Il est temps de résoudre la question du temps.
Au cours du premier trimestre 2018 plusieurs articles ont été publiés pour rendre compte des solutions expérimentales préconisées pour accroître une plus grande précision de la mesure de l’intervalle de temps. Actuellement la mesure standard de cet intervalle sur laquelle tous les physiciens et métrologues s’accordent est de 10-16s, cela signifie que chaque 200 millions d’années ces horloges standards se décalent de 1s. Ce sont des horloges atomiques constituées d’atomes de césium. C’est au bureau International, des poids et des mesures, situé à Sèvres (Région Parisienne) que se situe le gardiennage de l’horloge standard. Dans l’un des articles dont je fais référence il est affirmé qu’il est nécessaire maintenant de se référer à un temps standard plus précis qui permettra d’améliorer par exemple la navigation des vaisseaux spatiaux et aussi aidera les physiciens expérimentateurs d’observer si les constantes fondamentales de la physique ont varié dans le temps et dans ce cas ce serait une nouvelle physique qui serait en jeu.
Dans un article suivant, il est annoncé qu’une nouvelle horloge atomique expérimentale plus précise a été créée permettant de garantir qu’il ne peut y avoir ni gain ni perte de plus de 100ms durant toute la durée de vie de l’univers soit 13 milliards 800 millions d’années. L’instrument a une précision de 2.5 x 10-19s, dépassant ainsi en précision les 3.5 × 10-19s de l’année dernière. C’est au National Institute of Standards and Technology (NIST) in Boulder, Colorado, que ces performances sont obtenues. L’auteur de l’article indique que ces résultats permettront d’étudier une gamme de phénomènes fondamentaux en physique tels que le magnétisme quantique et la supraconductivité non conventionnelle. Dans le futur cela permettra aux physiciens de finalement voir (sic) une nouvelle physique telle que par exemple la connexion entre la physique quantique et la gravité.
Il n’échappe à personne qu’accroître encore la précision de la mesure d’intervalle de temps permettra de voir encore plus de nouvelles propriétés de la physique fondamentale, au point qu’il est déjà étudié la mise au point d’horloges nucléaires qui seront plus précises encore. On notera que les gains de précision sont asymptotiques et il faut prévoir probablement plusieurs années pour atteindre la précision de 10-21 - 10-22s.
Après avoir pris connaissance de ces articles, j’ai découvert que Carlo Rovelli avait publié un livre qui confirme selon son point de vue que le temps n’existe pas physiquement, pas réellement. Sous un certain angle j’ai déjà évoqué son livre dans l’article du 29/04/2018. Nous avons déjà échangé, les années passées, sur ce sujet et on pourrait penser que la position de Rovelli avec le fait que l’on prévoit de voir de la nouvelle physique grâce aux gains de précision des intervalles de temps remet en cause l’affirmation de son point de vue particulier. Pas si simple car ce que nie C. Rovelli c’est la réalité du temps, de son flot, de son écoulement, alors ce que nous avons évoqué ci-dessus c’est la mesure d’intervalles de temps.
Ce qui est certain c’est que le concept de temps est une énigme, une épine dans le pied des physiciens et des cosmologistes, et constitue un obstacle majeur. Ces premiers jours de Mai, plusieurs articles (4) sont publiés sur ce sujet, notamment dans la revue ‘Nature’, et je vous en communique les synthèses (abstracts) originales puis traduites par mes soins :
« Est-ce que le temps est une illusion ? de Craig Callender.
Le temps est un sujet pérenne, brûlant, en physique. La recherche d’une théorie unifiée oblige les physiciens à réexaminer des suppositions basiques, et peu de choses sont plus basiques que le temps.
Quelques physiciens argumentent qu’il n’y a pas une telle chose comme le temps. D’autres pensent que le temps doit être promu plutôt que rétrogradé. Entre ces deux positions il y a l’idée fascinante que le temps existe mais il n’est pas fondamental. En quelque sorte, un monde statique donne naissance au temps que nous percevons.
Des philosophes ont débattu de telles idées bien avant le temps de Socrate, mais les physiciens en font maintenant un sujet concret. Selon un (C. Rovelli), le temps peut surgir de la façon dont l'univers est partitionné ; ce que nous percevons comme le temps reflète les relations entre ses éléments. »
“Is Time an Illusion? Craig Callender
•Time is a perennial hot topic in physics. The search for a unified theory is forcing physicists to reexamine very basic assumptions, and few things are more basic than time.
•Some physicists argue that there is no such thing as time. Others think time ought to be promoted rather than demoted. In between these two positions is the fascinating idea that time exists but is not fundamental. A static world somehow gives rise to the time we perceive.
