La réalité ? C’est vous qui la faites II.
Dans la continuité de l’article précédent je reprends la traduction de l’article de Ph. Ball (page 32), au niveau où il met en exergue une théorie radicale actuellement proposée par Markus Müller (Théoricien à l’Institut d’optique quantique et d’information quantique à Vienne). En effet M. Müller indique que la conception proposée par les QBists n’est pas suffisamment radicale[1], il explique pourquoi et je cite : « Le QBism assume qu’il y a un monde extérieur qui est le support des résultats de nos expériences. » et Müller commence par le postulat suivant : « Il n’y a pas de ce monde des QBists. Cela veut dire que l’on doit imaginer qu’il n’y a pas de lois fondamentales de la nature (sic) – pas de Relativité Générale, pas d’équations de Maxwell ni de Principe d’Incertitude d’Heisenberg. Le fait de rejeter la physique avec ses lois conduit Müller à concevoir un monde hypothétique sur la base d’une logique mathématique restante (sic). »
A ce stade, je propose de commenter car à mon sens c’est une erreur d’affirmer qu’il n’y a pas tout autant qu’il y a : dans le monde extérieur, car nous ne pouvons être que totalement ignorant de ce fait et le rester à demeure. Par contre on ne peut pas dire qu’il n’y a pas ces lois citées par Müller, c’est un postulat complètement artificiel qui ne peut engendrer que des conceptions artificielles. A l’évidence les lois citées ci-dessus sont là, elles ont été intellectuellement conçues et sont positivement vérifiables, reste à interpréter correctement ce qu’elles nous révèlent car elles ont un sens qui n’est pas banal. Selon mon hypothèse on ne peut pas affirmer qu’elles sont dans la nature, ni qu’elles ne sont pas dans la nature, mais elles sont révélatrices de l’interaction, de la dépendance, de l’être humain à l’égard de la nature. Elles sont révélatrices que l’être humain doit continuer de réduire sa dépendance (son ignorance) à l’égard de la nature et donc ne pas cesser de la décrypter pour que l’être dans la nature prospère en réduisant la part de l’être de la nature (voir article du 18/03/2015 : ‘Décrypter la physique comme science de l’interface de l’être humain et de la Nature !’). La valeur croissante des lois émergentes de la physique au cours du temps révèle l’histoire du développement intellectuel de l’humanité, ex : de la loi de Newton à la loi d’Einstein, les lois de Maxwell à l’électrodynamique quantique. C’est sur la base du constat de cette dynamique que l’on doit enchaîner la recherche de nouveaux paradigmes qui permettront de lever les obstacles que nous rencontrons pour prospecter (creuser) plus loin de nouvelles lois de physique.
Puisque Müller postule qu’une logique mathématique reste fondamentalement à l’œuvre lorsqu’on efface toute existence de lois physiques, voyons comment il exploite cette hypothèse radicale. Il considère qu’il faut privilégier la théorie de l’information algorithmique qui est un sous ensemble de la théorie de l’information et de la science informatique. Selon Gregory Chaitin : “C’est ce qui résulte quand on met la théorie de l’information de Shannon et la théorie de Turing de l’informatique dans un même shaker à cocktail et que l’on secoue vigoureusement. » (Voir wikipédia anglais).
Nous n’avons pas besoin d’être spécialiste de cette théorie de l’information algorithmique pour comprendre ce à quoi Müller aboutit, car il nous propose l’interprétation suivante de son résultat : « Ainsi l’observateur déduit un ‘modèle’ simple de la réalité, caractérisé par des lois régulières et compréhensibles (sic) qui sans problème connecte une expérience à la suivante. Cela semble profondément étrange : comment le hasard fait émerger une conduite apparemment structurée par des lois ? C’est un peu la façon dont nous comprenons l’état gazeux. Bien que toutes les configurations des molécules soient possibles, la probabilité de la distribution des vitesses des molécules que nous observons est gaussienne et les molécules sont aussi observées uniformément distribuées dans l’espace. De ceci nous parvenons à aisément mesurer dans le cadre de lois simples : pression, température et volume. Ces lois ne sont pas écrites dans les molécules de gaz elles-mêmes, elles sont des propriétés émergentes des probabilités des différentes configurations. »
Le résultat de Müller nous l’avons déjà anticipé, voir article du 1/10/2014 : « Au sein d’une éternité parmi tous les possibles… », je conseille de relire cet article car mon argumentation s’appuie aussi sur les résultats des travaux de S. Dehaene qui offrent une compréhension scientifique de notre fonctionnement cérébrale, en utilisant aussi le pouvoir prédictif des statistiques Bayésiennes comme le postule aussi M. Müller dans sa théorie. J’insiste sur l’existence d’une différence notable car Müller, en tant que disciple de Platon-Galilée, postule que les statistiques bayésiennes sont une réalité de la nature, alors que Dehaene observe que ces statistiques permettent de rendre compte de résultats propres à l’intelligence humaine. C’est évidemment ces résultats, promus par Dehaene, qui corroborent l’hypothèse : ‘Décrypter la physique comme science de l’interface de l’être humain et de la Nature’ et qui autorisent à interpréter le développement des connaissances en physique ainsi que leur essence avec cette dynamique de conquête que je rappelle souvent : « Au sein d’une éternité parmi tous les possibles, l’anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers… » On notera que l’interprétation donnée par Müller n’est pas lointaine de celle que je propose quand il indique que parmi toutes vitesses et positions possibles des molécules d’un gaz on en observe qu’une des valeurs centrales. Mais chez lui il n’y a pas de dynamique de creusement et il n’y a pas de perspective.
Quand même, globalement, avec des choix de référentiels très différents nous obtenons des résultats qui se rejoignent dixit en page 32 en conclusion : « Cette image d’un univers construit directement par les expériences de l’observateur est si ‘en dehors des clous’ que les autres chercheurs savent à peine ce qu’ils peuvent en faire… Müller lui-même est parfaitement conscient qu’il n’a pas choisi un chemin facile, mais il considère que cela en vaut la peine et premièrement ce n’est pas aussi absurde que cela paraît. Mais ce sera un important challenge de convaincre les gens, étant donné que la vue du monde qui est suggérée est si inhabituelle et différente de ce que nous avons la coutume de penser. »
En synthèse : Müller nous dit : définitivement il n’y a pas de réalité physique réelle, c’est l’observateur qui en conçoit une. Selon moi : c’est la ‘Présence’ d’un ‘sujet pensant’ qui contribue progressivement à concevoir du sens à des lois physiques sans pouvoir pour autant affirmer qu’elles sont là dans la nature.
[1] Sur ce sujet du QBism, voir article du 11/01/2014, ‘l’étrangeté quantique une illusion ?’ article dans lequel j’ai exprimé mon désaccord sur cette théorie, mais pour des raisons différentes que celles émises par Müller.