Quel avenir pour le LHC ?
Dans cet article, je donne la priorité à la lecture de l’article de Laurent Sacco du site : Futura Science, du 03/07/2018 qui a pour titre : ‘Les travaux de construction d'un nouveau LHC ont débuté’. Celui-ci produira des faisceaux de protons plus intenses pour des collisions plus riches en évènements rares. Ce LHC à haute luminosité, ou HL-LHC, devrait partir chasser de la nouvelle physique à l'horizon 2025-2026 (sic). D’un certain point de vue cet article indique correctement l’impasse dans laquelle se trouvent les tentatives expérimentales d’enrichir, de prolonger, de dépasser, ce qui constitue le modèle standard de la physique des particules élémentaires (MS). Cet article est aussi illustratif de l’indigence théorique actuelle ou bien de sa fossilisation, analysée dans l’article précédent du 01/07/2018 : « Comment la croyance en la beauté a déclenché une crise de la physique. » que j’ai posté quelques jours avant celui de Sacco.
L. Sacco : « Avec ses détecteurs géants et sa connexion à une grille mondiale d'ordinateurs, le LHC est sans doute l'objet technologique le plus avancé créé par l'humanité. Lorsque ce Grand collisionneur de hadrons est enfin parti à la chasse d’une nouvelle physique, en 2010, les physiciens des hautes énergies étaient très majoritairement optimistes.
Ils s'attendaient à mettre en évidence rapidement des particules supersymétriques, dont certaines devaient être la clé de la nature de la matière noire. Il était même raisonnable d'obtenir tout aussi rapidement des preuves de la validité de la théorie des cordes, que ce soit avec la mise en évidence d'un boson Z' ou, mieux encore, avec la mise en évidence de mini-trous noirs de Hawking s'évaporant en un éclair après leur création.
Il n'en fut rien (sic), mais le LHC a tout de même atteint son but principal initial, à savoir la mise en évidence du fameux boson de Brout-Englert-Higgs (BEH) en 2012. Les chercheurs ont pu également vérifier depuis, avec plus de précisions, certaines prédictions du modèle standard de la physique des hautes énergies et commencer à explorer l'origine des masses des quarks et des leptons formant la matière en montrant que, là aussi, intervenait la physique du boson de BEH via les fameux couplages de Yukawa.
Une théorie standard triomphante, hélas…
Les résultats ont été finalement, jusqu'à présent, à la fois triomphants et désastreux. Lors de l'hommage rendu à Pierre Binétruy, hélas décédé, Jean Iliopoulos a argumenté, avec raison, pour que l'on parle désormais de la théorie standard plutôt que du modèle standard après la découverte du boson de BEH et la précision des mesures confirmant sa validité. C'est donc un triomphe spectaculaire. Mais, pour le moment, c'est aussi potentiellement un désastre car nous n'avons toujours pas la moindre indication d'une nouvelle physique dans les résultats des mesures concernant les produits des collisions de protons au LHC. Pire, le triomphe de la théorie standard pourrait indiquer qu'il est à tout jamais hors de portée de la technologie humaine de mettre en évidence directement cette nouvelle physique car nous ne serons jamais capables de construire des accélérateurs assez puissants pour cela (ils pourraient devoir être de la taille de la Voie lactée).
Tout espoir n'est cependant pas perdu. Il est en effet possible d'améliorer encore la précision de ces mesures mais, pour cela, il faut augmenter le nombre de collisions afin de : « faire grimper la statistique », comme disent les physiciens dans leur jargon. Pour obtenir cette augmentation du nombre de collisions en un temps raisonnable, et pas au bout d'un siècle par exemple, il faut faire augmenter ce que l'on appelle : « la luminosité des faisceaux de protons ».
Il est facile de comprendre pourquoi en comparant la situation à la problématique de la formation d'une bonne image avec un appareil photo. Il est nécessaire de faire entrer rapidement suffisamment de lumière pour éviter un temps de pause trop long et, tout simplement, pour avoir assez de photons afin d'obtenir une image assez détaillée et, ainsi, pouvoir identifier ce qu'elle représente et avoir des détails.
Des faisceaux de protons 5 à 7 fois plus lumineux avec le HL-LHC
C'est pourquoi, depuis des années, les ingénieurs et physiciens du Cern étaient engagés dans la conception d'un LHC à haute luminosité (HL-LHC) permettant de passer d'environ un milliard de collisions proton-proton par seconde à 5, voire 7 milliards de collisions par seconde, ce qui devrait permettre d'accumuler environ 10 fois plus de données entre 2026 et 2036, au moment où le HL-LHC partira à son tour à la chasse à de la nouvelle physique.