•Philosophers have debated such ideas since before the time of Socrates, but physicists are now making them concrete. According to one, time may arise from the way that the universe is partitioned; what we perceive as time reflects the relations among its pieces.”
“Est-ce que le temps pourrait arrêter ? George Musser
La théorie de la relativité générale d’Einstein, prédit que le temps disparaît là où il y a des singularités, là où la matière atteint le centre d’un trou noir ou bien quand l’univers s’effondre dans un « Big Crunch ». Toutefois les singularités requièrent des conditions qui sont physiquement impossibles à atteindre.
Une façon de résoudre ce paradoxe est de considérer que la mort du temps est graduelle plutôt qu’abrupte. Le temps devrait perdre ses attributs un par un : la direction de son écoulement, sa notion de durée et son rôle d’ordonnancement des événements causaux. Finalement, le temps pourrait indiquer la voie à une physique plus profonde et sans temps. »
“Could Time End? George Musser
•Einstein's general theory of relativity predicts that time ends at moments called singularities, such as when matter reaches the center of a black hole or the universe collapses in a “big crunch.” Yet singularities require matter to achieve conditions that are in fact physically impossible.
•A way to resolve this paradox is to consider time's death as gradual rather than abrupt. Time might lose its many attributes one by one: its directionality, its notion of duration and its role in ordering events causally. Finally, time might give way to deeper, timeless physics.”
« Des atomes d’espace et de temps. Lee Smolin
Pour comprendre la structure de l’espace à la plus petite échelle, nous devons passer à la théorie de la gravité quantique. La théorie de la relativité générale d’Einstein révèle que la gravité est provoquée par la déformation de l’espace-temps.
En combinant précautionneusement les principes de la mécanique quantique et de la relativité générale, les physiciens sont conduits à l’expression de la théorie de la « gravité quantique à boucles ». Dans cette théorie, les états quantiques possibles de l’espace sont représentés par des diagrammes de lignes et de nœuds appelés réseaux de spin. L’espace-temps quantique correspond à des diagrammes semblables appelés mousse de spin, dans lequel les réseaux de spin évoluent au cours du temps.
La gravité quantique à boucle prédit que l’espace apparaît en grumeaux discrets, le plus petit est de l’ordre de la longueur de Planck au cube, soit 10-99 cm3. Le temps est produit par des tic-tac de l’ordre du temps de Planck soit 10-43s.
“Atoms of Space and Time. Lee Smolin
•To understand the structure of space on the very smallest size scale, we must turn to a quantum theory of gravity. Einstein's general theory of relativity reveals that gravity is caused by the warping of space and time.
•By carefully combining the fundamental principles of quantum mechanics and general relativity, physicists are led to the theory of “loop quantum gravity.” In this theory, the allowed quantum states of space are represented by diagrams of lines and nodes called spin networks. Quantum spacetime corresponds to similar diagrams called spin foams, in which spin networks evolve over time.
•Loop quantum gravity predicts that space comes in discrete lumps, the smallest of which is about a cubic Planck length, or 10−99 cubic centimeter. Time proceeds in discrete ticks of about a Planck time, or 10−43 second.”
“Un Trou dans le Cœur de la Physique. George Musser
Les physiciens se sont retournés vers les philosophes pour de l’aide avec la fusion de la mécanique quantique et de la relativité, qui traitent l’espace et le temps de deux différentes façons, en une théorie unique de la gravité quantique.
En revisitant une expérience de la pensée inventée par A. Einstein, les philosophes ont trouvé que la relativité générale avait des implications déconcertantes sur la question suivante : soit l’espace et le temps sont des entités de fait ou simplement des dispositifs pour décrire les relations entre les objets physiques.
Les philosophes aident aussi à identifier les inconsistances dans les théories physiques en, par exemple, mettant en évidence que les tentatives pour expliquer la flèche du temps – l’asymétrie entre le passé et le futur – souvent comptent sur un raisonnement circulaire.”
“A Hole at the Heart of Physics. George Musser
•Physicists have turned to philosophers for help with merging quantum mechanics and relativity, which treat space and time in two very different ways, into a single theory of quantum gravity.
•By revisiting a thought experiment created by Albert Einstein, philosophers have found that general relativity has puzzling implications for the question of whether space and time are entities in their own right or merely artificial devices to describe the relations between physical objects.
•Philosophers are also helping to identify inconsistencies in physicists' theories by, for example, pointing out that attempts to explain the arrow of time—the asymmetry of past and future—often rely on circular reasoning.”
