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4 février 2019 1 04 /02 /février /2019 09:39

Crise au cœur de la physique : « Nous mourrons avant de trouver la réponse. »

De nouvelles théories ambitieuses imaginées pour expliquer la réalité nous ont conduits nulle part. Rencontre du noyau dur des physiciens essayant de penser une sortie de ce trou noir.

Ceci est le titre et le sous-titre d’un article du NewScientist du 16 janvier, que j’ai traduit, qui relate, à mon point de vue, le début d’une prise de conscience nécessaire donc utile. Cette situation de crise devra être analysée avec profondeur ce qui ne me semble pas le cas encore au ‘Perimeter Institute’. On peut le constater quand N. Turok ne peut s’empêcher d’affirmer qu’il a eu, il y a quelques mois, une idée géniale (banale) en exploitant des concepts qui sont conformes à ceux qui sont en cause dans cette crise.

« Vous avez peut-être entendu dire que la physique est en crise. On nous a dit qu’elle révélerait les secrets de l'origine de l'univers ainsi que la nature fondamentale de la réalité. Stephen Hawking nous a même dit qu'elle pourrait "nous montrer l'esprit de Dieu ". Mais les grandes découvertes se sont asséchées. Oui, nous avons trouvé le boson de Higgs et détecté des ondes gravitationnelles, mais cela a été prédit il y a des décennies. Aucune des idées vraiment ambitieuses des 30 dernières années n'a été bonne.

Alors, que se passe-t-il ? Pour le savoir, je suis allé à ‘l'Institut Perimeter de Waterloo’, au Canada, une installation dédiée à forger — comme son énoncé de mission l'annonce — "de nouvelles idées fortes, émergentes, sur la nature ultime de notre univers ". Cet institut abrite peut-être la plus grande concentration de physiciens théoriques dans le monde, et ceux-ci jouissent de plus de liberté que la plupart des physiciens pour émettre des idées audacieuses. Si quelqu'un peut faire la lumière sur la crise — et peut-être indiquer un moyen de s'en sortir — il se pourrait que ce soit quelqu’un d’ici.

Neil Turok, directeur de l'Institut, ne nie pas qu'il y ait une crise. Quand je suis conduit à son bureau pour une conversation supposée de 15 minutes, il me dédie une heure, en commençant par une évaluation inébranlable de son champ.  "Quand je suis arrivé dans la physique au début des années 80, elle a cessé d'être une réussite " dit-il. Aïe.

Beaucoup de ses collègues ne l’affirment pas si fortement. Certains préfèrent éviter le terme crise. Mais ils ne sont pas ignorants de cette perception que la physique théorique, du moins avec ses projets les plus ambitieux, est au plus bas.

"Nous croyons fermement qu'il y a des réponses nettes à nos questions », explique Luis Lehner, qui passe ses jours à essayer de comprendre comment la gravité pourrait s'écarter de la théorie de la relativité générale d'Einstein lorsqu'elle est poussée à l'extrême. Mais ce qu'il dit ensuite place le challenge actuel dans son contexte : "L'une des choses qui nous distingue, c'est que nous sommes heureux de mourir sans avoir nous-mêmes les réponses. "

Les théoriciens ont connu de meilleurs moments. En effet, pendant une grande partie du XXe siècle, ils étaient portés par une vague positive. Ça a commencé avec Einstein. Sa théorie de la relativité générale, qui décrit la gravité comme la résultante de l'espace-temps déformé, et qui a été prouvé au bon moment et encore. Puis il y a eu le développement de la mécanique quantique dans les années 1920. Une collection d'idées franchement dingues décrivant le monde subatomique, qui a néanmoins passé tous les tests expérimentaux jusqu’à ce jour.

