Quantique
‘Quantique’, tel est le titre du N° Hors-Série d’Octobre de ‘Science et Vie’, avec les sous-titres qui en (pré)disent long sur les ambitions de ce N° : « Le nouvel âge d’or » ; « Comment les physiciens réinventent le monde ».
En effet ce N° relate le foisonnement d’interprétations de la mécanique quantique, les perspectives en vue des applications futures qui, selon N. Gisin : « Je pense que les technologies quantiques vont changer le monde, et que le meilleur reste à inventer. » Il est remarquable de constater que la mécanique quantique se prête toujours à des interprétations multiples parce que la fonction d’onde, et conséquemment sa réduction, est depuis le début de son invention chargée d’indéfinitions. Il est impressionnant de constater qu’un corpus théorique aussi prolifique puisse toujours se prêter, après un siècle d’applications, à des extensions d’interprétations aussi multiples qui n’aboutissent pas mais quand même laissent prévoir des nouvelles énigmes tout autant que des nouveaux chemins de connaissances scientifiques. ‘Science et Vie’ a tenté, dans ce N° patchwork d’être le plus exhaustif possible de ce foisonnement. Après un gros mal de tête à la fin de cette lecture, j’ai décidé de n’évoquer que les points qui font sens pour mon propre compte, parce que cela concerne des thèmes pour lesquels j’ai déjà engagé une réflexion, ou bien sur des thèmes nouveaux qui ouvrent des nouvelles promesses. Je me propose de vous les faire partager mais c’est encore mieux de lire directement et… entièrement ce numéro qui bouscule.
Pour commencer, je propose de citer Serge Haroche qui vient de commettre un livre, qui raconte son parcours personnel de physicien, avec le titre : « La Lumière révélée’, édit. O. Jacob, (à lire). A la page 44, à propos de l’expression qui concerne l’attitude controversée de certains physiciens avec leurs étudiants et leurs doctorants à propos de la mécanique quantique, ‘tais-toi et calcule’, S. Haroche préconise : « Je pense qu’il est sans doute plus efficace de commencer par « tais-toi et calcule » avant d’aborder des questions qui n’auront jamais de réponses définitives (sic) dans nos cerveaux câblés par l’évolution darwinienne pour comprendre intuitivement le monde des objets macroscopiques et pas celui des atomes ou des photons. » Je suis en désaccord avec ce pessimisme de Haroche, voir mon article du 26/09/2015 : ‘Non, on ne pense pas quantique. Pas encore !’ car nos cerveaux ne sont pas câblés définitivement et à force de nous frotter intellectuellement à la mécanique quantique, progressivement, nous finirons par penser quantique. Je rencontre une belle confirmation de mon optimisme scientifique en lisant, dans le N° de Science et Vie, p 109, John Martinis, physicien, ex-responsable du développement de l’ordinateur quantique chez Google : « Certes, la quantique est bizarre, mais quand on utilise un ordinateur quantique, ça finit par devenir naturel (sic). Le cerveau s’adapte. »
Avant de me concentrer sur le dossier de fond de Sc. et Vie, je veux exprimer ma satisfaction de rencontrer dans celui-ci la rigueur intellectuelle qui avait fait, à mes yeux, lourdement défaut dans le N° hors-série de ‘Pour la Science’ (voir article du 05/05/2020) en mélangeant les fondements de la mécanique quantique de l’Ecole de Copenhague avec la physique ondulatoire qui est un atavisme bien Français. Cette rigueur intellectuelle nous la lisons p98 : « Et pour cause, avec la mécanique quantique, un même objet, onde ou particule, semble pouvoir être tour à tour une chose et son contraire… »
Parmi les nombreux questionnements posés par la mécanique quantique, je vous propose de nous concentrer, page 80, ‘Une effervescence incroyable’, sur le questionnement révélé par cette percée aux confins de la quantique : la relation de cause à effet, principe pourtant fondamental de la science (et du bon sens) peut être soumise à la propriété quantique de superposition ! Tout comme une particule (électron, atome, photon…) peut avoir une infinité d’états, de positions, ou de trajectoires, cause et effet peuvent être superposés (sic) ! Ce sont trois théoriciens, qui ont, les premiers, eut l’idée d’appliquer la superposition quantique à la relation de cause à effet : en 2012, ils proposent une généralisation du formalisme quantique dans laquelle aucune hypothèse est faite sur cet ordre causal, juste histoire d’observer ce qui se passe… Résultat : ils découvrent des configurations étranges dans lesquelles, justement, cet ordre apparaît indéterminé. Autant de configurations qui ont, quelques années plus tard été observées en laboratoire !
