Le 17/06/2022
Comme annoncé, toujours dans le cadre du mémoire ‘l’Être humain est une réalité de/dans l’Univers’, ci-jointe la première partie du chapitre ‘Présence’. ------------------------------------------------------------ ‘Présence’
Le concept de ‘Présence’ est au cœur de la thèse qui est explicitée par le titre de mon mémoire. Le concept de ‘Présence’ est le pilier, le phare, du paradigme que je souhaite justifier tout au long de ce chapitre.
Préalablement, je veux préciser qu’avec ce concept, contrairement à ce qui peut être conjecturé en première analyse, je ne suis pas en conflit avec la conception einsteinienne qui en préalable postule que les bonnes lois de la physique mettant en évidence le monde réel sont celles qui sont indépendantes de tout référentiel prédéfini. Puisque l’établissement d’un référentiel est une action préalable prescrite par le sujet pensant : le physicien, en conséquence on comprend que le paradigme einsteinien postule que les bonnes lois de la physique sont celles qui, in fine, gomment toute référence à une quelconque subjectivité c’est-à-dire à la présence du sujet pensant. Ainsi le principe de relativité générale sur lequel s’est appuyé A. Einstein et qui intellectuellement l’a soutenu, notamment, pendant 10 longues années avant de produire finalement les équations remarquables qui lui sont attachées, confirme qu’en présence d’une champ gravitationnel les lois fondamentales de la physique doivent pouvoir s’écrire de la même façon dans n’importe quel système de coordonnées. T. Damour : physicien théoricien, excellent exégète de ce sujet, complémente ce point de vue en affirmant que le principe de relativité générale est un principe d’indifférence : « Les phénomènes ne se déroulent (en général) pas de la même façon dans des systèmes de coordonnées différents, mais aucun des systèmes (étendus) de coordonnées n’a de statut privilégié par rapport aux autres.
Cette dissolution de la présence du sujet réflexif est essentielle pour que la croyance einsteinienne en l’accès à la réalité objective résultant des bonnes équations physiques soit pleinement justifiée. Pour Einstein le monde physique est constitué de réalités, régis par des lois permanentes et comprenant des objets à demeure ou provisoires qui ont des propriétés indépendamment de tout observateur. Ceci implique, comme il aimait à le rappeler, que la lune existe réellement même si elle n’a jamais été observé, ni identifié. Selon mon point de vue la lune n’existe pas tant qu’une intelligence existante ne l’a pas pensé, identifié et caractérisé une première fois comme telle. Cette certification devient alors la base d’une connaissance communicable. Il semblerait que C. Rovelli partage cette hypothèse fondamentale, c’est nouveau de sa part et c’est une progression intéressante car dans son récent livre Helgoland (édit, Flammarion, en 2021) : « Si rien n’a d’existence propre, tout n’existe que dans la dépendance de quelque chose d’autre, en relation avec quelque chose d’autre. Les choses sont « vides » dans le sens où elles n’ont pas de réalité autonome, elles existent grâce à, en fonction de, en relation avec, dans la perspective de quelque chose d’autre. »
En conséquence mon concept de ‘Présence’, et celui d’Einstein : ‘présence du sujet pensant : physicien’ qui doit être gommée pour atteindre le monde réel objectif sans écran, ne se situe pas au même étage de l’existence.
Très rapidement ci-dessous, dans la page suivante, je présente et je développe le concept de ‘Présence’. Mais auparavant, je fais un bilan de ce qui en physique fondamentale nous oblige, entre autres, à dépasser le paradigme einsteinien, malgré la remarquable fertilité pendant plus d’un siècle des travaux du savant, puisque concomitamment ce même paradigme a instillé une pensée bornée par le principe de réalité et d’universalité (confère les débats magnifiques durant les années 1920-1930 quand il s’opposa à l’avènement de la mécanique quantique et au bout du compte il n’accepta jamais les fondements de cette nouvelle mécanique). La communauté scientifique considère actuellement qu’elle n’a pas les moyens de justifier un dépassement de ce paradigme. Elle commence à identifier les limites qu’il impose sans pour autant trouver un chemin unanime et radical qui permettrait de franchir le Rubicond.
