Ça tourne autour du pot.
Actuellement je lis le livre de Daniel Sibony. ‘A la recherche de l’autre temps’. Octobre 2020, édit O. Jacob. Dans cet ouvrage, l’auteur exploite toutes ses ressources : mathématicien, physicien, théologien, psychanalyste qui expose des cas très parlants. La préface à ce livre est signée Alain Connes qui nous dit principalement dans celle-ci : « Deux idées me sont chères concernant le ‘temps’, la première a trait au temps individuel, la seconde au temps de la physique… Quant au temps de la physique, ce que j’ai découvert c’est que ce n’est pas « le passage du temps » qui est la vraie origine de la « toute variabilité » des choses, mais une raison bien plus fascinante que j’appellerai « aléa quantique ». L’impossibilité, aussi bien théorique qu’expérimentale, de prédire ou de reproduire le résultat pourtant toujours univoque d’une expérience quantique qui reste gouvernée par le principe d’incertitude de Heisenberg et donne au quantique cette variabilité fondamentale.
L’interprétation de la mécanique quantique se heurte à un phénomène appelé « réduction du paquet d’ondes » qui n’obéit pas à l’équation de Schrödinger. Il nous faut comprendre que la variabilité quantique est plus fondamentale que le passage du temps, et réaliser en quel sens l’intrication quantique donne à l’aléa du quantique une cohérence cachée. » : « D. Sibony, par sa réflexion en profondeur sur le temps, nous ouvre grande les portes de cette pensée en devenir. »
Cette conviction, intuition, de A. Connes est reprise par Sibony, p150, « Cela confirme poétiquement une idée quantique d’Alain Connes à savoir qu’on perçoit le passage du temps du fait qu’on ne sait pas tout sur l’espace des observables. »
C’est depuis 2007 ou 2008, que je tente de suivre la réflexion de Connes à propos du temps. En effet à cette époque dans une conférence, à l’université de Metz, intitulée ‘Un espace non commutatif engendre son propre temps » au cours de laquelle, il avait exprimé ses réflexions basiques :
- L’espace-temps est très légèrement non commutatif, en fait le point lui-même dans l’espace-temps n’est pas commutatif. Il a une toute petite structure interne qui est comme une petite clé. Le point a une dimension 0 au niveau de la métrique mais avec ma géométrie (non commutative) il a une structure interne et j’ai un espace de dimension 6 non commutatif
- L’espace non commutatif tourne avec le temps et on peut lui faire subir des opérations thermodynamiques. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il y avait un lien entre ce temps donné par la théorie et le temps ressenti de la physique.
- Dans la symétrie pure, il y a quelque chose de mort, de glacé.
- Une algèbre non commutative tourne avec le temps, (d’après le théorème de Tomita) c’est le seul endroit des mathématiques où il y a un élément d’imperfection.
J’avais déjà à cette époque développé mon hypothèse de la ‘Présence’ du sujet pensant inexpugnable et d’un temps propre du sujet (TpS) que j’avais évalué de l’ordre de 10-25s. Durant cet intervalle de temps le sujet pensant ne peut penser, c’est une durée irrémédiable et aveugle de l’intelligence humaine. C’est la succession des tic-tacs d’une horloge qui scande le temps mais entre un tic et un tac il n’y a pas de temps puisqu’il n’est pas mesurable. Il en est de même pour l’être réflexif, TpS c’est la durée de l’établissement de la présence du sujet pensant pour qu’il puisse déployer sa pensée. Donc selon mon hypothèse TpS est le point aveugle de l’intelligence humaine.
J’étais, dès 2007, très intéressé par les réflexions de Connes car selon mon point de vue j’inférai qu’il y avait convergence entre son point de dimension 0 mais ayant une structure interne avec la ‘Présence’ du sujet pensant qui génère TpS, ce temps propre assurant le fonctionnement du tic-tac qui égrène le temps du savoir des physiciens. Bref le point de dimension 0, ayant une structure interne selon Connes, je le vois habité de la ‘Présence’ de l’être réflexif. TpS est donc la cause de l’aléa quantique qui est selon Connes plus fondamental que le passage du temps.
Il me fallut attendre Mai 2015 à l’occasion du Colloque : ‘A la recherche du temps’, à l’académie des sciences pour savoir si A. Connes avait affiné sa réflexion sur le sujet. Grande, fut ma déception car il a fait un très bref exposé, de plus, essentiellement, hors du sujet programmé. A propos de ce qui était attendu, il s’est contenté de la déclaration sibylline suivante déconcertante : « l’aléa quantique est le tic-tac de l’horloge divine (sic) ». Je considère que ce genre de propos constitue une échappatoire, se référer au divin, c’est refuser de penser. Sauf que cela est assez fréquent chez les platoniciens[1] et d’un point de vue intellectuel ce n’est pas rassurant. R. Penrose que je cite dans la note de bas de page, fait aussi appel au divin pour esquiver les conséquences du théorème de Gödel, qui pourtant depuis 1930 a été plusieurs fois confirmé.
