Bilan utile suite au dialogue M. Mueller – Ph. Maulion
Dans l’article du 16/02, nous avons été amenés à évoquer quatre références théoriques dont chacune a vocation à rendre compte pourquoi l’être humain a mis, et continue de mettre en évidence des lois physiques, dans quel contexte, et pour chacune d’elles quel est processus qui les justifie.
La première référence théorique nettement dominante est celle du réalisme. On peut la résumer ainsi : les lois de la physique que l’être humain a découvert jusqu’à présent sont celles qui atteignent l’os du monde réel. Malgré les difficultés d’interpréter les propriétés que nous identifions en mécanique quantique dans le cadre du réalisme, celui-ci est toujours intellectuellement rassurant en conséquence il est pensé qu’il y a un monde quantique réel.
La référence théorique franchement minoritaire est celle que je propose et que l’on peut qualifier d’anthropocentrique. C’est-à-dire que c’est l’intelligence évolutive de l’être humain qui est fondatrice des lois physiques sans pouvoir faire référence à une quelconque réalité car celle-ci nous est inaccessible et ne peut être évoquée. Le tropisme d’un monde réel sans ‘Présence’ est superflu. Souvent je la résume suivant cette dynamique : « Au sein d’une éternité, parmi tous les possibles, l’anthropos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers… »
Markus Mueller nous propose une nouvelle théorie qui par beaucoup d’aspects semble identique à celle que je propose mais elle fait référence, certes sur un mode mineur, à un fond de monde réel. Ce monde réel est, selon son hypothèse, clairsemé dans le sens où il ne comprendrait pas toutes ces lois courantes que nous croyons avoir identifiées. Mais il y aurait ce monde préalable, celui qui sert de support à ce qu’il appelle ‘le point de vue de la première personne’. Il y a donc une hybridation qui n’a pas de justification autre que celle de pouvoir entreprendre, grâce à la théorie algorithmique de l’information, une simulation du monde tel qu’in fine, il nous apparaît.
La quatrième référence théorique faiblement suggérée, au cours de ce dialogue, se dénomme :’ QBism’ soit la contraction de ‘Quantum Bayesianism’. Grâce à cette théorie, depuis une quinzaine d’années, il est tenté de repenser les fondements de la mécanique quantique hérités de l’Ecole de Copenhague en intégrant un rôle significatif à la conscience de l’observateur. Avec le QBism, une nature subjective est objectivement attribuée aux fondements de la mécanique quantique. C’est à dire que la conscience de l’observateur conditionne les résultats de la mesure sur l’objet quantique. Pour certains le QBism est une forme d’antiréalisme, pour d’autres il est considéré comme un ‘réalisme participatif’. A mon sens ces atermoiements entre, subjectivisme-antiréalisme/réalisme participatif, sont dus au fait que la conscience, en général, de l’être humain : on ne sait pas ce que cela signifie. Aucune compréhension et partant aucune définition stable ne peut prévaloir car état de conscience que l’on peut corréler à état d’éveil, diffère d’un individu à l’autre. Pas de conscience générique ! en conséquence c’est une notion qui ne peut être exploitée dans le cadre de la physique. (Voir article du 11/01/2014 : ‘L’étrangeté quantique, une illusion ?’).
J’ai quelques raisons de penser que la référence théorique que je privilégie a de l’avenir car je rencontre des recoupements dignes d’intérêt. En citant ce que j’ai exprimé avec conviction dans l’article du 11/01/2014 : « L’étrangeté provient du fait que nous sommes des êtres classiques, déterministes, déterminés par notre rapport façonnant avec la Nature à l’échelle classique et notre intelligence naturelle ne peut évoluer que lentement au fur et à mesure que notre rapport avec la Nature s’enrichit, se densifie, s’approfondit. », et en le mettant en rapport avec cet extrait de l’article du 12/01/2018 de Sebastian Deffner sur le site de Phys.org : « Il est important de réaliser que cette « incertitude quantique » (de Heisenberg) n’est pas un défaut de l’équipement de mesure ni de l’ingénierie, mais témoigne plutôt de la façon dont notre cerveau fonctionne (sic). Nous avons évolué par l’intermédiaire d’une confrontation courante avec le "Monde Classique " et nous comprenons comment il fonctionne alors que les mécanismes physiques réels (sic) du "Monde Quantique" sont tout simplement au-delà de notre capacité à les saisir pleinement ». J’ai, avec cet exemple, une bonne raison de penser, qu’avec S. Deffner, il y a une convergence de pensée très intéressante qui accorde donc une primauté aux capacités d’inférer du ‘sujet pensant’ pour décrypter le monde physique. C’est-à-dire que nous le pensons en fonction de nos capacités intellectuelles. J’ajoute que notre capacité à saisir pleinement les mécanismes évoluera grâce au développement d’une capacité à penser quantique. Nous devons considérer que notre évolution cérébrale est toujours en cours. Avec cet exemple j’ai une bonne raison de penser que Deffner a déjà intégré l’idée que le référentiel traditionnel des physiciens doit s’enrichir de ce que les corpus de la paléoanthropologie et des neurosciences ont déjà mis en relief.
A sa façon, S. Dehaene a déjà anticipé ce décloisonnement fertile que j’ai relevé largement dans l’article précédent avec la citation relative à son hypothèse de la compétence supposée du cerveau d’Homo erectus.
Avec ces citations récentes, il est possible d’espérer que l’élargissement du champ d’investigation traditionnel des physiciens que je préconise soit progressivement adopté. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’en son temps E. Mach (cité dans l’article précédent), il y a plus d’un siècle avait exprimé des idées très claires et incisives sur ce sujet sans qu’elles essaiment pour autant dans le champ de réflexion des physiciens.
Je continue d’être évidemment vigilant à l’égard de toutes les expressions nouvelles sur ce sujet et je veux espérer pouvoir les signaler dans des prochains articles. A suivre…