Le 8/07/2022
A ce jour je publie la dernière partie du chapitre Présence. A partir du 15/07, j’engagerai la publication du chapitre 3 suivant : ‘Dialogue imaginaire avec Carlo Rovelli’
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Plus neuroscientifiquement, un livre publié en 2017 clame : « Votre Cerveau est une Machine du Temps ; Les neurosciences et la Physique du Temps ». L’auteur, Dean Buonomano : neuroscientifique, a écrit ce livre dans le but de fournir une réponse à la question suivante : « Pourquoi est-ce que le temps semble couler d’instant en instant ? » De son point de vue, qui est riche de ses observations, et auquel j’éprouve évidemment un très grand intérêt, il révèle comment la quatrième dimension est essentielle à notre existence et bien sûr fondamentale à ce qui fait de nous des humains. Avec les outils que lui fournissent ses compétences scientifiques il infère : comment le temps tisse sa toile dans le monde physique et dans nos cerveaux ? Ce qui fait dire à Sean Carroll (physicien théoricien américain) que Buonomano nous peint : « Une image claire de notre place dans le monde physique. »
Ainsi quand nous tentons d’atteindre une compréhension de plus en plus fine du temps, c’est-à-dire quantique, ainsi que d’appréhender sa source, il en résulte qu’un trait d’union explicite apparaît et conduit à considérer que du lien entre le monde physique et le monde humain il émerge la scansion fondamentale du temps. A ce stade, il est approprié de citer la proposition de Nicolas Gisin dans son article de 2016 (arxiv : 1602.01497v1) : « Finalement, parce que la physique – et la science en général – est l’activité humaine ayant pour but de décrire et de comprendre comment la Nature fonctionne. Pour cette raison nous devons décrire aussi comment l’être humain interagit avec la nature, comment on la questionne. » Evidemment, je suis en total accord avec cette proposition fondamentale. De l’interaction homme-nature identifiée, pour le moins raisonnée par Gisin, surgirait le temps. On peut aller plus loin encore en intégrant dans cette proposition, le versant de la question : comment l’être humain a évolué et poursuit son évolution en se frottant et en conquérant une compréhension de la Nature ?
Au sein de la communauté scientifique la position de Gisin est très originale et quasiment pas partagée. Pour le constater il suffit de reprendre la citation ci-dessus de S. Carroll : « Une image claire de notre place dans le monde physique. » Dans ce commentaire point d’interaction, Carroll reconnaît simplement une juxtaposition, pas de trait d’union projeté. De même L. Smolin à propos de ce même livre nous dit son évaluation : « Le livre de Buonomano est une révélation qui propose une nouvelle vision radicale du cerveau dans lequel la fonction primordiale des circuits neuronaux est de générée des processus dont les actions définissent le temps. Les neurosciences ont besoin d’une révolution avant que nous puissions comprendre comment le cerveau donne lieu à l’esprit. La proposition de Buonomano de comprendre le cerveau comme un ensemble de processus se déroulant dans le temps, pour définir le temps, pourrait être vu comme le début de cette révolution. » Malicieusement Smolin indique qu’il y a une sérieuse étape préalable à franchir avant que la thèse de Buonomano puisse être prise en compte. De toute façon, pour lui, les processus cérébraux ne peuvent avoir lieu que dans une temporalité déjà établie naturellement. En effet la thèse de Smolin est la suivante : Le temps est donné dans la nature, il est réel. C’est au sein de l’univers matériel que se situe le tic-tac de l’horloge naturelle devant être considérée comme l’horloge fondamentale.
N'oublions pas que pour les physiciens réalistes, l’être humain doit être nu de toute contribution dans la conception des lois de la physique et en conséquence des modèles standards de la cosmologie et de la physique des particules élémentaires. Cela constitue pour eux un postulat toujours incontournable.