Or, le laboratoire européen vient de faire savoir dans un communiqué que les travaux de génie civil pour le HL-LHC avaient commencé. Ceux-ci permettront d'installer dans des tunnels et des halls souterrains de nouveaux équipements cryogéniques et systèmes d'alimentation électrique associés à de nouveaux et nombreux composants de haute technologie tels que des aimants supraconducteurs et des cavités radiofréquences. L'objectif est notamment de se servir d'environ 130 nouveaux aimants pour comprimer les paquets de protons, et, donc, augmenter la luminosité des faisceaux.
Comme l'a dit Fabiola Gianotti, directrice générale du Cern, « le LHC à haute luminosité étendra la portée du LHC au-delà de sa mission initiale, apportant de nouvelles opportunités de découvertes, de mesurer avec plus grande précision les propriétés de particules comme le boson de Higgs et de sonder encore plus profondément les constituants fondamentaux de l'univers ». Espérons qu'il permettra de valider la théorie de la supersymétrie, voire de découvrir que les particules de matière sont en fait composées de rishons.
Ce qu'il faut retenir
- Augmenter le nombre de collisions par seconde avec des faisceaux de protons permet d'augmenter la production de particules ou de réactions rares, et donc d'étudier celles-ci plus facilement en un temps raisonnable, plus court qu'une vie de chercheur de préférence !
- Il faut, pour cela, augmenter la luminosité de ces faisceaux comme on augmenterait celle d'un faisceau de lumière pour faire une bonne photographie.
- Le Cern a entrepris de construire une version améliorée du LHC, le HL-LHC, un LHC à haute luminosité pour chasser de la nouvelle physique qui se cacherait dans ces évènements rares. »
Cet article de Sacco n’élude pas ce qui est grandement décevant depuis la mise en œuvre en 2010 du LHC. Toutefois il participe à la confirmation de la croyance qu’il faut continuer comme avant et ce n’est plus qu’un problème de statistiques (sic). Comme je l’ai déjà indiqué dans l’article du 16/01/2016 : ‘Et si notre pensée était mal placée’, pour recueillir de nouvelles données significatives, il faut que théoriquement notre regard soit déjà bien orienté pour voir dans l’infiniment petit de l’espace-temps des phénomènes possibles, nouveaux, préalablement pensés. Prévoir que la nature nous fasse voir au hasard quelque chose de neuf sans que l’intelligence des physiciens l’ait préalablement potentiellement envisagé relève d’une conception paresseuse, franchement erronée. C’est croire que la physique relève d’un monde réel, finalisé, alors que, selon mon point de vue, la physique relève d’un monde qui ne peut être que préalablement envisagé pour être décrypté au fur et à mesure de l’évolution de nos aptitudes à le penser. La réalité c’est que parmi tous les possibles qui constituent le monde nous ne pouvons accéder à l’intelligence de ceux-ci que par étape. L’étape actuelle de notre intelligence du monde ne doit pas être considérée comme une étape d’aboutissement mais elle doit être considérée comme un tremplin pour accéder à l’intelligence de possibles pas encore décryptés. Aucune étape ne correspond à un savoir acquis par les physiciens qui aurait une quelconque composante universelle.
L’article suivant publié dans Phys.org et fourni par le CERN comprend un pot- pourri d’arguments qui laisse transparaître qu’il y a de sérieuses inquiétudes dans l’air. Il est traduit par mes soins. Je propose une analyse critique à sa fin.
Article fourni par le CERN le 06/07, de Tim Gershon : ‘Nous avons besoin de parler du Higgs’ :
« Il y a six ans que la découverte du boson de Higgs a été annoncée, en grande fanfare dans les médias du monde, présentée comme un succès couronnant le grand collisionneur de hadrons du CERN (LHC). L'excitation de ces jours semble maintenant un lointain souvenir, remplacée par un sentiment de déception croissant en l'absence depuis de toute découverte majeure.
Bien qu'il y ait des raisons valables de se sentir moins que satisfaits par les résultats nuls de recherches de la physique au-delà du modèle standard (MS), cela ne justifie pas une humeur de découragement. Une préoccupation particulière est que, dans le monde d'aujourd'hui hyperconnecté, des discussions académiques apparemment inoffensives risquent d'évoluer dans une perspective négative dans le domaine de la société élargie. Par exemple, des articles nouveaux et récents dans le ‘Natureled’ sur le LHC : "Echec de détection de nouvelles particules au-delà du Higgs" et dans ‘The Economist’ qui reportait que "La physique fondamentale frustre les physiciens. " Tout aussi inquiétant, la situation en physique des particules est parfois négativement comparée avec celle des ondes gravitationnelles : alors que cette dernière est, à juste titre, annoncée comme le début d'une nouvelle ère d'exploration, la découverte du Higgs est souvent décrit comme la fin d'un long effort pour compléter le MS.