L’expérience, qui a été réalisée successivement à Vienne il y a cinq ans, puis à Brisbane, il y a trois ans, se présente comme un circuit photonique quantique, où l’ordre des opérations est contrôlé par un état quantique (ou qubit de contrôle) : si ce qubit est préparé dans l’état 0, il va diriger les informations d’abord vers A, qui les enverra ensuite vers B. Mais s’il est préparé dans l’état 1, il va diriger les informations vers B, qui les enverra alors vers A… Sauf que ce qubit de contrôle, justement, est placé dans un état de superposition : il prend à la fois les valeurs 0 et 1 ! Les informations sont donc à la fois dirigées vers A puis B, et en même temps vers B puis A. En bref, il y a une superposition d’ordres causaux : chacun est à la fois l’effet et la cause de l’autre. La logique usuelle est balayée.
Voilà qui ouvre un gouffre ! Un gouffre qui pourrait être un pont reliant enfin la quantique à la relativité, le Graal des physiciens (lire p. 90).
Je suis très heureux de retrouver ce sujet car je l’ai déjà traité, il y a plusieurs années, dans l’article du 10/11/2015 : ‘Principe de causalité : construction de l’esprit ou loi de la nature ?’, dans lequel j’affirme : « En résumé, je propose de considérer que le principe de causalité est un principe sélectionné, élaboré, témoin de l’intelligence humaine embryonnaire, sélection et élaboration qui ont été validées au cours d’un processus empirique et conduisant à la capacité de survivance. Ce principe ne serait donc pas dans la Nature, il correspondrait à une spécialisation sélective de l’intelligence humaine qui doit être franchement identifiée pour être prise en compte voire être dépassée. Ce principe doit être considéré comme une détermination véhiculée par l’intelligence humaine actuelle. »
Quant à mon article du 03/07/2017 : ‘Comment la ruse quantique peut brouiller cause et effet’, j’évoque pleinement l’expérience (que je cite déjà le 10/11/2015) citée dans Sc. et Vie et j’ai mis particulièrement en exergue une des conclusions proprement renversante des expérimentateurs : « … en mécanique quantique, ce n’est pas exactement ce que vous faites qui importe, mais ce que vous savez. »
Je me souviens que quelques semaines après, j’ai rencontré un éminent physicien à Genève dans son labo et lorsque j’ai évoqué ce sujet, il l’a broyé en affirmant du haut de son autorité que c’était de la com. et certainement pas de la science. Je suis resté sans voix.