En vue d’évaluer le bien fondé de mon hypothèse : TpS, et qu’il est un propre de l’homme, afin d’apprécier son ordre de grandeur, je propose la réalisation d’une expérience qui exploite la propriété de l’intrication. En effet, comme je l’ai postulé dans les pages précédentes, TpS correspond à la durée d’une période aveugle, irrémédiable, de notre capacité d’inférer. Le processus d’intrication entre les objets quantiques se réalisent quasiment instantanément, pendant un intervalle de temps très réduit, mais non nulle, au cœur de la durée attribuée à TpS. Considérant que les lois de la relativité restreinte s’appliquent qu’elle que soit la valeur d’une durée très courte différente de zéro, on peut imaginer la réalisation d’une intrication entre deux objets dans un laboratoire terrestre et en soumettre l’observation à un observateur en mouvement assez rapide dans l’espace. En effet, il faudra que le facteur γ (gamma) des équations de la relativité restreinte de l’expérience, soit suffisamment grand pour qu’il produise un effet significatif donc observable. C’est-à-dire, l’intervalle de temps de la réalisation de l’intrication sera suffisamment dilaté vu par l’observateur en mouvement. Dans ce cas, si l’observateur en mouvement ne voit pas le phénomène d’intrication, réalisé dans le laboratoire, produire son effet, c’est-à-dire s’il constate que les deux objets sont séparés, autonomes, distinctement localisés d’un point de vue spatio-temporel, alors mon hypothèse sera vérifiée. De plus à l’occasion on sera peut-être en mesure de constater qu’il y a effectivement des degrés d’intrication. L’opération inverse est peut-être plus confortable à réaliser : l’intrication est obtenue dans le laboratoire en mouvement où se trouve l’observateur cité ci-dessus et c’est l’observateur au sol qui dira s’il constate l’intrication.
J’interprète que mon hypothèse est confortée grâce à une publication fin mai 2022 indiquant, dans Physical Review Letters, que superposition et intrication peuvent être observées indépendamment du cadre théorique qui les décrivent. L’article qui la résume sur le site ‘PhysicsWorld’ du 30/05/2022 a pour titre : « Superposition and entanglement flee the quantum nest », soit : « Superposition et intrication fuient le nid quantique ». « Cela signifie que ces deux effets physiques peuvent être observés, indépendamment du référentiel théorique utilisé pour les expliquer, et une équipe internationale de chercheurs a montré que la connexion entre eux ne dépend pas plus du formalisme mathématique de la théorie quantique. » Ces chercheurs ont prouvé que dans n’importe quelle théorie physique : l’intrication peut exister entre deux systèmes différents si et seulement si la superposition peut exister en chacun d’entre eux.
J’en déduis, si le contenu de cette publication se trouve confirmé, que mon hypothèse du point aveugle se trouvera par la même occasion validée. Selon mon point de vue, de fait, la cause première de l’observation de l’intrication c’est notre propre limite TpS. On ne peut distinguer, différencier, deux objets qui sont associés durant un intervalle de temps inférieurs à TpS. Pour nous, ils sont dans une même bulle spatio-temporelle, superposés, et leur futur spatio-temporel est définitivement indifférenciable.
Les fondements de la mécanique quantique sont la conséquence de cette cause première. Je propose que cette affirmation soit mise en rapport avec la citation dans ‘Prologue’ de S. Hawking et Mlodinov : « Nous modélisons la réalité physique à partir de ce que nous voyons du monde, qui dépend de nous et de notre point de vue… Le monde que nous connaissons est construit par l’esprit humain à partir de la matière brute des données sensorielles, et il est mis en forme par le cerveau. »
Dans le but retrouver les ressorts d’un élan créatif en physique théorique, durant ces trente dernières années, il y eut plusieurs tentatives proposant des nouveaux paradigmes, mais elles se sont avérées et elles continuent de s’avérer infructueuses. Une des plus récentes tentatives peut retenir notre attention mais pas obligatoirement pour considérer qu’elle promet d’ouvrir les portes du succès mais il vaut malgré tout la peine de réfléchir à l’hypothèse du processus de l’émergence. L’auteur principal et premier de cette théorie est Erik Verlinde de l’université d’Amsterdam. Pour présenter le sujet je me réfère à son propre article de présentation et de synthèse dans le courrier du CERN du 2 septembre 2021. Le lecteur pourra constater ce qui est distinct et ce qui est semblable entre l’hypothèse de l’émergence et mon hypothèse du creusement.
