Notes de lecture du livre de Smolin
La Révolution Inachevée d’Einstein.
Cet article fait suite au précédent du 27/04.
En résumé : pour L. Smolin, il sera possible de transformer la mécanique quantique lorsque on aura maitrisé une conception exacte de l’espace-temps. C’est-à-dire selon sa conception lorsqu’on comprendra que le temps est un donné de la nature (de l’univers) donc réel et irréversible et que l’espace est émergent.
Avec ces deux phrases je rencontre l’intérêt d’étudier le point de vue de Smolin puisqu’il est quasiment opposé au mien et c’est donc une occasion pour renforcer mon propre point de vue ou bien d’intégrer le sien pour enrichir ce que je pense. Selon moi le temps n’est pas donné il est un propre de l’homme et quant à l’espace c’est sa signification classique qui est émergente suivant l’entendement de l’homme et la fonction qu’il lui a attribué mais la problématique de la spatialisation est donné dans la nature. En conséquence il n’est pas exclu qu’il soit plus riche avec par exemple des dimensions supplémentaires microscopiques. Ce que je considère comme préalable et essentiel c’est le repérage spatio-temporel de tout objet physique pour que le physicien puisse développer un discours scientifique sur cet objet. Lorsqu’un observateur est privé de ce repérage il est amené à concevoir des états différenciés par exemple en mécanique quantique : onde ou particule ainsi que des phénomènes qui échappent à son entendement façonné par son rapport avec la nature à l’échelle classique, tel que celui conduisant à ce que l’on nomme l’intrication, l’indiscernabilité. (Voir article : Appel d’offres, le 05/08/2017)
Pour Smolin c’est en couplant la physique quantique et l’espace-temps au niveau de principes fondamentaux qu’il sera possible d’établir les conditions d’une nouvelle physique. Cette tentative est selon lui essentielle car il considère que la mécanique quantique est incomplète (sic) et il veut construire une théorie réaliste en s’appuyant sur les principes du relationnisme temporel qui conduirait à un achèvement concomitant de la mécanique quantique et de la relativité générale. Il écrit page 253 : « J’ai l’espoir que cette théorie non seulement résoudra les puzzles des fondations de la mécanique quantique, mais conduira à la découverte de la bonne théorie de la gravité quantique. »
En conséquence il postule qu’une théorie physique ne doit aucunement dépendre de structures qui soient fixes (gelées) et qui n’évoluent pas dynamiquement en interagissant avec d’autres quantités. La géométrie de l’espace et du temps est gelée avec la physique de Newton, et elle est aussi gelée avec la relativité restreinte. Dans ces théories, la géométrie de l’espace-temps fournit un arrière-plan absolu et fixe sur lesquelles les mesures sont définies. A contrario, la Relativité Générale dégèle la géométrie et la rend dynamique. Malgré tout, selon Smolin, aussi belle soit-elle, elle ne doit pas être la fin de notre recherche et elle nécessite des améliorations futures. S’il est possible de transformer la mécanique quantique il faut éliminer les structures d’arrière-plan. Pour le faire il présente et dégèle l’arrière-plan et lui octroie une dynamique. En d’autres mots, plutôt que de quantifier la gravité il cherche à gravitifier (graviter ?) le quantum (dans le texte original : gravitize the quantum[1]) (sic). Cela signifie identifier et dégeler les aspects de la théorie quantique qui sont arbitraires et fixes, en les transformant en sujets de lois dynamiques. Ainsi les observables essentielles des théories physiques doivent décrire des relations.
L. Smolin récapitule les 5 principes fondamentaux qui sont totalement en cohérence :
1. Le principe de l’indépendance de l’arrière-plan ;
2. Le principe que l’espace et le temps sont relationnels ;
3. Le principe de la complétude causale ;
4. Le principe de réciprocité ;
5. Le principe de l’identité et de l’indiscernabilité ;
Chacun de ces 5 principes représente un aspect d’un principe unique que Leibniz appelle le Principe de la raison suffisante.