On doit se réjouir de l’initiative de la revue ‘Nature’ de faire appel, dans les exemples cités, à des corpus de pensée variés sur le sujet du temps mais depuis une vingtaine d’années de semblables tentatives ont été proposées et réalisées sous formes de colloques, de publications conjointes d’articles et de livres sans que malheureusement cela ne produise des avancées significatives.
L’affirmation de C. Rovelli à propos de la non existence du temps comme entité réelle se nourrit de ses travaux sur la gravité quantique à boucles, toutefois une très grande partie de ces travaux ont été développés conjointement avec L. Smolin qui lui affirme que le temps est réel (voir son livre : la Renaissance du Temps (2013)). On peut en conclure qu’il y a une sorte de force de conviction chez chacun de ces physiciens qui joue un rôle tout autant que l’évidence de la réflexion scientifique. Selon moi, la conviction est le fruit de la grande synthèse de toutes les réflexions d’une vie de scientifique qui amène l’un à affirmer : non, le temps ne peut pas être une entité réelle, et l’autre à affirmer : oui, le temps est donné dans la Nature. La force de la conviction, quelle qu’elle soit, pourrait être considérée comme un obstacle à une pensée scientifique idéalement rationnelle, rigoureuse, mais celle-ci étant l’affaire de la pensée humaine, elle est donc incarnée, et toute pensée scientifique exprimée par un individu a obligatoirement un point d’appui de croyance (conviction) forgée à titre personnelle.
Rovelli, réfute l’idée d’un temps réel mais conçoit le fait qu’il y ait un temps émergent puisqu’il est comme nous tous conscient d’un processus d’écoulement irréversible que l’on désigne communément : écoulement du temps. Toutefois il refuse de l’intégrer comme composant d’une réalité de la nature physique. On peut s’interroger sur quelle base il formule la certitude que le temps n’existe pas réellement alors que celui-ci est omniprésent, et ceci est une situation évidemment identique pour tous les physiciens quelques soient les sujets traités. Carlo, prétend que la physique, de fait, déconstruit l’idée de temps (voir la première partie de son livre : ‘L’effritement du temps’). La déconstruction du temps qu’il considère constater avec les exemples qu’il met en exergue, sont connues de tous et sont donc sujet à interprétation. Ce qui m’interpelle chez C. Rovelli c’est sa propension à pouvoir affirmer ceci est dans le monde réel, ceci n’est pas dans le monde réel. Il est donc pris dans le piège de la croyance au Réalisme, croyance qui nie toute l’histoire de l’évolution de la connaissance en physique puisque le Réalisme postulerait que le monde que nous avons inscrit dans nos équations actuelles est un monde final, définitif, qui constitue pour nos aspirations à de futures conquêtes de connaissances un mur puisqu’il n’y en aurait pas au-delà. A titre d’indication, je propose à Carlo de découvrir le presque dernier article de Stephen Hawking, dernier papier écrit avec Th. Hertog : ‘Putting an end to the beginning of the universe’; ‘Mettre fin au début de l’univers’, dans lequel il est conçu que notre univers est juste un univers sans origine, parmi une infinité d’autres dans un multivers. Donc, en conséquence, il ne faut pas confondre l’état de nos connaissances actuelles qui ne peuvent être que provisoires (elles ne sont qu’un apparaître temporellement local dans l’histoire humaine de la connaissance en physique) et connaissances du réel. Faisons preuve d’humilité.
Enfin je ne comprends pas comment un physicien peut dire ce qu’est le monde physique réel sans temps car selon ma conviction le temps est inhérent à la ‘Présence’ du sujet pensant et donc pas de temps = pas de sujet pensant et donc pas de discours (logos) possible sur le monde physique de la part du physicien.
Malgré ce que j’ai écrit ci-dessus, j’ai rencontré des choses intéressantes et des points de vue que je suis prêt à partager avec Rovelli dans la partie 2 de son livre, puisqu’il propose, entre autres, de mettre en doute la validité et la valeur de la : « Théorie Quantique des Champs », (TQC) pour faire de la bonne physique. J’ai écrit un article exprimant plus qu’un doute sur l’intérêt et la valeur de cette théorie le 08/11/2011 : « ‘Qui se permettra de le dire.’ » Depuis, j’ai eu l’occasion dans d’autres articles d’écrire que certaines impasses des modèles standards de la physique des particules et de la cosmologie étaient dues à des abus de traitements de celles-ci à l’aide de la TQC. Carlo propose de se focaliser sur les événements plutôt que sur les champs et les particules et il considère que ceux-ci sont les ingrédients élémentaires constitutifs du monde physique non pas pour les étudier en tant que tels mais pour prendre en compte leurs relations et c’est grâce à ce réseau de relations qu’il considère pouvoir nous dire que le temps et l’espace eux-mêmes ne sont seulement et réellement que la manifestation de leurs interactions et du réseau de causalité qui les relie. Je cite page 117 :
«On peut penser le monde comme constitué de choses. De substances. D’entités. De quelque chose qui est. Qui demeure. Ou bien on peut penser le monde comme constitué d’événements. D’occurrences. De processus. De quelque chose qui se produit. Qui ne dure pas, qui se transforme continuellement. Qui ne persiste pas dans le temps. La destruction de la notion de temps par la physique fondamentale implique l’écroulement de la première de ces deux conceptions, non de la seconde. C’est la réalisation de l’omniprésence de l’impermanence, et de l’immuabilité dans un temps immobile.
