Ai-je fait si fort ?
Après avoir lu mon dernier article du 9 juillet quelqu’un m’a dit : « Cette fois-ci tu as fait fort », à propos de la corrélation que j’établis entre l’assurance de la pétrification de l’être humain si jamais dans sa conquête intellectuelle de l’univers il rencontrait l’obstacle qui signifierait ‘à partir de là, il n’y a plus d’au-delà’. Je remercie cette personne de m’avoir fait cette remarque alors que je commençais à lire : ‘Une histoire des civilisations’, ouvrage collectif, sous la direction de J.P. Demoule, éditions La Découverte/Inrap, 2018.
Page 23, il y a ce paragraphe avec un intitulé explicite : ‘La découverte de la continuité entre l’histoire de l’homme et celle de la nature’. Plus loin page 51 : « Il est établi maintenant qu’Homo sapiens a étendu son emprise sur l’ensemble de la planète, jusque dans ses zones les plus inhospitalières. Il a entrepris d’explorer les fonds marins les plus inaccessibles et s’est aventuré dans l’espace pour poser le pied sur la Lune et bientôt sur Mars. Son impact sur l’environnement physique, la faune et la flore est immense…au cours de la longue histoire de la vie, aucune espèce n’avait été à ce point dominante. Pourtant du point de vue de la parenté, l’homme ne représente qu’une espèce au sein d’un groupe de grands Primates autrefois très varié mais dont la diversité est aujourd’hui considérablement appauvrie. »
A grands traits suivons la trajectoire de l’évolution d’Homo sapiens dont les milliards d’humains qui occupent aujourd’hui la planète Terre en sont les descendants et représentants d’une étape spécifique de l’évolution qui n’a pas de raison d’être à sa fin.
Très loin dans le temps, avec des changements environnementaux (refroidissement) la divergence homme /chimpanzé est datée entre 9,3 et 6,5 millions d’années (Il y eut d’autres divergences encore plus avant). Les premiers jalons de la lignée menant à l’homme ont tous été découverts en Afrique, qui est généralement considérée comme le continent d’origine des Hominines. Les Australopithèques représentent la lignée des Hominines à partir de 4,2 millions d’années. Ils étaient parfaitement bipèdes mais ils ne semblaient pas avoir été bâtis pour la course, du moins pour une course prolongée, comme le seront plus tard les représentants du genre Homo à partir de 2 millions d’années. Entre 3 et 2,6 millions d’années, l’Afrique connaît une des crises climatiques qui ont périodiquement accru l’aridité et réduit les surfaces arborées. C’est pendant cet épisode que l’on voit apparaître la lignée Homo à laquelle appartient notre espèce. L’idée la plus communément admise est que l’apparition du genre Homo correspond à une réponse adaptative originale face à une aridité croissante : un changement de régime alimentaire qui inclut de plus en plus de viande. A cette époque on compte déjà trois formes bien distinctes : Homo habilis, Homo rudolfensis et Homo erectus, ces trois espèces possèdent des cerveaux dont le volume dépasse 700 centimètres cubes. C’est Homo erectus qui représente très vraisemblablement notre ancêtre direct.
Homo erectus en Afrique et en Eurasie[1].
La première expansion de l’espèce humaine avec Homo erectus à une échelle transcontinentale correspond au remplacement, ou peut s’en faut, à toutes les autres formes d’Hominines. Ce développement remarquable résulte du succès du nouveau modèle adaptatif qui permet en particulier aux hommes de se libérer des milieux arborés et, au-delà, des savanes africaines et puis de s’adapter à des environnements très variés. D’ailleurs l’espèce Homo erectus connait une longévité exceptionnelle puisqu’elle est connue en Extrême Orient jusque vers 400 000-300 000 ans avec des capacités crâniennes de 1250 cm3.
La descendance d’Homo erectus
« Tout au long de sa longue période d’existence, Homo erectus se diversifie et évolue, notamment par l’accroissement de la taille de son cerveau. De nombreux fossiles appartenant à cette espèce ont été découverts en Chine et Java (sic).