Nous sommes obligés de constater que la pensée en physique fondamentale a épuisé tous ses ressorts depuis au moins deux décennies et les deux modèles standards que sont celui de la physique des particules élémentaires (plus communément nommée physique des hautes énergies) et celui de la cosmologie sont respectivement dans l’impasse car dans l’incapacité de formuler des prédictions significatives qui soient observables, vérifiables. L’impasse de l’un est concomitante à l’impasse de l’autre puisque l’un vise à connaître ce qui compose le contenu de l’univers et l’autre vise à déterminer l’histoire de l’univers et ce qui est la cause de la dynamique que nous croyons avoir identifiée et mesurée. Je cite les problèmes qui justifient les termes d’impasse dans ces deux modèles standards très imbriqués. 1-Le problème de la matière noire et de l’énergie sombre ; 2-Le problème de l’asymétrie entre matière et antimatière ; 3-Le problème de la réconciliation de la mécanique quantique, qui régit l’infiniment petit, avec la relativité générale, qui décrit la gravitation et le cosmos, et donc l’infiniment grand ; 4-Le problème du boson de Higgs, pourquoi est-il tel qu’il est ?; 5-Le problème est aussi d’expliquer pourquoi les particules élémentaires sont organisées en trois familles et possèdent les masses spécifiques que l’on a mesurées ; 6-Le problème global attaché aux neutrinos : à mon sens il faudrait cesser de raisonner en termes de propriétés physiques des neutrinos et raisonner en termes de physique des neutrinos car ils sont les vecteurs d’une autre physique que celle qui régit le modèle standard de la physique des particules.
Au tout début de 2014 j’ai connu une vraie satisfaction intellectuelle lorsque j’ai pris connaissance de la théorie des Qbists. A ce moment-là, au premier abord, le Qbism représentait à mes yeux une théorie convergente avec la mienne que j’avais commencé à développer plusieurs années auparavant avec le concept résultant du paradigme explicité avec le titre de mon livre : la ‘Présence’. Toutefois, j’ai effectivement identifié plusieurs éléments de convergence mais d’autres éléments ne pouvaient être rapprochés. Je propose donc, en premier lieu de présenter et développer mon concept de : ‘Présence’ et ensuite rendre compte de ce qui n’est pas conciliable avec le QBisme.
J’emploie le terme de : ‘Présence’, pour évoquer l’érection d’une première intelligence spéculative dans le monde. C’est-à-dire une intelligence qui soit en mesure d’observer, méditer, raisonner, calculer, théoriser, mémoriser, l’expérience. Celle-ci, en l’état actuelle, fruit du développement au sens Darwinien, est représentée par l’intelligence de l’homme moderne que nous incarnons aujourd’hui. Il est raisonnable de considérer que cette première intelligence spéculative a émergé il y a environ 2 millions d’années et c’est le plus souvent Homo erectus[1] qui est cité comme le vecteur premier de cette intelligence. Au tout début de son émergence le cerveau d’Homo erectus le plus archaïque pèse entre 800 et 900 gr. Les paléoanthropologues nous disent qu’à cette époque ‘l’homme si primordial’, ‘balbutiant’ n’avait aucune capacité de négocier avec la Nature ni de gérer les ressources que celle-ci lui proposait. Elle était dominante, lui dominé. Pourtant, comme nous le dit : Jean Guilaine (professeur au Collège de France, ‘La Seconde naissance de l’Homme’, page 57), « Au Paléolithique archaïque, aux alentours de 1,9 million d’années, l’analyse de la documentation fournie par plusieurs sites africains montre une gestion des matières premières fondée sur un certain rapport à l’espace (et donc au temps). A Oldowaï, (Afrique Australe) les matériaux bruts nécessaires à la taille ont été apportés de sources distantes de 3 km. De gîtes plus lointains, entre 9 et 13km, on n’a ramené que des outils finis, après avoir laissé sur place blocs et déchets. Dans ces cas le temps nécessaire pour parvenir aux gîtes respectifs envisagés est une notion intellectuellement assimilée. Ces indices, parmi les plus anciens observés, donnent une première idée de l’espace prospecté et, de ce fait, du temps mis à le parcourir. Jehanne Féblot-Augustins met ces données en rapport avec les capacités cognitives des hominidés pour constater que l’investissement technique en vue d’activités futures, c’est-à-dire la faculté d’anticipation, l’évaluation des travaux à venir demeurent faible : apparemment ces populations vivent dans le court terme. L’histoire des temps paléolithiques, dans leur extrême durée, est précisément caractérisée par une maîtrise de l’espace toujours plus élargie, par des déplacements sans cesse portés vers des frontières plus lointaines. Ces pérégrinations impliquent donc une maîtrise minimale du temps… On laisse entendre le rapide élargissement du cadre géographique des communautés : les déplacements de certains acheuléens africains pouvaient atteindre 100km. En Europe, entre -700 000 et -200 000, on observe des tendances voisines. »