En désaccord avec l’esquive d’Alain Connes qui me navre, j’ai déjà affirmé dans un article du 02/11/2012 : « Synthèse : un Monde en ‘Présence’ », le tic-tac de l’horloge qui égrène le temps du savoir du sujet pensant témoigne de la ‘Présence’ de celui-ci qui est affecté d’un point aveugle à sa capacité de penser qui vaut de l’ordre de 10-25s ou moins. J’y vois là, la cause première de l’aléa quantique et sur ce sujet nos points de vue s’entrecroisent. L’article est toujours accessible sur Overblog, ainsi que tous les autres.
Un autre article publié dans ‘Nature’, le 9/01/2019 a apporté de l’eau à mon moulin. ‘The Blind Spot’ ; ‘It’s tempting to think science gives a God’eye view of reality. But we forget the place of human experience at our peril’ soit : ‘La tache aveugle’; ‘Il est tentant de penser que la science donne la vue de l’œil de Dieu de la réalité. Mais, à notre péril, nous oublions la place de l’expérience humaine (sic).’ Les trois auteurs sont physiciens et/ou philosophes.
En rapport avec cet article, j’en ai posté deux : le 14/01/2019 : « The Blind Spot : La tache Aveugle » et le 22/01/2019 : « La Tache Aveugle commentée », je renvoie à ces articles détaillés dans lesquels, je précise les accords et les différences entre les points de vue respectifs. Je cite le dernier paragraphe qui résume l’intérêt évident que j’ai porté à la lecture de cet article : « Je le rappelle en anglais, puis la façon dont je l’ai traduite pour qu’il soit constaté que je ne force pas le trait (enfin, je l’espère). Ainsi je cite : « It’s also to embrace the hope that we can create a new scientific culture, in which we see ourselves both as an expression of nature and as a source of nature’s self-understanding. We need nothing less than a science nourished by this sensibility for humanity to flourish in the new millennium.” ; “Il faut aussi embrasser l'espoir que nous pouvons créer une nouvelle culture scientifique, dans laquelle nous nous considérons nous-mêmes à la fois comme une expression de la nature et comme une source de l'auto-compréhension de la nature. Nous n'avons besoin de rien de moins qu'une science nourrie par cette sensibilité pour que l'humanité s'épanouisse dans le nouveau millénaire(sic). »
Toutefois, je me suis rendu compte que ce genre de déclaration n’avait jamais de suite de la part des auteurs, c’était écrit pour provoquer un effet de chute d’un article, sans plus. Il n’y a aucune once de misanthropie à penser cela. Mais je n’ai jamais constaté, jusqu’à présent, que des auteurs de chutes semblables se soient, par la suite, attelés à l’épiphanie éventuelle de la science annoncée par leurs propos. A ce titre, je cite un texte, datant d’au moins 2012, de S. Hawking et L. Mlodinov : « Nous modélisons la réalité physique à partir de ce que nous voyons du monde, qui dépend de nous et de notre point de vue. Dès lors, un « réalisme dépendant du modèle » semble préférable au réalisme absolu habituel en physique. » … « Dans ces doctrines, le monde que nous connaissons est construit par l’esprit humain à partir de la matière brute des données sensorielles, et il est mis en forme par le cerveau. Ce point de vue semble difficile à accepter, mais pas à comprendre. S’agissant de notre perception du monde, il n’existe aucun moyen de supprimer l’observateur – c'est-à-dire nous. »
Depuis, je n’ai jamais eu l’occasion de lire une publication qui soit dans le prolongement de ces réflexions, à mes yeux, pleines de promesses.
Enfin en juin de cette année, j’ai découvert avec intérêt l’article suivant : « The Period of the Univers’s Clock » ; « La période de l’horloge de l’Univers », avec le sous-titre : « Des théoriciens ont déterminé 10-33seconde comme limite supérieure pour la période d’un oscillateur universel, ce qui pourrait aider à construire une théorie quantique de la gravité. »
Ces auteurs considèrent que le temps est une propriété fondamentale de l’Univers, régie par un oscillateur qui interagit avec toute la matière et toute l’énergie. D’emblée on remarque que pour eux le temps est donné dans l’Univers, alors que pour moi celui-ci n’est pas donné, il est la marque de la ‘Présence’ du sujet cogitant cet Univers. Dans l’état actuel de nos connaissances, nos hypothèses fondamentalement différentes ne portent pas vraiment à conséquence. Ce qu’il y a d’essentiel c’est de reconnaître qu’il y a un tempo fondamental qui scande le temps dans l’univers, tel que nous le concevons, quelle qu’en soit la source, et de plus l’intervalle de temps ‘hors- sol’ de Planck est mis de côté. Autres différences dans nos hypothèses respectives, elles concernent l’appréciation de la valeur temporelle du tic-tac fondamental, pour eux au maximum c’est 10-33s, pour moi c’est de l’ordre 10-26-28s. A la lecture de leur article (voir article du 08/07/2020 sur mon blog) leur évaluation s’appuie sur des considérations techniques peut être plus circonstanciées que la mienne. Les contraintes sur mon évaluation sont faibles et si un jour ils obtiennent une mesure correspondante à leur évaluation théorique ou plus ou moins, je considèrerais que ce résultat sera une aubaine. A partir de ce résultat la question principale sera : quelle est la source ?