En Afrique, on assiste à l’émergence de formes d’Hominines à grands cerveaux. C’est sans doute en leur sein, ou parmi des formes similaires vivant dans le sud-ouest de l’Asie, que s’enracinent les populations ancestrales des espèces nouvelles qui vont apparaître, pendant la seconde moitié du Pléistocène moyen (780 000-130 000ans), les Néandertaliens, les Dénisoviens et les premiers Homo sapiens. »
La date de séparation des formes ancestrales des Néandertaliens et des Homos sapiens se situe autour de 600 000 ans.
Les origines d’Homo sapiens sont africaines et c’est à partir de ce continent-là qu’il va, au-delà, coloniser le reste de la planète Terre. On a découvert des traces de sa présence vieilles de 180 000 ans en Israël, dès avant 60 000 ans il devait être présent dans le Sud-Est asiatique puisque vers cette époque il a atteint l’Australie. Page 73 : « Au cours des derniers 40 000 ans, Homo sapiens parachève la colonisation des terres émergées. Les réponses techniques qu’il est désormais capable de développer lui permettent de s’adapter à des environnements de plus en plus extrêmes. Dès avant le dernier maximum glaciaire, qui culmine il y a 21 000 ans, des populations humaines ont été capables de prospérer beaucoup plus haut en latitude qu’aucune autre avant elles… Quelques millénaires plus tard, les terres émergées par la baisse des niveaux marins entre l’Alaska et l’Asie ont-elles aussi été peuplées. Vers les 15 000 ans un corridor libre de glace s’est ouvert favorisant une nouvelle voie de passage le long de la côte pacifique vers des territoires des Etats-Unis actuels situés plus au Sud. » ; « Comme des dizaines de milliers d’années auparavant en Australie, l’arrivée des hommes en Amérique a eu un impact considérable sur la faune. A la différence de l’Afrique et de l’Asie tropicale, ces deux continents n’ont pas connu une longue coévolution des peuplements humains et des faunes sauvages. En Amérique du Nord, trente-cinq genres de mammifères disparaissent rapidement… D’une certaine façon, on peut considérer l’expansion de l’homme dans des territoires vierges et l’extinction des dernières populations d’Hominines archaïques comme les prémices les plus anciennes de l’«Anthropocène », cette période durant laquelle l’homme a profondément modifié l’environnement de la planète. »
Issus d’une lente évolution africaine, les Homo sapiens qui ont émergé il y a quelque 300 000 ans au fil, entre autres, de la sélection naturelle, à partir d’un buissonnement d’Hominines presque 2000 000 d’années plus tôt, vont progressivement conquérir, sans coup férir, de nouveaux espaces de vie en dehors de l’Afrique. On leur prête de développer des capacités de stratégies de subsistance spectaculaires et d’être les vecteurs d’innovations techniques[2] avec un penchant pour l’anticipation ce qui leur permet de promouvoir des solutions flexibles en réponse à des besoins aussi immédiats que futurs (sic).
Le remplacement des espèces humaines préexistantes s’achèvera avec la disparition des Néanderthaliens, alors que le nord de l’Asie ainsi que la totalité du continent américain est encore vierge de toute présence humaine. Malgré la Présence exclusive alors établie d’Homo sapiens il y a 40 000 ans, une dynamique de conquête de ce qui est encore inconnu contribue à la dynamique de l’évolution de l’espèce humaine et rien ne permet de penser que l’entrelacement de ces dynamiques n’a plus de raison d’être.
Je me souviens à quel point j’avais été frappé par l’inanité du contenu du livre de H. Zwirn, intitulé : ‘Les limites de la connaissance’ publié en 2012, qui indique surtout qu’une spécialisation hypertrophiée des connaissances conduit, si on y prend garde, à la production de certitudes absurdes, en dehors de toute Histoire. Comme si l’être humain lorsqu’il préempte qu’il y aurait des limites qui se dressent sur le chemin de la connaissance ne percevrait pas concomitamment les raisons de ces limites et partant conçoit le chemin qui mène au-delà de celles-ci.