Debout sur ces épaules-là, les théoriciens qui ont suivi ont donc conçu les deux modèles standards : l'un pour expliquer les particules et les forces, l’autre pour donner du sens aux origines et à l'évolution du Cosmos dans son ensemble. Le modèle standard des particules physiques est particulièrement impressionnant par le fait qu’il décrit le comportement de toute la matière connue grâce à un ensemble net d'équations qui pourraient tenir sur un T-shirt. Sa réussite finale est parvenue sous la forme du Boson de Higgs : une particule attribuant de la masse, conçue sur une intuition mathématique dans les années 1960 et d'abord observée au grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN, en 2012. Telle est la puissance de la physique théorique. Mais les modèles standards n'ont pas toutes les réponses, et aucune des idées proposées pour continuer de construire sur les précédentes ne se sont avérées être justes. Bien sûr, tous les théoriciens n’étudient pas que les particules et la cosmologie. Ils travaillent sur toutes sortes de choses, des lasers aux phases bizarres de la matière qui pourraient donner lieu à des matériaux exotiques. Mais quand il s'agit de ce que la plupart d'entre nous qui étudions les questions essentielles, à savoir, les origines de l'univers, les lois fondamentales de la nature — il est juste de dire que la vague a sérieusement ralenti.

 "Le progrès devient plus difficile, " dit Lehner.

 "Pousser vers de nouvelles frontières est plus délicat qu'auparavant, et cela coûte bien plus. Il a fallu des décennies pour construire une expérience capable de détecter les ondes gravitationnelles. Avec le Higgs ça a été pareil. C'est juste dans la nature des choses.  « En effet il est difficile de reconnaître les bonnes théories jusqu'à ce que nous les testions, et les tests sont de plus en plus délicats parce que cela signifie briser les particules ensemble à des énergies toujours plus élevées, et observer le Cosmos avec une définition toujours plus élevée. Donc on doit juste être patients. »

La fois suivante que je passe devant le bureau de Lehner, il a la tête fermement plantée sur son bureau. OK, donc la physique est dure. Et à certains égards, les théoriciens ont été victimes de leur propre succès, parce que les modèles qu'ils ont construits ont si bien travaillé qu'il est difficile de penser en dehors de la boîte pour penser une prochaine percée. Là encore, nous aurions pu sûrement espérer à ce que quelques idées récentes soient payantes, compte tenu des expériences énormes et coûteuses que nous avons construites pour les tester.

Le LHC ne visait pas seulement à trouver le Higgs. Il était également censé révéler une pléthore de particules prédites par la supersymétrie, une théorie mathématiquement élégante conçue pour expliquer pourquoi le Higgs est tellement plus léger que ce qu'il devrait être selon le modèle standard, et pourquoi la gravité est si faible par rapport aux autres forces fondamentales. Le LHC n'a rien trouvé de ce genre, et l'absence de preuves pour cette théorie précieuse a suscité un certain vague à l'âme. Même ceux qui en ont forgé l'idée sont maintenant prêt à remettre en question l'hypothèse sous-jacente de la « naturalité », à savoir que les lois de la nature doivent être plausibles et cohérentes, plutôt que de descendre au hasard.

 "Nous avons appris quelque chose : nous avons découvert ce qui n'est pas le cas, " dit Savas Dimopoulos : théoricien à l'Université de Stanford en Californie, et l'un des fondateurs de la supersymétrie. Comment apprécier quelles théories nous devrions poursuivre ?  "Peut-être que nous devons repenser nos critères, " dit-il.

Les plus grandes idées en cosmologie ont subi un destin similaire. Prenez l'idée que dans le fragment de seconde après le Big Bang, l'univers a subi une inflation prodigieuse. Cela expliquerait beaucoup : par exemple pourquoi l'univers apparaît le même dans toutes les directions. Encore une fois, cependant, nous n'avons aucune preuve réelle pour cela (sic).

La perspective devient encore plus sombre quand on considère les tentatives de couturer ensemble la relativité générale et la mécanique quantique. Pour les critiques les plus bruyants, c'est là que le croque-mitaine ultime se cache : la théorie des cordes avec l'idée que les particules ne sont que les morceaux visibles d'objets appelés cordes, qui existent en plusieurs dimensions supplémentaires. Ce n'est pas la seule théorie de la gravité quantique, mais c'est de loin la plus populaire en termes de nombre de théoriciens qui y travaillent. Cependant, cette théorie en est encore à produire une simple prédiction testable.

Pour le cosmologue Niayesh Afshordi, le fil qui relie ces broderies bâclées est la tendance des théoriciens à se consacrer à tout ce qui se trouve être l'idée la plus branchée (sic).  "C'est un phénomène de groupe " dit-il. Il pense que cela a beaucoup à voir avec l'influence surdimensionnée des citations.