Verlinde : « Beaucoup de lois physiques ‘émergent’ de la complexité grâce à un processus de compression de données. E. Verlinde s’empare du Modèle Standard, de la gravité et de l’intelligence artificielle en tant que candidats pour de futures explications de phénomènes émergents. L’Emergence dit que des phénomènes nouveaux et de types différents apparaissent dans des systèmes vastes et complexes, et que ces phénomènes peuvent être impossibles, ou du moins très difficiles, à dériver des lois qui régissent leurs constituants fondamentaux. Elle traite des propriétés d’un système macroscopique qui n’ont aucune signification au niveau de ses blocs de conceptions microscopiques. De bons exemples sont l’humidité de l’eau et la supraconductivité d’un alliage. Ces concepts n’existent pas au niveau des atomes ou des molécules individuels et sont très difficiles à dériver des lois microscopiques… Un autre exemple frappant peut être l’intelligence. Le mécanisme par lequel l’intelligence artificielle commence à émerger de la complexité des codes informatiques sous-jacents montre des similitudes avec des phénomènes émergents en physique. On peut soutenir que l’intelligence, qu’elle se produise naturellement, comme chez l’homme, ou artificiellement, devrait également être considérée comme un phénomène émergent. »
La tentative de Verlinde d’ouvrir un nouveau chemin théorique qui mettrait en valeur un processus d’émergence est probablement vouée à l’échec car elle est selon mon point de vue à contre-courant de la dynamique vertueuse de l’accès à de nouvelles connaissances en physique. En effet il infère l’idée que le processus de son émergence a pour base : la complexité. L’usage de ce substantif : la complexité, désigne un ensemble qui est délimité et a une autonomie conceptuelle, elle implique la pensée d’un étant permanent, en conséquence définitivement inaccessible à notre entendement. Nous avons pour habitude de qualifier des situations, des évènements, des sujets, des objets, complexes. Et c’est relatif à la personne qui les qualifie ainsi. Ce qui est complexe pour l’un, ne l’est pas pour l’autre. Par contre la complexité, qui est un mot-concept (presque) nouveau rend compte d’une impuissance, d’une incapacité rédhibitoire à ce que notre intelligence puisse décrypter comment, de quoi, elle est faite. La complexité constitue une opacité installée. En conséquence, il n’y aurait plus un au-delà à la connaissance actuelle considérée comme émergente, telle qu’elle est recensée en l’état présent, à l’état embryonnaire, par Verlinde. Proposer une démarche qui vise à accéder à de nouvelles connaissances en prétendant qu’il nous faut assumer de laisser de côté des pans entiers de phénomènes qui nous seraient définitivement incompréhensibles ne correspond pas à ce que l’histoire du développement de la connaissance scientifique nous renseigne. En effet ce qui est apparu, à une époque, trop complexe à décrypter, le fut moins voire plus du tout à une époque suivante puisque des connaissances et des outils théoriques à des étapes intermédiaires ont été maitrisés pour lever le voile sur ce qui était recensé comme une complexité. Elle n’était donc que provisoire.
Je regrette de devoir affirmer que la tentative de Verlinde est vouée à l’échec mais il n’est pas possible de proposer une nouvelle théorie correcte qui se veut aussi profonde sur la base de préalables erronés.
J’adhère à l’idée que nous vivons des processus d’émergences de connaissances, c’est-à-dire que d’une situation d’ignorance nous accédons à une situation de connaissances. La découverte de la loi de la gravitation par Newton constitue un bel exemple qui parle à tout le monde illustré par le mythe de la chute de la pomme accompagné de son ‘Euréka’. Ce que l’on doit comprendre à travers un processus d’émergence c’est le processus par lequel le complexe qualifié comme tel devient intelligible partiellement ou complètement. Notre quête de connaissances procède par extraction-creusement. On doit considérer que ce processus d’extraction n’a pas de fin car armés de la connaissance d’une couche, d’une strate, du complexe résolu, que nous avions a priori identifié comme tel, on peut après coup, dévoiler une strate suivante, et ainsi de suite. Nous sommes ainsi, effectivement, dans un processus de creusement, de mise en lumière. Prendre en considération le travail de Verlinde est utile parce que cela me permet de pointer où se trouve un clivage très significatif à propos de la généalogie des avancées de la connaissance. Pour lui c’est dans la nature que se trouve le complexe, pour moi, là où on nomme de la complexité c’est là où notre intelligence ne sait pas encore démêler, pas encore discerner. C’est là où il n’y a pas encore de notre part d’aptitude à discerner une règle, une loi qui règnerait dans cet ensemble qualifié de complexe. En partie on peut considérer que le processus par lequel on a au 20e siècle élucidé ce que l’on considérait être du domaine du chaos, constitue une illustration de cette généalogie que je conçois. Sur ce sujet, la complexité illustrée par le chaotique a été décantée lorsqu’on a compris que certains systèmes dynamiques étaient très sensibles aux conditions initiales.