Autre question radicalement nouvelle posée, page 82, que je ne développe pas car vraiment abscons mais qui conclut « qu’une place est donné à l’observateur, celui-ci n’est plus extérieur à la théorie qui décrit le monde. Abolissant la frontière jusque-là infranchissable entre la nature et celui qui la regarde. »
Selon moi, il n’y a pas à développer une théorie supplémentaire abscons pour arriver à cette conclusion. Avec mon hypothèse de l’intelligence humaine qui est déterminé à cause de sa relation des plus intimes avec la nature qui par là même conditionne son évolution, de facto l’être humain, observateur, est dans le monde qu’il cherche à décrire. Cette idée est parfaitement concomitante avec ma thèse que l’être humain est à la fois un être de la nature et un être dans la nature. Ce qui me réjouit c’est que pour la première fois, cette même idée se trouve être, ici, exposée par un chemin différent, scientifique, très différent ! Grâce à mon hypothèse, je peux extraire, parmi d’autres, deux données déterminantes qui abolissent la frontière entre la nature et celui qui la pense. Celles-ci comprennent ce que j’ai identifié comme étant le ‘Temps propre du Sujet’ (TpS) de l’ordre de 10-26 à -28s voire moindre[1], puis la conviction que le temps est un propre de l’Homme et en conséquence il n’est pas donné dans la nature mais il est la confirmation de la ‘Présence’ du sujet pensant dans la nature. A cet égard, je cite un propos de N. Gisin rapporté dans Sc. et Vie, p.108 : « Mais dire que le temps n’est qu’illusion, c’est terrifiant (sic). Il faut raconter des choses plus belles. La science, c’est aussi savoir raconter des histoires. » Je ne sais que penser de cette réflexion dramatique de Gisin qui me paraît opportuniste car au cours d’une rencontre, après avoir ensemble identifié des points de convergences sur ce sujet, et à l’occasion de la sortie du livre au titre explicite : ‘Your Brain Is a Time Machine’ ; ‘The Neuroscience and Physics of Time’, de Dean Buonomano, en 2017, lorsque je lui ai proposé d’écrire un premier article sur ce sujet, il s’est immédiatement rétracté, arguant qu’il était un physicien surchargé de travail (sic).
Enfin, je cite un troisième exemple produit par cette incroyable effervescence : « La troisième révélation, enfin, est peut-être la plus fascinante : elle concerne l’intrication, cette propriété quantique qui lie deux particules comme si elles ne faisaient qu’une, quelle que soit la distance qui les sépare, comme si l’espace n’existait pas. Toute mesure sur l’une affecte simultanément l’état de l’autre, aussi éloignée soit-elle de la première. Ces liens ont été maintes prouvés par l’expérience. Mais depuis quelques années, des chercheurs dévoilent qu’ils sont plus intenses encore qu’imaginés. Il existe des intrications plus que quantiques ! Car cette ubiquité peut être quantifiée. Cela découle directement du fameux théorème de Bell : dans un monde classique, où tous les objets sont parfaitement localisés et indépendants, ce théorème prévoit que la corrélation entre deux particules est toujours inférieure ou égale à 2 (l’intrication est nulle). Mais dans un monde quantique, ou des particules peuvent s’intriquer, cette intensité devient ‘plus que classique’ et peut s’élever à 2
Avant de terminer de faire référence à ce N° Hors-Série, je veux citer le Physicien Robert Spekken, du Perimeter Institute : « Je suis convaincu que la fonction d’onde décrit un état (parmi d’autres) de la connaissance que nous avons de la réalité. » Vous comprenez qu’avec cette conviction de R. Spekken on entend aussi : « … parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers. » Aucune théorie physique ne peut nous permettre de décrypter valablement les lois de la nature si elle ne situe pas la place et la contribution de l’intelligence humaine qui ne cesse de s’émanciper de ses origines d’être de la nature pour atteindre l’idéal de l’être dans la nature. Cette dynamique, qui n’a pas de fin et qui évidemment contredit l’affirmation de court terme de S. Haroche, situe l’enjeu des développements à venir de notre connaissance de ce qu’est naturellement la nature. Au cours de la lecture de ce N), j’ai rencontré des tentatives multiples de définition de la : Réalité, et beaucoup d’interrogations à son sujet. Pour moi : la Réalité, c’est ce qui nous conduit à des confrontations avec des événements et des phénomènes naturels. Ces confrontations n’ont pas et n’auront pas de limites parce que chacune des confrontations traitées, accroît notre capacité de nous interroger sur de nouvelles.
[1] Pour la première fois, j’ai rencontré une publication le 19/06/2020 qui fait fi du temps de Planck et les auteurs conjecturent d’un battement fondamental de 10-33s, maximal dans l’univers. Cette publication laisse présager qu’il y a un pont de convergence avec mon hypothèse et celle des auteurs. Voir article du 08/07/2020.