps a une source… mais pas quantique’
[1] Après coup je redécouvre mon questionnement si existentiel et si ancien concernant le Temps, puisque 4/10 des chapitres traitent sous des angles différents ce sujet : ‘Portraits du temps’ ; ‘Le temps du Rouge-Gorge’ ; ‘Eclats du temps’ et ‘Entrevues’