La plus belle histoire de l’intelligence.
Des origines aux neurones artificiels : vers une étape de l’évolution.
L’intelligence a une histoire qui est celle de sa progression. Reconnaitre et comprendre cette histoire est le signe d’une intelligence qui s’éclaire car elle intègre dans la dimension d’un devenir les connaissances que dans la période présente elle établit. Je crois fermement que cette perspective permanente de l’évolution des connaissances établies, les nôtres, est une des conditions du plaisir de savoir. C’est le même processus que la marche, une fois qu’un pied prend un ferme appui sur le sol, immédiatement l’autre s’engage pour assurer l’appui suivant, et des paysages nouveaux sont à voir. C’est pourquoi, je suis toujours guidé par l’idée et la conviction : « au sein d’une éternité parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser, sans fin, sa connaissance de l’univers. Univers qui ne peut être clos c’est-à-dire qu’il ne peut être définitivement connu, autrement Anthrôpos se figerait. » Aujourd’hui s’esquisse la prochaine étape de l’évolution du Sapiens que nous sommes, concomitamment à cette évolution de nouveaux espaces de sens seront conquis, cela implique le prolongement du déploiement de notre espace-temps physique actuel. Les bornes de l’univers jusqu’à présent dessinées seront repoussées et la phénoménologie mécaniste que l’on prête à cet univers sera probablement dépassée. Bref, le nouveau Sapiens en cours concevra un univers, un habitat qui sera à la dimension de cette prochaine étape de l’évolution.
Le titre de l’article est emprunté à celui du livre que je vous recommande, (un cadeau de Noël enthousiasmant), edit. Robert Laffont, correspondant à un interview et dialogue de S. Dehaene et Y. Le Cun ( qui ne sont plus à présenter) que l’on peut résumer ainsi, p.30: « L’intelligence humaine et l’artificielle se rencontrent, se fertilisent, se nourrissent l’une de l’autre. Mais quel est le futur ? Le cerveau humain pourra-t-il toujours dominer sa propre création ? Faut-il nous réjouir ou nous inquiéter de voir cette intelligence si insaisissable échapper au contrôle humain ? Dans une troisième partie, S. Dehaene et Y. Le Cun débattent de l’avenir des intelligences, porteuses d’autant d’espoir que d’inquiétudes, et qui sont incontestablement en train d’initier une rupture dans l’évolution d’Homo Sapiens, peut-être aussi considérable que celle du passage à la bipédie (sic). »
J’insiste en précisant que nous, qui sommes intéressés et concernés par la connaissance scientifique et plus particulièrement celle relative à la connaissance en physique, nous devons lire et réfléchir à ce que nous disent S. Dehaene et Y. Le Cun.
p. 255 et plus : « J’aimerais que l’on parle de l’irrationnel, qui fait partie intégrante de notre vie et de notre communication consciente. Où se situe cette attitude dans l’intelligence ? »
S.D. : « C’est intéressant de parler de ça maintenant parce que, à mon avis, c’est la conséquence de l’exploration qui nous caractérise : les êtres humains sautent souvent un peu trop vite aux conclusions, sans avoir suffisamment mis leurs hypothèses à l’épreuve. Notre cerveau apprend tellement vite que, parfois, sur la base de très peu d’informations, il tire des conclusions exagérées. Nous avons tendance à voir des causes cachées là où il n’y a que du hasard, parce que notre espace d’hypothèses est très orienté vers la causalité. Il dit : « Si j’ai vu une ou deux fois A suivi de B, il est possible que A soit la cause de B. » Et l’on colle des hypothèses erronées sur le monde extérieur. Nous en revenons à cette notion d’un cadre inné ou figé (sic) que nous plaquons sur le monde. »
« C’est cependant quelque chose qui nous a fait avancer. »
S.D. : « Oui, mais pendant longtemps, en voyant un orage, l’humanité a dit qu’il y avait un dieu de l’orage caché dans le ciel et qui envoyait des éclairs. Sans doute parce que l’orage excite notre système de détection des objets animés plutôt que du monde physique inanimé. »
Y.L.C. : « C’est la source de beaucoup de religions. D’ailleurs, ça s’appelle l’animisme. »
S.D. : « Cependant, je crois qu’au départ, il y a un fondement de rationalité, lié à notre évolution : l’idée que le monde se partage entre objets animés et inanimés est très efficace pour le comprendre. On applique juste ce schéma un peu trop loin. Il n’est pas impossible que des intelligences artificielles succombent à ce même travers. »