Penser le monde comme un ensemble d’événements, de processus, est le mode qui nous permet de mieux le saisir, le comprendre, le décrire. C’est l’unique mode compatible avec la relativité. Le monde n’est pas un ensemble de choses, c’est un ensemble d’événements.
La différence entre les choses et les événements, c’est que les choses perdurent dans le temps. Les événements ont une durée limitée(sic).»
Je suis d’accord avec C. Rovelli pour considérer que ce qui est de l’ordre de l’événementiel et du phénomène est ce qui est le plus juste éclairage et la manifestation la plus pertinente pour évaluer ce qui se joue dans le processus sans fin de la conquête de la connaissance du monde physique par le sujet pensant. Au tout début de l’article, j’ai mis en exergue les articles qui nous expliquent ô combien gagner de la précision dans la mesure de l’intervalle de temps le plus minimal était essentiel pour ‘voir’ de la nouvelle physique était crucial et de plus en plus asymptotique. Inventer l’horloge au tic-tac le plus élémentaire était une voie incontournable pour mieux connaître la physique qui gouverne le monde, si gouvernance il y a. Qu’est-ce que pense Carlo de cet éclairage ? Est-ce que cette problématique est encore compatible avec sa thèse principale de la ‘non existence du temps’ ?
Dans ce paragraphe on peut mesurer notre opposition première qui est de nature anthropologique. Lui dit d’une façon péremptoire que : « Le temps de la physique, en définitive, est l’expression de notre ignorance du monde. Le temps est ignorance. » Moi je dis que le temps est la marque de la ‘Présence’ du sujet pensant à la conquête de la connaissance. La volonté de conquérir de la connaissance, signifie s’opposer à l’acceptation de l’ignorance qui ne peut pas être, en tous les cas, pour l’être humain, définitive, absolue. Sinon c’est le figement de l’être humain, c’est sa minéralisation. Donc l’affirmation de Carlo : « Le temps est ignorance. » est l’expression d’une ignorance redoutable. Désolé !
Carlo, le dit lui-même : « Les événements ont une durée limitée. » Ceci est donc de sa part le contraire d’une ignorance et c’est un intervalle de temps qui caractérise les événements, ingrédients élémentaires fondamentaux, selon Carlo. Le ‘sujet pensant’, l’’être réflexif’, ne peut pas être passif face à ce constat, et il mobilisera toute son intelligence pour conquérir la mesure de cette durée limitée et y voir la propriété physique qui cause cet événement car un événement est par définition le symptôme d’une propriété physique.
Dans ma thèse principale j’introduis le point aveugle de l’intelligence humaine soit le ‘temps propre du ‘sujet pensant’ : TpS que je situe autour de 10-26s. Ainsi, c’est avec un très grand intérêt que je constate le caractère asymptotique de l’évolution de nos capacités instrumentales de mesure. C’est aussi avec curiosité que je constate notre incapacité d’observer depuis 6 ans un événement franchement neuf, tout aussi bien, dans CMS que dans ATLAS au CERN à Genève. Selon moi cela ne veut pas dire qu’il ne se passe rien dans ces détecteurs mais en fait nous ne savons pas les voir. On estime que la durée de vie du Boson de Higgs est de l’ordre de 10-21s donc encore loin de TPS. Je pense que l’on va pouvoir améliorer encore la situation mais cela sera de plus en plus difficile, coûteux en énergie cérébrale.
Contrairement à l’affirmation de C. Rovelli, je suis incapable d’indiquer si le temps existe réellement dans la nature ou pas. Ce problème est un faux ami pour les physiciens. Selon mon point de vue l’être humain est fondateur du temps, en un sens le temps est un propre de l’homme et la ‘Présence’ de l’être humain dans le monde que l’on cherche à comprendre est Réelle, inexpugnable, et comme telle doit être prise en compte par les physiciens.