Stipuler que, pour le sujet pensant, de l’irrémédiable complexité se trouve effectivement dans la nature ne peut qu’engendrer des cheminements de la pensée scientifique dont les cibles ne seront que des chimères. Ce qu’il est essentiel de considérer c’est le rapport entre ce que nous savons et ce que nous ne savons pas encore, parmi tous les possibles. Evoquer tous les possibles, ne présente pas de risque car il y a une communauté scientifique qui veille. Bien que je la juge conservatrice voire paresseuse, elle préserve contre les dérives qui exploiterait : ‘tous les possibles’ d’une manière anarchique, d’une façon personnelle. On ne peut pas oublier qu’avec Dirac, parmi tous les possibles, la possibilité de l’antimatière s’est imposée. On ne peut pas oublier que parmi tous les possibles qui ont été exploités pour rendre compte que l’universalité de la vitesse constante de la lumière était incontournable, in fine c’est l’idée d’Einstein de la relativité du temps qui a été avérée fertile puisque de la relativité restreinte l’auteur a prolongé jusqu’à la relativité générale dix ans après en 1915.
Puisque je cite à nouveau Einstein, à cette étape il est approprié d’analyser l’a priori de sa conception philosophique qui le guide dans sa production scientifique. En effet, A. Einstein est en premier lieu un réaliste convaincu voire inébranlable, c’est-à-dire qu’il est convaincu qu’il y a un monde objectif extérieur à notre perception subjective et le rôle du physicien est de le mettre en évidence. Pour lui les bonnes équations en physique sont celles qui mettent en évidence une indifférence, une invariabilité de résultat qu’elle que soit la position et l’action du sujet pensant. Cette conviction est profonde et elle a surtout le mérite d’avoir servi de fil directeur à son itinéraire de pensées pendant 10 ans et cela l’a conduit à concevoir, à force d’obstination, presque solitairement, les équations de la Relativité Générale. Je n’hésite pas à dire que ces équations sont une des plus belles créations de l’esprit humain. Mais elles ne sont pas universelles dans la mesure où leur champ d’application est limité. Obstinément, je propose de réviser radicalement l’héritage que nous a légué Einstein, on peut considérer que cela est excessif. Il m’arrive parfois de le considérer car j’ai bien conscience que (trop) souvent, je ressasse les contraintes qu’elles impliquent. Toutefois en lisant le dernier livre de Smolin : ‘La révolution inachevée d’Einstein’, cité ci-après, je mesure qu’il n’est pas simple de dénouer la situation.
La phénoménologie de l’émergence survient à nouveau avec Smolin p.235, dans son livre : ‘Einstein’s Unfinished Revolution’ (2019, édit. Penguin) : « En physique quantique l’espace et le temps ne peuvent être ensemble fondamentaux. Un seul peut être présent au niveau le plus profond de notre compréhension ; l’autre doit être émergent et contingent…Je choisis de retenir l’hypothèse que le temps est fondamental, tandis que l’espace est émergent. Ce choix relève aussi de la contrainte qui s’impose à cause de la propriété de la non localité de l’intrication. Le temps est fondamental parce que la causalité l’est. L’espace est émergent parce qu’il y a des événements qui provoquent d’autres événements. Ces relations causales établissent un réseau de relations et c’est donc l’espace qui se dessine. En conséquence l’intrication non locale est due à un résidu des relations sans espace inhérente à l’étape primordiale avant que l’espace émerge… La combinaison d’un temps fondamental et d’un espace émergent implique qu’il peut y avoir une simultanéité fondamentale. A un niveau plus profond, quand l’espace disparaît mais que le temps persiste, un sens universel peut être attribué au concept du ‘Maintenant’ (sic). »
La démonstration théorique que nous propose Smolin pour justifier son choix du temps qui serait solitairement fondamental me plaît beaucoup car elle est en accord avec ma proposition d’expérience pour valider et mesurer TpS. Selon L. Smolin, le temps est fondamental car cela relève de la contrainte de la non localité de l’intrication. L’intrication non locale est due à un résidu des relations sans espace inhérente à l’étape primordiale. Comme Smolin en a l’intuition, l’étape première de la réalisation de l’intrication est une étape qui se réalise sur une durée inférieure à TpS. Cette étape correspond à la constitution de la bulle spatio-temporelle que j’ai évoquée précédemment. Pour nous, elle est sans temps et sans espace mesurable puisqu’il n’y a du temps qui commence à s’égrener qu’au-delà du premier Tic-Tac révolu de la réalisation de l’intrication. Pour nous au sein de ce premier Tic-Tac il n’y a pas encore d’écoulement de temps qui soit identifiable.
Fin du chapitre ‘Présence’
R.V. avec la 1e partie du chapitre : Dialogue imaginaire avec Carlo Rovelli.