Page 234, Smolin affirme : « Un scientifique qui aspire à être rationnel doit être un relationniste. » Ce qui interpelle avec cette sentence c’est qu’il est convaincu qu’il n’y a pas à considérer la relation entre le scientifique et la nature dont il cherche à décrypter les lois et propriétés car selon le point de vue du réaliste qu’il est, le scientifique pense la nature et est capable d’identifier ses lois physiques sans relation avec celle-ci qui puisse interférer, déterminer, la façon dont il les conçoit. Il est assez extraordinaire de déclarer que tout est relation sauf en ce qui concerne le physicien qui serait donc un spectateur extérieur, neutre, qui n’aurait aucune influence sur le sujet de son étude. Selon Smolin, l’investissement intellectuel du physicien sur son sujet est sans conséquence puisque sa pensée a l’ampleur d’une pensée, sans attache et sans histoire, universelle. Les physiciens sont en grande partie enfermés dans cette croyance, piège s’opposant au déploiement de leur pensée, même ceux qui éprouvent la nécessité de se libérer du carcan, l’expriment d’une façon mineure en se déportant en tant que philosophe (sic) (Voir articles sur A. Barrau 12/04/2016[2] et 23/04/2016). Ou bien encore ils l’expriment juste à la chute d’un article pour ne pas avoir à s’expliquer. On ne devrait pas oublier l’influence de la nature sur le sujet pensant : Voir article du 06/04/2019.
Page 236, il est proposé trois hypothèses par l’auteur : Le Temps, dans le sens de la causalité, est fondamental. Le Temps est irréversible. L’Espace est émergent.
Je cite : « Donc cela veut dire que la localité est émergente. La Non-localité doit donc être émergente. Si la localité n’est pas absolue, si c’est le résultat contingent d’une dynamique, il y aura des défauts et des exceptions. Et bien sûr cela semble être le cas : comment peut-on comprendre autrement (sic) la non-localité quantique, particulièrement l’intrication non-local ? Ceci, me permet de faire l’hypothèse, que cela correspond à un reliquat de relations sans espace inhérent dans l’étape primordial, avant que l’espace émerge. Ainsi en déclarant que le temps est émergent on gagne la possibilité d’expliquer la non-localité quantique comme la conséquence d’un défaut qui survient dans cette émergence. »
« La combinaison du temps fondamental et de l’espace émergent implique qu’il peut y avoir une simultanéité fondamentale. A un niveau profond, dans lequel l’espace disparaît mais que le temps persiste, un sens universel peut être donné au concept de maintenant. »
Tout cet ensemble que j’ai cité semble complètement ad hoc, la suite est identique et donc je ne poursuis pas la citation. C’est au nom du ‘Relationnisme Temporel’ qu’il rend compte de l’intrication. On remarque qu’il accorde au maintenant une durée égale à zéro ce qui pose un problème de justification car on sait que toute mesure, aussi petite qu’elle soit, nécessite une durée. J’estime que ce maintenant que je nomme ‘Moment Présent’ (voir article du 02/05/2013 : Bienvenu au ‘Moment Présent’ de L. Smolin) a une valeur de l’ordre de 10-25s et ceci explique, selon ma conception, le phénomène de l’intrication car c’est la durée correspondant au point aveugle de l’intelligence humaine. Donc on peut constater que par des chemins extrêmement différents on explique identiquement que c’est sur (avec) la composante temporelle que l’on rend compte du phénomène de l’intrication.
Contrairement à mes habitudes je ne conseille pas ni ne déconseille de lire ce livre car il n’offre pas matière à réflexion, on ne sait pas non plus à qui il s’adresse. Peut-être à personne, il avait juste besoin de l’écrire pour lui-même.
[1] A une autre époque de sa carrière de physicien il avait postulé l’idée d’une : « Théorie Quantique à partir de la Gravité Quantique. »
[2] Je cite : Mais il ne faut pas oublier, en parallèle de cette mise en rapport avec l’autre, avec l’ailleurs, avec l’hors, que nos manières d’appréhender cet « autre part » n’en demeurent pas moins humaines et créées. Il faut rester conscient que cette tentative d’exploration du loin n’est entreprise qu’avec nos modalités purement et inéluctablement humaines et donc locales. Nous choisissons et inventons les rapports au(x) monde(s) que nous jugeons pertinents. Ils ne sont pas donnés, ils sont construits. Tout se joue dans cette tension entre l’ « air frais » qui vient du dehors et notre ressenti ou notre explication de cet air frais qui n’est jamais une mise en lumière de la nature intrinsèque et absolue de l’essence de cet air frais…
La science est souvent arrogante dans ses enjeux et parfois même dans ses conclusions mais elle est fondamentalement modeste dans ses moyens. Elle est une louable tentative d’accéder au non-humain-du-réel. Elle est toujours consciente – elle devrait en tout cas l’être – de ses limites. Limites omniprésentes ! Elle intègre sa finitude et c’est ce qui lui permet de jouer avec l’illimité.
La situation est parfois complexe et plurivoque. Il ne faut pas chercher à enfermer la science dans une vision linéaire et parfaitement sans équivoque… »