La vérité laide
‘The ugly truth’ : ‘La vérité laide’, est le titre d’un article du 3 mars 2018 dans le NewScientist qui valablement commence à interroger l’impasse dans laquelle les physiciens théoriciens et expérimentateurs de la physique des particules élémentaires se trouvent coincés. C’est la première fois que je lis un article qui va dans le sens d’articles que j’ai postés, notamment le 08/11/2011 : ‘Qui se permettra de le dire’ ; le 16/01/2016 : ‘Et si notre pensée était mal placée’ ; le 29/09/2017 : ‘Un déni ne procède pas d’une démarche scientifique’. Le sous-titre de l’article du NS relate que les physiciens ont cru longtemps que l’univers doit être beau et a juste titre l’auteur : Daniel Cossins, indique que Paul Dirac (un des fondateurs de la théorie quantique des champs), à la fin des années 1930, adepte de la philosophie de Platon, avait exprimé la conviction qu’il était guidé par la recherche de la beauté dans les équations plutôt que de chercher à les vérifier expérimentalement. Selon lui la beauté était incorruptible et donc source de vérité vrai. C’est-à-dire, selon lui, la nature est réellement harmonie.
Cette conviction est semblable à celle des réalistes et elle guide le travail d’une très grande majorité des physiciens théoriciens. Etrangement dans cet article le concept de réalisme n’est pas utilisé, il est substitué par celui de naturalité : « Une dévotion presque religieuse à la beauté continue de servir de référence parmi les théoriciens de la physique fondamentale. Une vision de l’élégance en particulier s’est imposée en premier plan : le principe de la naturalité (the principle of naturalness). Globalement dit, il est cru que les lois de la nature seraient sublimes, inévitables, et intrinsèques, au contraire de fabriquées et arbitraires. »
Mais si ce n’était pas ainsi ? C’est la possibilité inquiétante qui est nouvellement partagée par un nombre de plus en plus important de physiciens depuis la découverte du boson de Higgs (2012) qui aurait dû constituer une percée enclenchant en conséquence une série de découvertes récurrentes. En fait la découverte du boson de Higgs, nous aurait plutôt confirmé la fin d’un cycle de prédictions, nous aurait plutôt confirmé l’épuisement du référentiel théorique constitué par la théorie quantique des champs avec ses propriétés de symétrie (signes d’harmonies), que les physiciens croyaient, inépuisable. Ainsi M. Dine, théoricien de l’Université de Californie nous dit : « Il se pourrait que nous comprenions que la nature n’est pas si naturelle (sic). » Ainsi la théorie en cours de la supersymétrie qui profite ‘naturellement’ des succès précédents des propriétés d’unifications ne conduit pas, jusqu’à présent, à des prédictions observables. Pourtant le L.H.C a été conçu pour détecter des particules supersymétriques (sparticules), mais les détecteurs sont muets. Depuis 6 années nous sommes carencés de nouveautés.
« Nous sommes coincés, nous ne voyons rien venir, ce qui me rend suspicieux et nous aurions donc pris le mauvais chemin avec le principe de naturalité. » nous dit Ben Allanach : théoricien de l’Université de Cambridge. Effectivement, de plus en plus de physiciens commencent à vaciller, ainsi Gian Giudice, directeur du département de physique théorique au CERN, a récemment concédé que la naturalité n’offrait pas la bonne vision théorique pour progresser et il considère que nous sommes à un tournant. Sabine Hossenfelder, théoricienne allemande, indique dans un prochain livre à sortir : ‘Comment la beauté conduit la physique à l’égarement.’ Mais n’oublions pas que le conservatisme est une tendance étonnamment très prégnante au sein de la communauté scientifique des physiciens. Comme l’affirme Allanach beaucoup de physiciens ne sont pas prêt, loin de là, à franchir le Rubicon. Ainsi M. Dine a toujours l’espoir que les particules supersymétriques existent, a des énergies plus élevées que prévues, au point qu’aucune machine ne pourra les produire !!
Ceux qui ont renoncé au principe de la naturalité et à l’impasse du boson de Higgs avec sa masse si faible, trop faible, conduisant à un cul-de-sac, considèrent que la théorie des multivers est une alternative car elle permet d’échapper au principe anthropique[1]. Echapper au principe anthropique c’est d’une certaine façon vouloir échapper à l’idée que nous sommes dans un univers dont nous connaissons déjà en grande partie ce qu’il est, avec une origine, un déploiement, un contenu élucidé, bref une représentation à laquelle il ne resterait plus qu’à découvrir des détails secondaires bien que parfaitement nécessaires. Cette conception des choses est corrélée à l’idée que les êtres humains que nous sommes aujourd’hui, sont des êtres aboutis du point de vue des capacités cognitives qui seraient émancipées de toutes déterminations, bref, les connaissances que les êtres humains sont capables d’inférer en observant la nature ont une valeur universelle. Vouloir échapper au principe anthropique par le biais de la théorie des multivers ne peut pas être confirmé car cette théorie résulte de la théorie quantique des champs et donc cette pensée théorique des physiciens se déploie encore dans le même référentiel naturaliste, réaliste. On mesure donc qu’il est difficile d’inaugurer une nouvelle pensée ouverte sur la nature, et notre rapport avec elle, en dehors des schémas déjà empruntés.
Ce que je propose, pour sortir de l’impasse, c’est qu’il nous faut aussi interroger l’être humain qui interroge la nature, en prenant en compte qu’à l’origine l’être humain est un être de la nature. Comme je l’ai déjà précisé, cela oblige les physiciens, pour qu’ils renouvellent effectivement leur référentiel, à penser en puisant dans d’autres corpus de connaissances tels que la paléoanthropologie et les neurosciences. Quand le paléoanthropologue Jean Guilaine nous dit : « Il me semble en effet que l’intégration psychique espace-temps chez l’homme (voire ses progrès) doit être abordée au départ, c’est-à-dire aux temps de l’hominisation voire au Paléolithique inférieur. Il est certain, du moins je pense, que cette notion est totalement bien maitrisée au Paléolithique moyen et supérieur chez les Sapiens ne serait-ce qu’en raison de la nécessité de déplacements saisonniers pour se procurer de la nourriture… », il y a vraiment matière à réfléchir ensemble. Lorsque le neuroscientifique S. Dehaene nous dit : « Je me demande si la capacité de représentation symbolique et récursive n’est pas apparue, dans un premier temps, indépendamment du langage, avant tout comme un système de représentation rationnelle du monde. Le cerveau d’Homo erectus avait peut-être déjà atteint la compétence d’une machine de Turing universelle, capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles… », il y a vraiment matière à creuser ensemble, et s’interroger si cela peut être plus ou moins validé, quelles seraient alors les conséquences contemporaines chez l’homme moderne ?
[1] Ce principe conduit à penser que l’univers a les propriétés qui sont les siennes parce que c’est celui où nous vivons et que nous pensons. Echapper au principe anthropique c’est refuser des limites à l’enquête scientifique.