On cherche dans le ciel la preuve de la validité de l’hypothèse de la matière noire.
Jusqu’à présent, essentiellement, c’est dans les profondeurs du sous-sol terrestre, dans les mines désaffectées, que l’on chasse des traces de particules de matière noire, en y plaçant des détecteurs de sensibilité de plus en plus grande, avec des projets de futurs instruments qui fonctionneront à partir de 2025.
Maintenant, depuis que l’on a détecté des ondes gravitationnelles produites par la collision et fusion de trous noirs on s’interroge sur le fait que les trous noirs pourraient constituer une/la source de cette fameuse matière noire. Cette hypothèse a quelques fondements parce que les trous noirs identifiés grâce aux ondes gravitationnelles sont de masse faible c’est-à-dire de quelques dizaines de masse solaire et c’était une première. De là, s’interroger sur l’existence d’un réseau de trous noirs, dits primordiaux puisque formés juste après le big bang, ayant une masse encore plus faible et non encore détectés est légitime. Si la réponse était positive cela permettrait d’identifier la source du supplément de force gravitationnelle que l’on recherche pour rendre compte de la dynamique observée des différentes structures de l’univers (galaxies, amas de galaxies, superamas de galaxies). Plusieurs techniques sont utilisées pour tenter d’inférer l’existence de ces trous noirs dans le ciel de notre univers. J’en décrirai quelques-unes ci-après mais préalablement j’indique qu’il y a déjà controverse sur la validité de l’interprétation des résultats partiels actuellement obtenus.
Je cite l’article du 1/10 sur le site de Physics.aps.org : ‘La controverse continue à propos des trous noirs qui constitueraient la matière noire’ ; ‘Controversy Continues over Black Holes as Dark Matter’.
Premièrement, en tant qu’indice, il faut prendre en compte que les trous noirs détectés par Ligo-Virgo avaient une masse (autour de 30 masses solaires) supérieure – et leur vitesse de rotation plus lente – que celles attendues à partir du modèle stellaire, donc de nombreux théoriciens ont commencé à considérer une origine primordiale. Précisons que cette hypothèse met en cause l’observation et l’interprétation dominante du fond diffus cosmologique. Des théoriciens ont expliqué qu’il y avait un détour possible sans remise en cause avec l’hypothèse de l’inflation hybride (sic). « Celle-ci prédit que l'univers primitif a recraché un grand nombre de trous noirs primordiaux avec un large éventail de masses. García-Bellido dit que ces trous noirs pourraient résoudre plusieurs problèmes ouverts en cosmologie. Par exemple, la fusion de certains de ces trous noirs primordiaux pourrait expliquer le nombre élevé de trous noirs supermassifs observés à de grandes distances dans les études de rayons X. Les trous noirs primordiaux peuvent également jouer un rôle dans la génération des fluctuations mesurées dans le fond infrarouge cosmique… Selon le modèle de García-Bellido, la voie lactée devrait nager dans une mer d'environ mille milliards de trous noirs. » ; « Des calculs récents ont montré que si la matière noire était composée de trous noirs pesant entre 10 et 300 masses solaires, alors Ligo aurait dû détecter des centaines fusions supplémentaires dans sa première phase de détection. Argumenter autrement les trous noirs de masse multi-solaires ne peuvent représenter que pour environ 1% de la matière noire. » Donc… !
Sur le même site et le même jour a été publié un autre article relatant des observations et des déductions des plus récentes du ciel de notre cosmos : ‘l’étude de supernovas abat la théorie de la matière noire’ ; ‘Supernoa study dampens dark matter theory’ :
« La recherche d’effet lentille gravitationnelle sur des supernovas par des trous noirs s’annonce vide, conduisant les chercheurs à conclure que les trous noirs ne peuvent pas constituer toute la matière noire. » L’analyse des chercheurs ayant effectué ce travail arrive à la conclusion que tous les trous noirs (s’ils existaient) avec des masses supérieures à 0,01 fois celle de notre soleil ne pourraient représenter au plus que 40% de la matière noire de l'univers. Les trous noirs primordiaux, formés obligatoirement avant les premiers atomes, sont sans disque et complètement noirs. Donc pour les détecter l’effet lentille gravitationnel est un moyen unique. Les deux chercheurs ont analysé le signal lumineux de plus de 1300 supernovas réparties dans l’hémisphère Nord et ils n’ont observé aucune amplification de celui-ci. « En supposant différentes abondances de trous noirs, ils ont également calculé la probabilité qu'un trou noir, dans la plage de masse détectable dans l'expérience, passe au hasard entre la terre et l'une des supernovas dans le laps de temps des mesures. Sur la base de ce calcul, ils concluent que la masse cumulative de ces trous noirs ne peut représenter que 40% de la matière noire. » ; « Mais la possibilité reste que les trous noirs pourraient constituer une petite fraction de la matière noire, le reste provenant d'une autre source potentielle comme les particules massives faiblement interactives (WIMP), les neutrinos stériles, ou axions. »
