Anthrôpos ne cessera de creuser.
J’aime à dire fréquemment, pour rendre compte de la situation de l’être humain dans l’univers et de la dynamique qui l’anime et dont il jouit : « Au sein d’une éternité (sic), parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers qui n’a pas de bornes. » J’ai toujours été réticent au concept de modèle standard car si on peut, en partie, comprendre son utilité opérationnelle, il est malheureusement à mon sens trop souvent évoqué comme un alibi pour borner la pensée sur ce sujet. Si on considère l’histoire de l’humanité et les multiples cosmogonies qui ont jalonné l’évolution de la prise de conscience de l’être humain d’être dans le monde, il est consternant, voire inquiétant, de penser, que nous, à notre époque, nous aurions atteint le sommet de notre développement cérébral. Nous ne représentons pas l’état de l’Homo Sapiens finalisé.
Ci-joints deux articles qui nous offrent autant d’indices que l’enfermement intellectuel induit par le concept de modèle standard, n’a plus, n’aura plus, de raisons d’être.
Le mystère sur l’expansion de l’Univers s’approfondit avec de nouvelles données.
Dans un article du 15/07/2020, dans ‘Nature’ il est annoncé qu’une nouvelle carte tant attendue du rayonnement fossile du Big Bang ne parvient pas à régler le débat sur la vitesse à laquelle l’Univers est en expansion.
Une nouvelle carte de l’Univers primitif renforce l’énigme de longue date en astronomie quant à la vitesse de l’expansion du cosmos. Les données, recueillies à l’aide d’un télescope dans le désert d’Atacama au Chili, confirment les estimations précédentes de l’âge, de la géométrie et de l’évolution de l’Univers. Mais les résultats entrent en conflit avec les mesures de la vitesse à laquelle les galaxies s’éloignent les unes des autres, et prédisent que l’Univers devrait se développer à un rythme significativement plus lent que ce qui est actuellement observé.
Le télescope de cosmologie d’Atacama (ACT) a cartographié le fond cosmique de micro-ondes (CMB). Les résultats, basés sur les données recueillies de 2013 à 2016, ont été publiés ce 15 juillet.
Les données d’ACT confirment maintenant les conclusions de Planck et produisent une valeur très similaire pour la constante de Hubble. Cet accord entre ACT et Planck sur la constante de Hubble est « une étape vraiment importante », déclare Paul Steinhardt, physicien théorique à l’Université de Princeton. « Je suis très impressionné par la qualité des nouvelles données et leur analyse », ajoute-t-il.
Adam Riess, un astronome de l’Université Johns Hopkins à Baltimore, Maryland, qui a dirigé une grande partie du travail de pointe sur les chandelles standards, dit que l’accord des données ACT avec Planck est « rassurant » et « un témoignage de la qualité du travail des expérimentateurs ».
Mais la tension sur la constante de Hubble demeure. Steinhardt pense que les mesures finiront par converger (sic) au fur et à mesure que les expérimentateurs perfectionneront leurs méthodes.
Mais Riess dit que c’est peut-être, au contraire, le modèle standard de la cosmologie qui est faux (sic). Et il ajoute : « Mon instinct me dit qu’il se passe quelque chose d’intéressant. »
Autre article très intéressant, du 26 juin, de Sean Bailly de ‘Pour la Science’, que je vous communique presqu’en intégral, qui recense très valablement toutes les interrogations et les incertitudes légitimes à propos de ce que l’on appelle la connaissance standard de l’univers. Nous avions pendant les dernières séances du télé-séminaire déjà abordés ces sujets. Voici le titre de l’article :
L’expansion de l’Univers est-elle vraiment isotrope ?
Un des piliers du modèle du Big Bang est que, à grande échelle, l’Univers présente les mêmes caractéristiques dans toutes les directions. Une analyse récente relance le débat sur la solidité de cette hypothèse.
Dans le modèle du Big Bang, les cosmologistes ont fait deux hypothèses fondamentales : l’Univers est homogène et isotrope à grande échelle. Cela signifie que deux régions de l’Univers prises au hasard sont globalement équivalentes et que le cosmos a un aspect similaire quelle que soit la direction dans laquelle on l’observe. Ces idées naturelles sont d’ailleurs assez bien étayées par les observations. Pourtant, le modèle du Big Bang n’est pas sans défauts, et des chercheurs ont parfois proposé de révoquer l’une de ces hypothèses, voire les deux. Dans des travaux récents, Konstantinos Migkas, de l’université de Bonn, et ses collègues ont étudié des amas de galaxies à partir de données recueillies par les télescopes spatiaux Chandra de la Nasa et XMM-Newton de l’ESA. Ils ont observé des indices qui mettent à mal l’isotropie de l’Univers.