Grâce à ce compte rendu qui a la valeur d’un reportage on constate que ces comportements dans l’espace et le temps sont des indicateurs du balbutiement d’une intelligence humaine, qui à partir d’une conscience établie de son ‘Être-là’, elle acquiert la volonté d’aller ‘au-delà’. Selon ma thèse ce sont aussi des indicateurs d’un processus du développement d’une ‘Présence’ qui se densifie, inhérente au développement de la faculté d’acquérir de l’autonomie raisonnée de la part du genre Homo. Pour illustrer la signification que j’attribue à ce concept de ‘Présence’ je prends appui sur une déclaration de Stanislas Dehaene (remarquable neuroscientifique professeur au Collège de France) : « La pensée géométrique est assez ancienne. Il est très intrigant de voir que, il y a 1.6 à 1.8 millions d'années, les hommes, façonnaient déjà des objets aux propriétés mathématiques élaborées, notamment des pierres en forme de sphère, comme s'ils possédaient la notion d'équidistance à un point. On connaît également des dizaines de milliers de bifaces, ces outils pourvus de deux plans de symétrie orthogonaux : ils ont le même degré d'ancienneté, et leur perfection géométrique démontre une recherche délibérée de la géométrie, au-delà de la simple utilité fonctionnelle. Dès lors, je me demande si la capacité de représentation symbolique et récursive n’est pas apparue, dans un premier temps, indépendamment du langage, avant tout comme un système de représentation rationnelle du monde.
Le cerveau d'Homo erectus avait peut-être déjà atteint la compétence d'une machine de Turing universelle (sic), capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles. Peut-être est-ce une illusion, mais pour l'instant, notre espèce a réussi à comprendre l'organisation des structures du monde à toutes les échelles de l'Univers. Dans un deuxième temps, il y a environ 100.000 ans, on observe une explosion culturelle qui suggère un langage, une communication... On peut donc se demander s'il n’y a pas d'abord la mise en place d'un système de représentations mentales enchâssées, puis l'apparition d'une capacité à communiquer ces représentations. » Article de ‘La Recherche’, Octobre 2017.
D’emblée, je peux dire que je suis toujours étonné qu’une telle déclaration de S. Dehaene n’ait pas suscité la moindre discussion de la part d’autres scientifiques et philosophes en France. En effet, étant donné son originalité et l’avancée de notre connaissance qu’elle provoquerait, si elle s’avérait appropriée, elle aurait mérité évidemment d’être travaillée, analysée, bref soumise à un très sérieux débat. (Elle le mérite toujours). Il n’en fut rien et il n’en est toujours rien et je suis attristé d’être témoin de la faiblesse actuelle du débat intellectuel en France sur un sujet aussi essentiel.
D’après S. Dehaene, l’Homo primordial avait dès son surgissement, dans le monde, une présence complète, totale, absolue, dans l’univers et mon concept de ‘Présence’ vaudrait donc dans l’absolu dès l’apparition d’une intelligence humaine dans notre Univers. Il faut remarquer que le point de vue de Dehaene est en accord avec celui de P. Picq cité en note de bas de page (1). Toutefois je ne partage pas ce point de vue car je pense que la ‘Présence’ s’est développée, s’est intensifiée, au fur et à mesure que cette intelligence s’est développée dans le monde. En conséquence, je considère comme Dehaene et Picq : bien que celle-ci se soit enracinée avec l’émergence d’Homo erectus comme il est proposé, elle est toujours, encore, en voie d’évolution, et la ‘Présence’ se densifie, s’érige au fur et à mesure que l’être humain conquiert de la connaissance fondamentale sur la nature. Le fait de considérer que « Le cerveau d'Homo erectus avait peut-être déjà atteint la compétence d'une machine de Turing universelle (sic), capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles… notre espèce a(aurait) réussi à comprendre l'organisation des structures du monde à toutes les échelles de l'Univers », suggère que l’intelligence humaine première est immédiatement sous l’emprise de la détermination a priori implacable de notre univers, naturellement structuré.