Des scientifiques artificiels (sic)
Y.L.C. : « C’est très possible. Nous sommes poussés, pour notre survie, à faire des prévisions à partir d’informations limitées et donc à attribuer des relations de cause à effet qui n’existent pas[1]. Ainsi, lorsqu’on demande à de très jeunes enfants ce qui produit le vent, ils répondent souvent que ce sont les feuilles qui font du vent en bougeant. Une relation causale à l’envers, née d’une observation. Normalement, pour obtenir une relation causale, il faut influencer le système afin de savoir si le fait de changer une variable modifie les autres. Ainsi, pour tester un médicament on crée un groupe placebo qui permet de comparer et, éventuellement, de constater un effet. Obtenir des relations causales par la simple observation constitue actuellement un domaine de recherches assez actif, aussi bien en statistiques qu’en machine learning et en intelligence artificielle. »
S.D. « En fait, l’humanité a développé un algorithme d’apprentissage multi-individus afin de poser ce genre de questions : on l’appelle tout simplement la « recherche scientifique » ! C’est un dispositif extraordinaire efficace sur le long terme, qui a fait progresser notre intelligence à une échelle jamais imaginée auparavant, et qui a permis en quelques milliers d’années de dépasser le stade irrationnel. Pour moi, c’est une interrogation : aurons-nous la chance, un jour, de voir apparaître en informatique une sorte de « scientifique artificiel » qui posera mieux que nous les bonnes questions sur l’organisation de la physique du monde et de la biochimie, et qui pourrait nous aider à résoudre des problèmes d’environnement par exemple ? »
p.258, Y.L.C. : « Cela existe déjà un petit peu… »
S.D. : « Mais les statisticiens se contentent d’observer les données. Ils ne font pas les expériences. »
Y.L.C. : « … Je pense tout de même que le scientifique artificiel autonome n’est pas pour demain. Même si, déjà, dans certaines découvertes les statistiques et l’apprentissage automatique ont joué un rôle prépondérant. Celles du boson de Higgs, par exemple… »
S.D. : « La science est une sorte d’algorithme. Il existe une méthode pour essayer de faire des découvertes, et on distribue les données sur des millions de processeurs qui sont les scientifiques. Certains adoptent des positions assez radicales et ils se disputent, parfois jusqu’à leur mort, sans jamais pouvoir se réconcilier sur la nature des données. D’une certaine manière, ça marche : l’intelligence collective[2] est le meilleur algorithme que l’on ait trouvé pour faire des découvertes. »
Y.L.C. : « Je fais partie de ceux qui pensent que l’intelligence artificielle va permettre à l’intelligence humaine de se développer (sic). Elle sera un amplificateur. Chaque apparition d’une nouvelle technologie a permis de libérer l’esprit pour des activités qui n’étaient pas accessibles auparavant. La maîtrise du feu et les quelques technologies dont nous disposions il y a quarante millénaires ont permis les premières expressions artistiques sur les parois de grottes. L’art s’est développé d’autant plus que les sociétés étaient mieux organisées et consacraient moins de temps à leur survie[3]. »
Attention à ce que nous dit Le Cun car préalablement à l’existence de moyens, de techniques, il faut qu’il y ait un besoin, un désir, d’expressions qualifiées aujourd’hui d’‘artistiques’ sur les parois des grottes (poussée de l’émergence de la condition humaine (voir note 3)). Mon impression quand j’admire les scènes de la grotte Chauvet, c’est que les animaux dessinés sont au bout des doigts des hommes de l’époque, ils sont dans la plus grande proximité visuelle et charnelle. Etant soit des proies, soit des prédateurs, il s’en faut de peu pour être soit l’un soit l’autre, il faut donc interpréter en une fraction de temps l’essentiel de ce que signifie le regard de l’ordre, le souffle, la posture de l’autre, et c’est pourquoi, ils nous apparaissent être dans un mouvement si irrépressible. C’est aujourd’hui qu’il faut être un artiste pour représenter avec une telle économie de moyens des choses si fortes car nos besoins ne sont plus les mêmes et notre proximité avec la nature et les habitants de la nature n’est plus.
