D’autres émancipations à venir.
Avec la continuation de la lecture du livre de Hossenfelder, je rencontre le paragraphe suivant que je cite en totalité car il me rend un très grand service pour rendre compte de ce que je cite régulièrement dans mes articles à propos du rôle et du poids des « Déterminations ». L’exemple très approprié proposé par Hossenfelder indique une détermination spécifique, assez facile à identifier, mais non des moindres qui est liée à la culture scientifique d’une époque que j’ai évoquée à nouveau, à plusieurs niveaux, dans le précédent article où j’ai finalement considéré que probablement, grâce à un processus d’intériorisation intellectuelle, un tabou se lève en ce qui concerne le multivers et en conséquence la fonction d’onde de la connaissance globale est en cours de réduction sur un état de connaissance comprenant le/les multivers.
L’émancipation de la dissonance (p.145-146)
« Je ne peux pas dire que je sois fan de la musique dodécaphonique. Mais je dois également admette que je n'ai pas passé beaucoup de temps à en écouter. Ce n'est pas le cas du critique musical Anthony Tommasini. Dans une vidéo réalisée pour le New York Times en 2007, il parle de << l'émancipation de la dissonance >> dans les compositions d'Arnold Schoenberg, l'inventeur de la musique dodécaphonique. L'innovation de Schoenberg remonte aux années 1920 et a joui d'une brève popularité auprès des musiciens professionnels dans les années 1970, sans jamais connaître un succès public.
<< Schoenberg serait blessé si vous considériez sa musique comme dissonante de façon sévère, péjorative, négative, raconte Tommasini. Il pensait, quant à lui, qu'il favorisait une vie pleine, riche et complexe. [...] Par exemple, voici un morceau, pour piano, tiré de l'Opus 19 qui est très dissonant, mais aussi délicat et superbe. >> Il en joue quelques mesures, puis cite un autre exemple. « Il est possible d'harmoniser [ce thème] en do majeur, démontre-t-il, manifestement insatisfait, ce qui est si ennuyeux en comparaison de ce que fait [Schoenberg]. » Il revient à l'original dodécaphonique. « Ah » soupire-t-il, et il plaque un nouvel accord dissonant. Moi, j'ai juste l'impression qu'un chat est en train de marcher sur le clavier.
Mais il est fort possible que si j'écoutais de la musique dodécaphonique assez souvent, je finirais par ne plus entendre une cacophonie, et que je commencerais à la trouver << délicate >> et « émancipatrice >> tout comme Tommasini. Voss et Clarke ont montré que la musique exerce un attrait en partie universel, qui se reflète dans les récurrences qu'ils ont découvertes, indépendantes du style. D'autres chercheurs ont conclu que cet attrait était notamment dû à notre éducation, qui façonne nos réactions aux accords consonants et dissonants. Mais nous accordons aussi une grande valeur à la nouveauté. Et les professionnels qui gagnent leur vie en vendant de nouvelles idées ne ratent jamais l'occasion de rompre avec l'ennui de ce qui est familier.
En science aussi, notre perception de la beauté et de la simplicité est en partie universelle et en partie due à notre éducation. Et exactement comme en musique, ce que nous considérons comme prévisible et en même temps surprenant dans les sciences dépend de notre familiarité avec le domaine. Au fil de nos travaux, nous augmentons notre tolérance à la nouveauté.