Il ne peut pas y avoir d’évolution des Homo sapiens que nous sommes sans objectifs de conquêtes qu’ils soient dans l’espace physique actuellement identifié ou dans l’espace des pensées ouvertes qui nous projettent dans un avenir de connaissances encore à investir. On pourrait se dire : « Mais nous avons déjà identifié tant de choses, par exemple dans l’espace physique de notre univers, que les jalons sont déjà fixés pour une prospection concrète qui mobilisera des générations et des générations de spécialistes et fixera la curiosité d’une multitude d’individus. » Justement ces connaissances en voie de confirmation ou d’infirmation, bref ces connaissances qui nous enseignent à séparer le bon grain de l’ivraie, mobilisent d’autant plus qu’elles alimentent le tremplin qui permet à coup sûr de dévoiler d’autres au-delà.
Parmi tous ceux du genre Homo qui ont fait partie du buissonnement, les anthropologues ont décrypté la faculté spécifique qui a permis à Homo sapiens de survivre qu’elles que furent les conditions imposées par l’environnement. Cette faculté est celle de l’anticipation qui permet de promouvoir des solutions flexibles en réponse à des besoins aussi immédiats que futurs. L’appréhension du futur[3] est un atout majeur et est une source de vie au-delà du biologique pur. Il faut comprendre que la réponse adéquate, à la curiosité immédiate et aux besoins immédiats est celle qui dévoile ceux du futur. Il est impossible de penser qu’au-delà de certaines limites il n’y aurait plus matière à la moindre anticipation car ce serait certainement le signal de l’affaissement de ce qui fait de nous des sujets pensants qui conduirait à notre pétrification.
Après coup, j’ai un très bel exemple récent à citer (article publié le 12 juillet) pour illustrer la faculté d’anticipation qui nous caractérise :
Au centre de deux galaxies en train de fusionner à 2,5 milliards d’années-lumière de la planète Terre, deux trous noirs supermassifs de 400 millions de masse solaire qui se trouvent à distance de 1300 années-lumière l’un de l’autre vont entamer leur danse spirale jusqu’à l’union complète. A partir de cette observation exceptionnelle, il est possible d’inférer qu’il y aurait en ce moment 112 trous noirs supermassifs binaires plus ou moins proches de nous qui génèrent des ondes gravitationnelles. Selon les projections, la prochaine collision pourrait être captée d’ici cinq ans (sic). Dans un avenir proche, c’est un bruissement gravitationnel à notre portée presque permanent qu’il sera possible de détecter. Avec cet exemple se trouve illustré ce que j’ai affirmé précédemment : « Bref ces connaissances qui nous enseignent à séparer le bon grain de l’ivraie, mobilisent d’autant plus qu’elles alimentent le tremplin qui permet à coup sûr de dévoiler d’autres au-delà. » Comme le dit Michael Strauss, astrophysicien à Princeton : « Plus nous pourrons apprendre sur la population de trous noirs en fusion, mieux nous comprendrons le processus de formation des galaxies et la nature du fond des ondes gravitationnelles »
[1] La première « sortie » d’Afrique des Hominines, sans doute avant 2 millions d’années, est à concevoir comme un phénomène progressif, en plusieurs vagues échelonnées sur des dizaines de millénaires, sans cause particulière si ce n’est une adaptation progressive à de nouveaux territoires – l’Europe, en raison d’un climat moins favorable, n’ayant été colonisée que tardivement.
[2] La transformation systématique de l’os en outil par le biais d’une technologie propre à ce matériau est, semble-t-il une marque de fabrique du genre Homo, voire de l’espèce sapiens.
[3] Le 17 juillet on peut lire dans ‘Physicsworld’ un article qui confirme que la nature est régie par une flèche du temps qui pointe en avant dans les systèmes à l’échelle quantique : « Arrow of time points forward in quantum systems »