Dans ce cas, le problème du libre arbitre de l’être humain est posé ainsi que celui de sa créativité. Actuellement de plus en plus de physiciens revendiquent l’existence a priori et la reconnaissance d’un libre arbitre chez le physicien créateur de connaissances contemporaines. On peut tout à fait concevoir, contrairement à ce qu’affirme S. Dehaene, que c’est l’évolution de l’intelligence humaine qui produit une conception structurée de l’univers. Cette conception que nous revendiquons actuellement étant représentative de l’état de l’art de nos connaissances sur ce sujet. En ce qui concerne : l’apparition d’une capacité à communiquer voire l’apparition d’un proto-langage, le résultat d’une étude très intéressante a été publié dans ‘Plos One’ en 2013, « Le langage et la conception d’outils ont-ils évolué ensemble ? », Natalie Uomini et Georges Meyer, ont précisé qu’il y aurait une concomitance sérieusement probable entre le début du développement du langage et la capacité à travailler le silex pour fabriquer des outils. Cela remonte à peu près à 1.75 million d’années et à cette époque de l’évolution vers Homo sapiens, Homo ergaster et/ou Homo erectus étaient les piliers de celle-ci.
Je ne peux pas adhérer au postulat de Dehaene affirmant que notre espèce a réussi à comprendre l’organisation des structures du monde à toutes les échelles de l’Univers car, à mon avis, nous ne le pouvons pas s’il n’y a pas eu préalablement la pratique d’un chemin d’acquisition de connaissances. Ce que nous avons actuellement identifié à propos de l’univers c’est du provisoire, c’est juste la représentation que nous en avons et elle est datée. Il n’est pas possible d’affirmer que nos connaissances actuelles sont abouties jusqu’à un stade final, sur ce sujet nous ne sommes pas libérés d’une représentation purement cosmogonique. Il suffit de se rappeler qu’Einstein, lui-même, à son époque, considérait que l’univers se limitait à notre galaxie et il pensait que tout cet ensemble était stable, immuable. Malgré cette croyance limitée cela ne l’a pas empêché d’inventer la remarquable loi de la relativité générale. Loi qui sera dépassée dans le futur, car nos connaissances ne peuvent qu’évoluer, bien qu’elle soit encore une source d’explication de l’existence des ondes gravitationnelles identifiées pour la première fois en 2015.
La problématique posée par le postulat de S. Dehaene est aussi celle que l’on rencontre avec l’interprétation majoritaire de la loi de la relativité générale qui a comme conséquence d’expliciter la théorie de l’univers bloc. C’est-à-dire, si on considère que la relativité générale est l’outil théorique permettant de rendre compte de ce qu’est l’univers, et bien son déterminisme absolu s’impose à son contenu : entre autres à nous : êtres humains. Conformément à son fondateur, la relativité générale nous propose une vision dépourvue de temps car elle se réfère à l’histoire entière de tout l’univers en un seul bloc, d’une façon ramassée, qui ne fait aucune référence à quoi que ce soit de notre expérience du moment présent. Aucune signification n’est attribuée à la notion de futur, de passé et de présent. Ce qui est réel physiquement est uniquement l’émanation de la structure causale. En conséquence, dans le cadre de l’incontournable chaîne causale, notre existence est annoncée, et complètement déterminée, dès le soi-disant Big Bang de l’univers !!
Je suis intéressé par les hypothèses formulées par S. Dehaene et les intuitions qui s’ensuivent. Ses travaux centraux de recherche concernent le cerveau et il a l’intuition de relier le développement de notre cerveau avec le développement de notre connaissance de l’univers. Ainsi on peut lire dans un interview du 23 septembre 2021 : « « Les conquêtes de notre cerveau sont aussi celles de la science. Je suis fasciné que notre cerveau parvienne à découvrir les lois de l’univers, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand, jusqu’à se comprendre (sic) lui-même. C’est assez stupéfiant… on peut se demander pourquoi, au fur et à mesure que progressent nos recherches, l’Univers nous reste intelligible. Je rejoins ici Albert Einstein, qui disait que le mystère, c’est que l’univers soit compréhensible. Pourquoi ? Sans doute parce qu’au cours de son évolution notre cerveau a internalisé à la fois des modèles du monde extérieur et d’immenses capacités d’apprentissage. Ce que j’essaie de faire partager dans mon livre, c’est mon perpétuel sentiment d’émerveillement. »
----------------------------------------------------------------------------------------
La suite du chapitre ‘Présence’ sera publiée le 24/06/2022. La publication complète de ce chapitre se répartira sur 4 ou 5 semaines.