Complémentairement je vous propose de lire trois articles dans le numéro d’Octobre de ‘La Recherche’ : « Matière Noire : Les 3 théories ». Le premier article consiste en un interview de Françoise Combes : « Avec le problème de la matière noire l’astronomie vit une crise » et je privilégie les extraits suivants que je vous suggère de méditer, p.41 : « Ne restent que les trous noirs primordiaux, qui seraient apparus durant la première seconde de l’univers. Leur existence demeure très spéculative (sic). Beaucoup se seraient évaporés aujourd’hui, et des observations comme les microlentilles gravitationnelles, ont mis des contraintes très fortes : seulement moins de 0,001% (sic) de matière noire pourrait être fait de trous noirs primordiaux. » ; p.42 : « En effet, les simulations avec la matière froide prédisent un pic de matière noire au centre de galaxies qui n’existe pas en réalité (sic). Elles prédisent aussi l’existence de milliers de galaxies satellites à la voie lactée quand on n’en voit que quelques dizaines (re-sic). » ; « Un autre problème rencontré par MOND est que ce modèle n’explique pas les observations du fond diffus cosmologique, ni la formation des grandes structures de l’Univers, contrairement au modèle standard de la cosmologie. Malgré ses limites, la majorité des physiciens ne sont donc pas prêts à abandonner le modèle standard de la cosmologie. En résumé, d’un côté, la matière noire froide expliquerait très bien les données cosmologiques, mais moins bien les données galactiques, et surtout, elle reste introuvable. De l’autre, la modification de la gravité expliquerait très bien les observations galactiques mais pas celles cosmologiques. Avec le problème de la matière noire, l’astronomie vit une crise. Et nul ne peut dire d’où viendra la solution. »
Le deuxième article consiste à rappeler la recherche de WIMPs depuis quelques décennies sans succès. Nous avons beaucoup réfléchi sur ce sujet donc je n’y reviens pas (voir articles du 29/01/2015 : ‘Bilan de la recherche de la matière noire’ et celui du 29/07/2016 : ‘Abandonner l’hypothèse de la matière noire.’). Il y a, par contre page 49, une variante à base de matière noire qui se comporterait comme un superfluide, ce qui montre que des physiciens ont une imagination suffisante pour proposer des mécanismes sur mesure, ad hoc, permettant de conserver un cadre conceptuel qui s’avère stérile plutôt que de se concentrer sur un nouveau cadre simple et pertinent.
La superfluidité est un phénomène que nous connaissons bien en laboratoire. Exemple, l’hélium liquide quand il est à 3 degrés au-dessus du zéro absolu, il subit un changement d’état, il devient superfluide. Ce changement d’état est de nature quantique, et dans cet état l’hélium doit être considéré comme un système unique : « condensat de Bose-Einstein ». Les auteurs de cette version considèrent que ces condensats peuvent exercer une force à distance. Dans l’hypothèse de matière noire obéissant aux critères de condensat la force à ajouter à la force de gravitation est émergente suivant la température. Dans les galaxies la température est plus froide que dans les amas de galaxies et c’est ainsi que l’on expliquerait que l’on n’a pas besoin de modifier la loi de Newton dans les amas de galaxies contrairement à ce que la théorie MOND préconise dans les galaxies pour établir un bon accord entre ce que l’on observe et les équations de Newton modifiées.
Ce paragraphe assure la transition avec l’article 3 : « Et s’il fallait modifier les lois de la gravité ? » Là encore je ne rentre pas dans les détails car nous avons déjà beaucoup exposé sur ce sujet. Par contre ce qui est intéressant ce sont les arguments des pro-MOND et des anti-MOND car c’est ainsi que le rude[1] ‘dialogue’ s’est instauré dès le début des années 1980 :
Page 52 : de Stacy McGaugh : « Considérer l’hypothèse de la matière noire comme acquise, c’est accepter de faire de la physique sans cadre ni contraintes ; reconnaître aussi qu’on peut changer les paramètres à notre guise, pour les adapter à nos besoins. Cela ne correspond pas à l’idée philosophique que je me fais d’une théorie scientifique. Pour être validée, celle-ci doit subir toute une série de tests critiques, faire des prédictions qui sont vérifiées. Or l’hypothèse de la matière noire n’a jamais prédit quoi que ce soit ! » Ce que nous dit S. McGaugh est juste, l’hypothèse de la matière noire s’est imposée pour préserver le modèle standard de la cosmologie et surtout préserver l’hypothèse du big bang, ainsi que le mécanisme post big bang conçu pour rendre compte de la première image de l’univers obtenue, 380.000 ans après, par WMAP et PLANCK. McGaugh nous dit encore à juste raison : « Le modèle de la matière noire fonctionne bien à l’échelle cosmologique, parce qu’on a adapté la quantité de matière noire pour que cela se passe ainsi. Mais on ne pourra pas prendre ce résultat pour une évidence tant qu’on n’aura pas pesé la même quantité de matière noire avec une autre méthode. » On n’oublie pas de réfléchir au fait que la matière noire conduit à prédire que les grandes galaxies doivent avoir beaucoup de galaxies satellites, parfois des milliers. Pourtant, nous n’en avons trouvé qu’une cinquantaine pour la voie lactée. Alors ! Le débat ne sera pas tranché sans une véritable rupture théorique.
[1] Voir articles du 15/01/2016 : ‘A chacun sa tranchée’ et celui du 31/03/2015 : ‘L’objectivité scientifique exclut qu’elle soit parasitée par des problèmes de doctrine’.