Examinons les choses plus positivement. Le boson de Higgs est un tout nouveau type de particule fondamentale qui permet des tests sans précédent de rupture de symétrie électrofaible. Il nous fournit ainsi un microscope neuf avec lequel sonder l'univers aux plus petites échelles, en analogie avec les perspectives pour les nouveaux télescopes d'onde gravitationnelle qui étudieront les plus grandes échelles. Il est clairement nécessaire de mesurer ses couplages à d'autres particules – en particulier son couplage avec lui-même – et d'explorer les connexions potentielles entre le Higgs et les secteurs cachés ou obscurs. Ces arguments seuls (sic) fournissent une motivation suffisante pour la prochaine génération de collisionneurs, comprenant l’amélioration du LHC avec la haute luminosité et au-delà.
Jusqu'à présent, le boson de Higgs semble être un produit du MS (SM-like), mais une certaine perspective est nécessaire. Il a fallu plus de 40 ans entre la découverte du neutrino à la réalisation qu'il n'est pas sans masse et donc pas un SM-like ; s'attaquer à ce mystère est désormais un élément clé du programme mondial de la physique des particules. En ce qui concerne mon domaine de recherche principal, le quark beauté (b) - qui a atteint son 40e anniversaire l'an dernier - est un autre exemple d'une particule aux données scientifiques longuement établies, et elle fournit maintenant des informations passionnantes de nouveaux phénomènes (voir quarks Beauté test lepton universalité). Un scénario passionnant, si ces déviations par rapport au SM sont confirmées, est que le nouveau paysage physique peut être exploré à travers les microscopes de b et de Higgs. Appelons-le : "Physique des particules multi-messages. "
La façon dont les résultats de nos recherches sont communiqués au public n'a jamais été aussi importante. Nous devons être honnêtes au sujet de l'absence de nouvelle physique que nous espérions tous trouver dans les premières données du LHC, de là à caractériser ceci comme un « échec » est absurde. S’il y a un domaine où le LHC a eu plus de réussite que prévue, c’est celui du remarquable taux de données enregistrées et livrées. La physique des particules est centrée, après tout, sur l'exploration de l'inconnu ; l'analyse des données du LHC a conduit à des milliers de publications et une multitude de nouvelles connaissances, et il est tout à fait possible qu'il y ait de grandes découvertes en attente d'être faites avec d'autres données et des analyses plus innovantes. Nous ne devrions pas négliger les retours des bénéfices pour la société que le LHC a apportés, les développements technologiques et ses dérivés associées telle que la formation de milliers de jeunes chercheurs hautement qualifiés.
Le niveau d'attente et d’espérance à propos du LHC semble avoir été sans précédent dans l'histoire de la physique. Une autre installation a-t-elle été considérée comme ayant produit des résultats décevants parce qu'une seule découverte gagnante du prix Nobel a été faite dans ses premières années d'opération ? Peut-être cela reflète-t-il que le LHC est tout simplement la bonne machine au bon moment, mais que son temps n'est pas terminé : notre nouveau microscope est mis au point pour courir pendant les deux prochaines décennies et de placer la physique à l'échelle du TeV (1012eV) en tant qu’objectif clairement défini. Plus nous en parlons, plus nous avons de chances de succès à long terme (sic). »
Je veux rappeler qu’aux tout début du fonctionnement du LHC, sur le site même du CERN, il y avait l’annonce publicitaire : on va reproduire l’événement du big-bang, cela fut effacé au bout d’une semaine mais la tromperie était établie. Mettre en avant la formation de milliers de jeunes chercheurs hautement qualifiés n’est pas assurément à mettre au bilan des retours bénéficiaires s’ils sont formés à la théorie qui conduit à l’impasse que nous connaissons aujourd’hui, comme ce fut le cas pour ceux que l’on a, autrefois, canalisé vers la théorie des cordes, (voir le livre de L. Smolin : ‘Rien ne va plus en physique ! L’échec de la théorie des cordes.’)
Comme signalé, il est évident que les retours technologiques dus au LHC et au site du CERN en général sont remarquables et incontestables et la société civile, vous et moi, nous en sommes bénéficiaires.
En fait ce qui est en jeu c’est le financement de la prochaine génération de collisionneurs en Europe, puisqu’il y a un niveau de résultats scientifiques trop faible avec le LHC, pourquoi à l’avenir financer des dispositifs encore plus coûteux alors qu’actuellement il n’y a pas d’arguments tangibles qui justifieraient l’immobilisation de plusieurs milliards d’euros, alors que d’autres programmes scientifiques ont le vent en poupe grâce à la production de résultats très significatifs, originaux, comme cela est le cas, par exemple, dans le domaine de l’astrophysique.