Effectivement, plus j'en apprends sur le multivers, plus je le trouve intéressant. Je peux voir que c'est un changement étonnamment simple, et pourtant d'une grande portée, dans la façon que nous avons de comprendre notre propre importance (ou son absence) dans le monde. Peut-être Tegmark a-t-il raison, peut-être suis-je simplement affligée d'un biais émotionnel vis-à-vis de ce qui n’est qu’une conclusion logique. Le multivers est véritablement une émancipation des mathématiques, qui favorise l'apparition d'une vie riche et complexe. Un point de vue d’autant plus convaincant quand un Prix Nobel l'appui de tout son poids. »
Ma différence avec Hossenfelder c’est que sa conversion toute progressive est suscitée par le poids évolutif des significations mathématiques tandis que ma conviction est forgée en étudiant et analysant l’histoire de la connaissance en science physique du sujet pensant. Il est certain qu’au-delà des interviews ‘d’éminents’ scientifiques relatés dans son livre, il y a en contrepoint ses réflexions et ses analyses personnelles qui sont très pertinentes et qui contribuent aussi à l’intérêt de lire ce livre. En ce qui concerne la dimension de l’universel que l’on peut apprécier tout autant en musique qu’en physique, je me souviens de mon étonnement lorsque pour la première fois on a voulu m’enseigner la loi de Newton comme une loi universelle. En première année d’université le professeur m’a répondu : « C’est comme ça et je n’y peux rien. » Ceci m’a conforté dans l’idée que cette dimension de l’universalité était une croyance, symptôme d’une ignorance. Je signale, toutefois, que cette loi est forte car une publication du 17/03/2020 dans ‘Nature’ annonce que la loi de la gravitation de Newton vaut encore lorsque que des objets sont à distance de 52 micromètres : « Even at short range, Newton’s law still rules. »
Selon ma conception, il y a des déterminations encore plus profondes comme celles qui font obstacle à ce que nous puissions penser quantique. Comme je l’indique, ces déterminations qui affectent le sujet pensant seront levées progressivement. C’est une affaire d’évolution cérébrale qui génèrera une révolution culturelle. Il y a d’autres déterminations difficiles à identifier car les physiciens refusent, entre autres, de prendre en compte le « Là » d’où une pensée structurée par la nécessité liée à la survie à commencer à habiter les grands ancêtres d’Homo Sapiens. Il est possible de situer cet avènement il y a environ 2000.000 d’années. Et la conception de l’espace-temps, et ce qui vient avec, qui nous habite actuellement et qui intellectuellement nous détermine, prend racine à cette époque. Cette conception est liée au déplacement d’un lieu à un autre, durant une journée solaire, pas à pas, d’un corps pesant.
Il est intéressant de signaler qu’un non physicien mais un neuroscientifique de grande envergure a conjecturé au milieu d’une passivité totale qui depuis perdure et qui indique la pauvreté de la capacité à dialoguer de la part de la communauté scientifique au niveau proposé par S. Dehaene. Voir article du 5/01/2018, ‘Turing or not Turing’ :
« Je vous cite ci-dessous un extrait d’un article de ‘La Recherche’, (Octobre 2017) dans lequel S. Dehaene livre un entretien :
« La pensée géométrique est assez ancienne. Il est très intrigant de voir que, il y a 1.6 à 1.8 millions d'années les hommes, façonnaient déjà des objets aux propriétés mathématiques élaborées, notamment des pierres en forme de sphère, comme s'ils possédaient la notion d'équidistance à un point. On connaît également des dizaines de milliers de bifaces, ces outils pourvus de deux plans de symétrie orthogonaux : ils ont le même degré d'ancienneté, et leur perfection géométrique démontre une recherche délibérée de la géométrie, au-delà de la simple utilité fonctionnelle. Dès lors, je me demande si la capacité de représentation symbolique et récursive n’est pas apparue, dans un premier temps, indépendamment du langage, avant tout comme un système de représentation rationnelle du monde.
Le cerveau d'Homo erectus avait peut-être déjà atteint la compétence d'une machine de Turing universelle (sic), capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles. Peut-être est-ce une illusion, mais pour l'instant, notre espèce a réussi à comprendre l'organisation des structures du monde à toutes les échelles de l'Univers. Dans un deuxième temps, il y a environ 100.000 ans, on observe une explosion culturelle qui suggère un langage, une communication... On peut donc se demander s'il n’y a pas d'abord la mise en place d'un système de représentations mentales enchâssées, puis l'apparition d'une capacité à communiquer ces représentations. »
Je propose de modifier les propos de S. Dehaene lorsqu’il fait référence au terme « monde » par « notre monde », ensuite je pense qu’avant tout, c’est l’utilité fonctionnelle impérative qui précède la rencontre avec une certaine perfection géométrique.