P.S. Complémentairement à la citation de P. Picq dans la note (1) de bas de page, je cite un extrait d’un article du ‘Monde science et médecine’ du 15 juin 2022 : ‘Dans deux livres parus presque simultanément, les neuroscientifiques Thierry Ripoll et Sébastien Bohler avancent une même thèse : l’insatiable soif de croissance de l’humanité et la crise globale qui en découle seraient la conséquence de notre « câblage » cérébral.’
Les deux auteurs croisent leurs analyses sur les déterminismes biologiques (sic) qui ont poussé l’humanité dans une course vers la catastrophe.
Avec ces extraits de l’article j’ai évidemment privilégié les notions et les concepts qui imprègnent mon mémoire, ainsi, il en est de l’évolution du genre Homo, du fonctionnement cérébral, de l’inertie des déterminations et des déterminismes, de l’envie irrépressible de savoir, de la structuration de l’intelligence humaine déterminée dans son rapport avec la nature. Être de la nature/Être dans la nature, cohabitant en l’Être humain. Dynamique de l’émancipation de ‘l’Être dans la nature’ à l’égard de ‘l’Être de la nature’ : tensions et moteurs de l’évolution intellectuelle de l’Être humain.
De Sébastien Bohler : « Le cerveau des vertébrés et des mammifères possède des structures cérébrales profondes, dont le système de récompense est, en son centre, le striatum. Cette structure nerveuse est responsable de cinq motivations de base encore à l’œuvre aujourd’hui chez l’être humain : manger, se reproduire, acquérir du statut social, minimiser ses efforts et glaner de l’information. Elle incite les êtres vivants à accomplir des comportements, garants de leur survie, sans limite fixée a priori, en leur donnant du plaisir sous forme d’une molécule, la dopamine. Les humains sont arrivés sur la scène de l’évolution en héritant de ces motivations de base.
Il y a quelque 300 000 ans, l’émergence d’Homo sapiens est liée à l’expansion du cortex cérébral, qui nous confère le pouvoir d’abstraction, de langage, de planification, de coopération. Cette partie du cerveau est alors au cœur d’une foule d’interventions qui vont être tournées vers la satisfaction des désirs de base du striatum. Par exemple l’ingéniosité du cortex cérébral favorise la fabrication d’outils qui permettent de se procurer de la nourriture de façon plus maîtrisée et efficace. Suivront au néolithique, la culture des semences, l’élevage, la rationalisation des sols, les premières agglomérations. La production d’alimentation ne cessera d’augmenter jusqu’à l’agriculture industrielle. Aujourd’hui… »
De Thierry Ripoll : « … Or l’évolution qui nous a aussi programmés pour croître est aveugle : elle ignore la finitude de la planète. D’où cette aporie : croître indéfiniment dans un monde fini. Heureusement, nous avons des connaissances et une conscience de ces limites. Nous sommes ainsi soumis à deux tensions contradictoires : celle issue de forces évolutives archaïques nous incitant à croître et celle issue de la partie la plus évoluée de notre cerveau nous enjoignant de prendre en compte les limites de la planète… c’est au cortex cérébral, intelligent, capable d’abstraction et de volonté de prendre les commandes… »
[1] De P. Picq, paléoanthropologue et enseignant au Collège de France, dans son livre (2016, édit Flammarion) : ‘Premiers hommes’ : page 336 : « Ce qui fait que notre évolution devient humaine depuis Homo erectus ne vient pas de l’invention des outils, de la chasse, du partage des nourritures, de l’empathie… mais de l’émergence de la condition humaine. Homo, comme le disait le grand éthologue Jakob von Uexküll, est un transformateur de monde par sa pensée et ses actions. Et en premier lieu, par sa puissance écologique qui l’emmène dans des écosystèmes de plus en plus diversifiés, ce que n’ont jamais pu faire les autres hominoïdes ou même les hominidés les plus proches – sinon les Homo erectus archaïques. Cette puissance écologique repose en outre sur une puissance biologique, physiologique et cognitive qui provient de ses innovations techniques et culturelles, comme le feu et la cuisson. » ; page 337 : « Entre 1,5 et 1million d’années, presque toutes les terres habitables de l’Ancien Monde appartiennent à Homo erectus. Il y a 1 million d’années, les populations d’Homo erectus règnent par leur diversité, leur intelligence (sic), leur prestance, leur mobilité, leurs outils et par le feu sur tout l’Ancien Monde. Ils poursuivent leur évolution biologique avec un cerveau toujours plus gros (1000 à 1300 cm3)… »