Quand on regarde le ciel nocturne, on voit que les étoiles ne sont pas uniformément réparties sur la voûte céleste, notamment du fait de la présence de la Voie lactée, que l’on voit par la tranche. Mais qu’en est-il à plus grande échelle ? Si l’on examine la distribution des galaxies, on constate que celles-ci se regroupent en amas. Il existe donc des régions riches en matière et d’autres quasiment vides. Mais à encore plus grande échelle, aux échelles cosmologiques, l’Univers paraît en revanche homogène et isotrope, un peu comme lorsqu’on s’éloigne d’un tableau pointilliste et que chaque point de couleur se fond dans une image d’ensemble unie. L’homogénéité et l’isotropie sont des principes fondamentaux et essentiels pour le modèle du Big Bang. Faire ces hypothèses permet d’utiliser une description mathématique assez simple et riche en symétries (en l’occurrence la métrique Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker).
Le modèle du Big Bang est construit sur les prédictions théoriques d’Alexandre Friedmann et de Georges Lemaître dans le cadre de la relativité générale et des premières observations d’Edwin Hubble. Ces travaux ont montré que l’Univers est en expansion. Le cosmos serait né d’un état très dense et très chaud qui se dilate depuis. Une image souvent utilisée pour illustrer cette expansion est celle d’un cake aux raisins en train de cuire. À mesure que la pâte homogène gonfle, les raisins secs s’éloignent les uns des autres au même rythme. Il n’y a pas de zone plus remarquable qu’une autre dans la pâte (si on fait abstraction des bords du moule !) et, en moyenne, autour de n’importe quel point dans la pâte, toutes les directions sont équivalentes. C’est ainsi que les galaxies de l’Univers s’éloignent les unes des autres non pas à cause de leur vitesse propre, mais par la simple dilatation de l’espace qui les sépare. On parle de vitesse de récession.
Cette vision s’est enrichie en 1998. En étudiant des explosions particulières d’étoiles nommées supernovæ de type Ia, l’équipe de Saul Perlmutter, d’une part, et celle d’Adam Riess et Brian Schmidt d’autre part, ont montré que l’expansion de l’Univers accélère depuis environ 7 milliards d’années. Ce résultat a eu un impact retentissant – les trois astrophysiciens ont été récompensés par le prix Nobel de physique en 2011 –, car les cosmologistes pensaient plutôt à l’époque que l’expansion devait ralentir sous l’effet de la force gravitationnelle de la matière contenue dans l’Univers. Le gonflement du cake, au lieu de diminuer comme en fin de cuisson, est de plus en plus rapide ! Pour expliquer cette expansion accélérée de l’Univers, les physiciens ont fait l’hypothèse que celui-ci renferme une grande quantité « d’énergie noire ». La nature précise de cette dernière est inconnue et fait l’objet d’intenses recherches.
Le modèle du Big Bang amendé avec l’ajout de l’énergie noire n’a pas pour autant remis en question l’homogénéité et l’isotropie de l’Univers : l’expansion accélérée paraît identique dans toutes les directions. Les campagnes d’observation systématique du ciel qui ont permis d’analyser les grandes structures de l’Univers et la distribution de la matière semblent confirmer ces hypothèses aux plus grandes échelles.
L’homogénéité remise en question
Cependant, dès le début des années 2000, Thomas Buchert, à l’École normale supérieure de Lyon, a proposé une idée audacieuse. Si l’on prend en compte la non-linéarité des équations de la relativité générale, les hétérogénéités, à l’échelle des galaxies et des amas de galaxies, peuvent avoir un impact sur le comportement de l’Univers, et notamment sur sa vitesse d’expansion. Ces calculs sont très difficiles à mener de façon exacte. Néanmoins, certains résultats partiels laissent à penser que cet effet, dit « de rétroaction », pourrait rendre inutile l’ajout d’énergie noire ! Le futur télescope spatial Euclid devrait fournir des informations précieuses concernant cet effet.
Cette approche met en évidence qu’un Univers homogène seulement à très grande échelle se comporte différemment d’un Univers complètement homogène. Il semble donc raisonnable de se demander si l’Univers est réellement homogène aux plus grandes échelles. Certains cosmologistes explorent cette piste par exemple en supposant que la Voie lactée serait plongée dans une « bulle de Hubble », une vaste région de plusieurs centaines de millions d’années-lumière de diamètre où la densité moyenne est plus faible qu’à l’extérieur. Cette hypothèse permet d’expliquer simplement l’impression que l’expansion de l’Univers accélère.