Pour eux ce serait un champ scalaire qui imprègnerait l’univers comme le champ de Higgs. Pour moi cela serait l’indice fort de la ‘Présence’ du sujet pensant. Dans ce cas, il en résulte une interaction avec la matière, l’énergie, et les autres grandeurs physiques, puisque c’est le sujet pensant qui les détermine. La possibilité de trancher entre les deux hypothèses se trouverait, à mon sens, sur une expérience mettant en jeu l’intrication qui pourrait révéler le rôle de l’observateur, à cause de TpS, incapable de distinguer à l’origine les objets qui s’intriquent et à partir de cette situation d’incapacité intrinsèque de différencier la localisation spatio-temporelle celle-ci perdurant tout au long de la ligne de vol des objets.
L’expérience consisterait à placer deux observateurs, d’une même intrication, dans deux référentiels dont l’un se déplacerait à une vitesse relative significative pour s’appuyer sur la propriété de la RR de la dilatation de l’intervalle de temps, extrêmement petit mais différent de zéro, intervenant au moment de la production de l’intrication. Si mon hypothèse est bonne, l’observateur en déplacement à vitesse significative ne constaterait pas d’intrication contrairement à l’autre au repos.
Avant de terminer cet article, je vous propose quelques citations de D. Sibony, sélectionnées parce qu’elles illustrent en filigrane ce qui m’a conduit à opter pour l’hypothèse de la ‘Présence’ du sujet pensant à l’image d’une érection première de l’être réflexif comme a pu le concevoir S. Dehaene dans un article et que j’ai commenté dans l’article ‘Turing or not Turing’ du 05/01/2018. Cette option de la grande présence première, n’est pas celle de D. Sibony, pourtant à certain moment de l’exposition de ces réflexions il aurait pu le faire, mais non, il est resté au niveau de la ‘petite présence’, celle qui résulte de la conscience-concentration, moteur du train de la vie et de son ressenti.
Page 15 : « Il y a du temps humain parce que deux sujets veulent parler et ne peuvent le faire à la fois, il faut un écart (sic) qui lui demande du temps, par exemple celui de l’écoute ou du refus (au minimum 1/3 de seconde). Il y a du temps parce qu’on ne voit pas tout d’un seul coup, il faut parcourir d’un bout à l’autre le paysage ou la page. Il faut du temps parce qu’il n’y a pas tout. » : p38 : « Quant à l’« insaisissable » du présent, il faut rester calme : « saisir l’instant présent », ce serait quoi ? l’instant présent entre nous, là dans cette réunion, vient de passer mais il reste une instance assez présente. Le présent semble rester présent un certain temps, le temps qu’une présence se transforme. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’a pas, pour le futur et le passé l’équivalent de la présence pour le présent, présence qui assure son apparente continuité. » p42 : « Tous ces repères comme tendre, tenter, tensité, nous ramènent au passage du temps, qui semble assez étrange ; et les remarques qui suivent peuvent le paraître aussi lorsqu’elles cherchent à préciser une intuition commune selon laquelle nous passons beaucoup de temps entre le passé rémanent et le futur anticipé, le tout sous le signe de la présence. » A ce stade du propos de Sibony je souhaite le commenter car ce qu’il dit n’est pas banal : le tout sous…, disant inconsciemment (c’est intéressant de la part d’un psychanalyste) que la présence est au-dessus du tout, comme un phare qui éclaire ce tout. Voilà pourquoi elle doit être signifiée avec un P majuscule puisqu’elle s’est érigée une fois pour toutes. Cette ‘Présence’ est évidemment selon moi, authentiquement universelle, absolument établie, plus déterminante et signifiante que la conscience.
Page224 : « On peut dire qu’être et temps sont intriqués sans qu’on puisse dire lequel des deux a commencé ; ils forment un entre-deux dynamique. Le temps est un rapport au possible (sic) donc un rapport à l’être, et par là même au hasard absolu… J’acquiesce donc à la formule d’Alain Connes : « l’aléa du quantique est le tic-tac de l’horloge divine. », car le temps prélevé dans le phénomène quantique est au fond prélevé dans l’infini des possibles (sic), dans l’absolue variabilité et le hasard irréductible. »
[1] Autre platonicien notable, qui a reçu le prix Nobel cette année 2020, Roger Penrose : La vérité mathématique est quelque chose qui va au-delà du simple formalisme. Il y a quelque chose d’absolu et de « divin » dans la vérité mathématique. C’est ce dont il est question dans le platonisme mathématique. La vérité mathématique réelle va au-delà des constructions fabriquées par l’homme. »