 "Le combat maintenant n'est pas de trouver une théorie fondamentale. Il est de se faire remarquer, et la meilleure façon de le faire est de monter à bord d'un train "dit-il.  "Vous obtenez cette boucle de rétroaction : les gens qui passent plus de temps dans les wagons du train à la mode obtiennent plus de citations, puis plus de financements, et le cycle se répète. " En ce qui concerne ce type de critiques, la théorie des cordes est en effet la plus représentative.

Présentement, si triste. Pourtant avec chaque personne, avec laquelle je parle, elle insiste pour dire qu’il y a des raisons d'être gai(e). Bien qu'il semble de plus en plus improbable que le LHC puisse encore trouver des preuves de quelque chose comme la supersymétrie, et que nos derniers télescopes puissent encore découvrir l'empreinte de l'inflation dans le rayonnement relique. Même si aucune ne perce, une nouvelle génération de théoriciens est déjà passée à ce qui, avec la chance, se révélera être des pâturages plus verdoyants.

Asimina Arvanitaki, la première femme à détenir une Chaire de recherche à l'Institut Perimeter, se fait un nom par elle-même en trouvant de nouvelles façons intelligentes de tester les théories négligées. Passer une heure en sa compagnie est suffisant pour me convaincre que l'avenir de la physique est brillant.  "Il y a des gens qui pensent que, en utilisant juste la puissance de nos esprits, nous pouvons comprendre ce que la matière noire est, ce que la gravité quantique est," dit Arvanitaki.  "Ce n'est pas vrai. La seule façon d'avancer est d'avoir : expérience et théorie qui évoluent à l’unisson. »

Quant à Turok, il est optimiste. "Nous entrons dans une crise qui doit être fructueuse, où les fondations sont en péril, et c'est tout simplement passionnant. " dit-il.  "Je suis occupé à essayer de convaincre mes collègues ici de ne pas tenir compte des 30 dernières années. Nous devons retracer nos pas et déterminer où nous nous sommes trompés. "

Alors que tout le monde avec qui je parle à l'Institut me dit que ce genre de choses est terriblement compliqué et le devient de plus en plus avec le temps, N. Turok pense que c'est tout à fait simple. "Je suis venu à l'idée que les lois connues de la physique seront effectivement suffisantes pour expliquer tout." dit-il, avant de se rétracter avec une explication exaltante du pourquoi il n'y a pas une telle chose comme le Big Bang, ce qui aboutit à réinterpréter l'univers comme une paire univers/anti-univers, analogue à la matière et à l'antimatière (sic). Cela, dit-il, nous donne une solution pour la matière noire[1], "c’est si banal que les gens sont presque choqués que nous ayons manqué cette idée.".

Même si l’idée de N. Turok est erronée, au moins son approche indique que la pensée scientifique doit essentiellement se renouveler. Et après avoir passé quelques jours en compagnie de théoriciens chargés d'expliquer l'univers tout entier, de les voir déambuler dans les couloirs et de se cogner la tête sur leurs bureaux, je suis venu voir que nous devrions probablement leur lâcher du lest.

 « Cet endroit consiste à encourager les gens d’avoir des pensées ambitieuses et originales, dont 99% de ceux-ci se trompent », explique Turok.  "Si seulement un seul voit juste, il justifiera tout. "

Quelques physiciens théoriciens du ‘Perimeter Institute in Waterloo, Canada : « Comment ils vivent leur quotidien. » :

Asimina Arvanitaki : « Je passe la plupart de mon temps à être confuse sur les choses et me sentir comme une idiote. Mais la façon dont vous vous sentez aux moments où tout tombe en place dans votre esprit et que vous avez compris quelque chose d'important, est étonnant.

Il n'est pas clair quand une bonne idée viendra. Elle vient généralement après avoir réfléchi à des choses pendant un certain temps, se sentir coincé et puis, soudain, il y a ce moment : aha. Vous ne pouvez plus vraiment éteindre. »

Luis Lehner : « La vie d'un physicien en général se caractérise par une croyance profondément enracinée qu'en quelque sorte il y a une réponse à la question que vous vous posez, en comprenant aussi que nous devons attendre aussi longtemps qu'il le faudra. Je réfléchis beaucoup avec du rythme, et en particulier quand je cours. J'aime sortir et juste me perdre dans les pensées pendant le jogging. »

Niayesh Afshordi : « J'essaie de visualiser une image de ce qui se passe, et ce qui manque ou ne sent pas bien. Ensuite j’essaie de tester des idées qui pourraient résoudre le problème, et examiner leurs conséquences.