Pour nous physiciens, astrophysiciens, observateurs, il y a matière à méditer et intérioriser ce qui est dit dans le paragraphe : ‘Voir pour savoir’, p.40 :
Il y aurait un lien entre l’évolution de l’œil et celle du cerveau ?
S.D. : « Il est clair que l’apparition de la vision a constitué une étape clé. On pense que cela s’est passé au cambrien, il y a en gros cinq cent quarante et un million d’années. Cette époque a connu l’explosion de nombreuses formes de vie très différentes. L’œil serait apparu au cours de cette ère. En tout cas, ce progrès a représenté un moment crucial… Grâce à la vision, l’organisme est devenu capable de se représenter des objets distants : le rayonnement électromagnétique, les photons qui parvenaient jusqu’à l’œil pouvaient venir de loin. »
Donc, la capacité de recevoir de nombreuses informations du monde extérieur constitue une nouvelle étape. Les cinq sens sont à l’origine d’une nouvelle forme d’intelligence.
S.D. : « Voilà. Mais à condition, bien entendu, d’être capable de se représenter ces informations et de les manipuler mentalement. Ce qui revient à dire : « Je cartographie le monde extérieur et j’en crée une représentation mentale. Une représentation détachée de la perception immédiate. »
Une carte virtuelle ?
S.D. : « Si l’on veut. Je peux fermer les yeux, je peux perdre les informations que me transmettent mes sens, je vais quand même réussir à les retrouver à l’intérieur de ma tête. On a découvert que les souris, par exemple, disposent d’une sorte de carte de leur environnement et d’un véritable GPS dans le cerveau. Ce fut l’objet du prix Nobel 2014 des époux Moser et de John O’Keefe. Ils ont montré qu’il y a des cellules dans le cerveau de l’animal, dans l’hippocampe en particulier, qui constituent une sorte de carte de l’environnement. Si bien que la souris sait à chaque instant où elle est. » Sur ce sujet voir article du 24/10.
Même s’il n’y a aucun point de repère ?
S. D. : « Même sans repères ! Même s’il s’agit d’une région plate, désertique, l’animal emporte avec lui cette carte mentale. Même dans le noir, la carte se met constamment à jour lorsqu’il se promène. Grâce à elle, il sait toujours retrouver, par exemple, les coordonnées de son nid. »
[1] Cela pourrait convenir à la description de la situation suivante : en cosmologie nous sommes obligés d’inventer la matière noire (la majorité des physiciens ne savent pas penser autrement) qui serait la cause de l’organisation structurelle de notre cosmos en galaxies, en amas de galaxies et superamas, elle serait aussi la cause de l’observation de la stabilité des galaxies et de la dynamique des amas de galaxies, etc. Cette matière noire n’a jamais été observée pourtant il n’est pas possible pour les physiciens d’intégrer l’idée que cette situation serait due au fait que notre information est limitée à cause de notre conception limitée voire erronée de notre univers qui serait clos et déterminé d’un point de vue spatio-temporel, vu comme un bloc univers, conséquence de la Relativité Générale.
[2] Voir article du 11/07/2012 et c’est pourquoi je propose des articles qui font références à la paléoanthropologie, à la philosophie, à la métaphysique, aux mathématiques, aux neurosciences.
[3] Cette affirmation de Le Cun est une source de débats tendus entre paléoanthropologues, ainsi dans l’article du 07/11, j’indique l’existence d’articles dans ‘Pour la Science’ qui privilégient : « La culture, moteur de l’évolution humaine. » P. Picq dans son livre, ‘Premiers hommes’, 2016, a un point de vue contraire, p. 336 : « Aujourd’hui encore, une majorité de paléoanthropologues et surtout des préhistoriens considèrent que notre évolution est plus cultuelle que biologique. Rien de plus faux ! Il n’en est rien, que ce soit pour Homo erectus ou, bien plus tard… » ; « Ce qui fait que notre évolution devienne humaine depuis Homo erectus ne vient pas de l’invention des outils, de la chasse, du partage de nourritures…mais de l’émergence de la condition humaine. Homo, est un transformateur de monde par sa pensée et ses actions… Cette puissance écologique d’Homo repose en outre sur une puissance biologique, physiologique et cognitive qui provient – fait inédit de l’histoire de la vie – de ses innovations techniques et culturelles, comme le feu et la cuisson. »