Si l’Univers n’était pas aussi homogène qu’on le pensait, cela aurait un impact sur l’hypothèse de son isotropie. Plusieurs équipes ont voulu mettre à l’épreuve cette dernière. Mais si certains travaux semblent confirmer l’isotropie, d’autres ne sont pas aussi affirmatifs. Par exemple, en première approximation, le fond diffus cosmologique, le rayonnement fossile émis alors que l’Univers n’avait que 380 000 ans, est identique dans toutes les directions du ciel, avec une température de 2,7 kelvins. Cependant, le fond diffus présente d’infimes fluctuations (de l’ordre de 10-5 degrés) autour de la température moyenne. Ces fluctuations sont riches en informations. Elles sont liées à des ondes acoustiques qui se propageaient dans le plasma emplissant l’Univers à l’époque ou le rayonnement a été émis. Les photons du fond diffus cosmologique un peu plus chaud proviennent des zones légèrement plus denses, et inversement. Les satellites WMAP puis Planck ont établi une cartographie précise de ces fluctuations. Elles sont relativement bien réparties dans le ciel et leur distribution statistique est assez bien comprise. Cependant, une région exceptionnellement vaste de cette carte, dans la direction de la constellation d’Éridan, dans l’hémisphère Sud, est anormalement froide. Elle résulterait de la présence d’une très grande région pauvre en matière. Cette observation semble indiquer que l’isotropie n’est peut-être pas respectée même aux plus grandes échelles.
Le fond diffus cosmologique est un outil très puissant pour sonder les propriétés de l’Univers. Mais il est très difficile d’en extraire des informations qui dépendent de directions spécifiques, et il repose aussi de façon cruciale sur les paramètres du modèle cosmologique utilisé (sic). Des astrophysiciens ont aussi sondé l’isotropie de l’Univers en s’appuyant sur les supernovæ afin de vérifier si la relation reliant la distance et la vitesse de récession des galaxies était identique dans toutes les directions. Mais les conclusions ne sont pas claires : certaines équipes observent une déviation par rapport à l’isotropie, d’autres non.
Prendre la température des amas de galaxies
Pour en savoir plus, en 2018, Konstantinos Migkas et Thomas Reiprich, de l’université de Bonn, ont proposé une nouvelle technique complètement indépendante. Ils se sont intéressés au gaz chaud au sein des amas de galaxies. L’idée est d’utiliser la relation entre la température d’un amas de galaxies et sa luminosité en rayons X. Une formule assez simple relie ces deux grandeurs. L’avantage de cette approche est que la température peut être déterminée indépendamment de toute hypothèse cosmologique, contrairement à la luminosité. Il est donc possible d’exploiter la relation qui relie ces deux grandeurs pour voir si elle est identique dans toutes les directions du ciel.
Konstantinos Migkas, Thomas Reiprich et leurs collègues ont mis en œuvre cette idée avec un catalogue de 313 amas de galaxies (237 analysés par Chandra et 76 par XMM-Newton). Ils ont constaté que le résultat dépend fortement de la direction du ciel observée ! En d’autres termes, dans une région particulière du ciel, les amas paraissent plus ternes qu’ils ne devraient d’après leur température.
Ces mesures sont néanmoins délicates. « La température mesurée par spectroscopie X dépend de la composition du gaz (de sa métallicité) », explique Florian Pacaud, de l’université de Bonn, qui a aussi participé à l’étude. Cette composition influe sur l’émission globale d’un amas, mais elle ne peut pas être parfaitement contrainte par les observations. « Par conséquent, nous avons eu recours à des suppositions qui pourraient affecter les résultats. Mais il est peu probable que les déviations par rapport à ces suppositions soient systématiquement différentes d’une grande région du ciel à une autre », explique l’astrophysicien.
Un second facteur délicat à prendre en compte est l’absorption du rayonnement X émis par les amas de galaxies par le milieu interstellaire lorsqu’il traverse la Voie lactée. « Il faut donc corriger cette absorption, précise Florian Pacaud. Et pour cela, nous utilisons la densité d’hydrogène comme traceur (car elle est facile à mesurer), alors que l’absorption provient en pratique d’éléments plus lourds (les atomes plus lourds et les “poussières”). » Une erreur de modélisation de l’absorption galactique pourrait induire un effet d’anisotropie trompeur. Adam Riess, astrophysicien de l’université Johns-Hopkins, a d’ailleurs fait remarquer que la région particulière identifiée par Konstantinos Migkas est proche de la zone la plus opaque de la Voie lactée. Il faut cependant noter que le plan galactique couvre presque un tiers du ciel et qu’il n’est donc pas surprenant qu’une direction a priori aléatoire tombe près du plan galactique. La direction du grand attracteur (vers lequel se dirigent les amas de galaxies locaux et dû à des structures très massives dans la direction du superamas de Shapley) se trouve aussi étrangement proche du pic du signal de l’équipe de Konstantinos Migkas. Cela serait cohérent si on suppose que les grandes structures locales sont à l’origine de cette anisotropie.
Pour s’assurer de la réalité de l’effet qu’ils ont observé, Florian Pacaud et ses collègues ont analysé un catalogue d’amas plus important (842 structures considérées). Verdict : la région anormale persiste.