Les idées ont tendance à venir à des heures les plus indues, mon humeur tend à basculer périodiquement entre la frustration lorsque les idées ne fonctionnent pas, et dans le doute quand elles le font, sous réserve de l'approbation d’examinateurs anonymes. »

Avery Broderick : « Je passe la plupart de mes jours à me sentir très stupide. Je vais me mettre devant le tableau, ‘L’oeil du Tigre’ jouant dans ma tête, écrire quelque chose, l'effacer, changer ma pose, écrire quelque chose d'autre, l'effacer, ‘ad infinitum’. Concrètement c’est ainsi que ça fonctionne. Si nous savions ce que nous faisions, cela ne s’appellerait pas la recherche. »

Je propose à ce niveau de commenter cette partie de l’article à savoir : « Même ceux qui en ont forgé l'idée sont maintenant prêt à remettre en question l'hypothèse sous-jacente de la « naturalité », à savoir que les lois de la nature doivent être plausibles et cohérentes, plutôt que d’atterrir au hasard. » La naturalité est une conception plus nuancée que le réalisme einsteinien mais elle nie la contribution du sujet pensant dans les observations, dans son interprétation des événements de la nature, dans sa conception théorique. Bref les déterminations du sujet pensant sont totalement ignorées car il y a la conviction de la part de ces scientifiques que les fondements de la physique et sa méthode transcendent ces déterminations. Le 21/12/2011, j’ai posté un article qui mettait sérieusement en doute cette vision erronée des choses et il n’est pas possible d’être intellectuellement passif à l’égard de ce questionnement : « L’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence une loi de la Nature ?».

L’article récent : ‘La Tache Aveugle’ ; ‘The Blind Spot’, révèle que les physiciens commencent à s’interroger sérieusement sur cet aveuglement collectif.

Quand N. Turok propose : « Nous devons retracer nos pas et déterminer où nous nous sommes trompés. » Là encore, il faut remonter plus haut que 30 ans en arrière et j’ai toujours considéré que l’outil théorique générique dénommée : ‘Théorie Quantique des Champs’ était à la source d’extrapolations et d’hypothèses fragiles, opportunistes, qui ont transformé cette ‘TQC’ en un ‘mille-feuille’ qui conduit à l’errance intellectuelle. J’ai acquis cette conviction en étudiant le traitement des neutrinos dans le cadre de cette TQC. Voir article du 08/11/2011 : ‘Qui se permettra de le dire ?’

Ce qui est certain, c’est que les physiciens doivent plus penser qu’appliquer au sein de modèles qui ne peuvent plus être standards. Il faut que le physicien pense sérieusement à sa position et à son statut en tant que sujet pensant dans son rapport avec l’observation intime de la Nature et son décryptage. J’ai tenté d’exprimer quelle était la bonne posture intellectuelle dans l’article du 22/03/2014 : ‘La physique n’est pas une science qui nous conduit à la connaissance de la réalité. Elle nous conduit à établir des vérités fondées.’

"Si seulement un seul voit juste, il justifiera tout. " : cette affirmation de Turok ne doit pas être considérée comme provocatrice, les physiciens ne sont pas des enfants gâtés, même ceux du ‘Perimeter Institute’ de Waterloo. Il est vrai que dès qu’il sera possible de voir juste ce sera l’humanité entière qui en sera bénéficiaire, certes à des degrés très divers, avec des effets d’inertie du progrès humain très variés, mais on ne peut nier que plus l’être humain peut mieux se situer dans l’univers plus il acquière une liberté de penser étendue, plus de liberté tout simplement. C’est un processus qui s’est engagé depuis la nuit des temps.

 

 

[1] This new model gives a natural explanation for dark matter: a CPT-symmetric Universe would produce large numbers of very massive sterile neutrinos (sic). Such superheavy neutrinos might also be the source of recently observed high-energy cosmic-ray showers (avalanche) (see 18 October 2018 Synopsis). This research is published in Physical Review Letters

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