A propos de l’espace et du temps, résumons.
Dans son livre ‘L’impensable hasard’ (2012), Nicolas Gisin déclare à propos de l’intrication page 145 : « J’ai écrit dans ce livre que les corrélations non locales semblent surgir de l’extérieur de l’espace et du temps (sic) dans le sens qu’aucune histoire se déroulant dans l’espace au cours du temps ne peut raconter comment la nature produit de telles corrélations… Mais alors, est-ce que les physiciens vont renoncer à la grande entreprise de comprendre la nature ? »
Toujours à propos de ce phénomène si étonnant, Anton Zeilinger, déclare dans un article du 25/05/2013 : ‘L’intrication quantique persiste entre deux photons si l’un disparaît’, à propos d’une nouvelle expérience plus riche en information sur l’intrication : « Elle (l’expérience) est remarquable car elle montre plus ou moins que les événements quantiques sont au-delà de nos notions quotidiennes sur l'espace et le temps ».
Remarquons que chez Gisin les corrélations non locales semblent surgir de l’extérieur… mais évidemment c’est selon son point de vue – résolument réaliste – une illusion. Chez Zeilinger les évènements quantiques sont au-delà… ce n’est plus une illusion, il faudrait selon son point de vue se rendre à l’évidence. Mais attention il y a un bémol, il s’agit de l’espace et du temps…quotidien !!
A travers ces déclarations on constate qu’il est difficile de franchir un certain Rubicond en ce qui concerne la représentation, l’ontologie, de l’espace-temps.
Le saut conceptuel d’A. Zeilinger est spontanément amoindri dès qu’il désigne l’espace et le temps quotidiens. Cela fait penser à la démarche de Newton qui avait différencié la conception de l’espace et du temps vulgaire (humain) de celle qui était l’émanation de dieu : le sensorium de dieu.
Avec ces déclarations des deux éminents physiciens on entend ces représentants du ‘sujet pensant’ à l’œuvre qui font un travail de résistance à l’avènement de nouveaux concepts, de nouveaux paradigmes. Cette inertie conservatrice est compréhensible jusqu’à une certaine limite.
La notion d’espace et de temps est une notion tellement fondamentale qu’il est extrêmement délicat de prendre du recul à son égard au risque de déstabiliser les fondements qui contribuent à la structuration et à l’émergence de la pensée du ‘sujet pensant’. Moi-même je connais ce tremblement intellectuel depuis plusieurs années que je propose avec le ‘Temps propre du Sujet’ : TpS = 10-25s (il va de soi que c’est un ordre de grandeur), l’existence du point aveugle de l’intelligence humaine caractérisé, à cette échelle du temps, par une impossibilité rédhibitoire de fonder le socle spatio-temporel sur lequel le sujet pensant surplombe la nature et projette ses facultés de raisonnement. Nous devons considérer que le ‘sujet pensant’ avec ses spécificités fait partie intégrante d’une réalité que nous construisons. Nous devons l’y intégrer sans le réduire comme le font immanquablement les physicalistes et comme a pu, par exemple, le proposer R. Penrose, à plusieurs occasions.
Avec la problématique de l’intrication nous sommes confrontés à ‘un système quantique unique’, ‘un tout’, qui ne peut plus être observé, ni pensé, ni investi, traditionnellement. Le référentiel spatio-temporel est définitivement caduc. En conséquence les considérations de distance, de mouvement, de vitesse, n’ont plus lieu d’être pensées. Concomitamment, nous devons abandonner toute pensée réaliste une fois que le ‘tout unique’ s’impose à l’observateur, jusqu’au point de devoir effacer la pensée rémanente d’une supposée réalité des objets quantiques à l’origine du processus de l’intrication.
Le phénomène de l’intrication et ses conséquences que nous percevons devraient nous amener à reconnaître comme je le propose que l’espace et le temps sont proprement fondés par l’anthrôpos et ils n’ont pas d’existence propre, de réalité propre, contrairement à ce qui est encore proclamé par Lee Smolin dans un récent article dans le NewScientist du 26/04/2013 : ‘It is time recognized that time is real’. Mais je partage avec Smolin une idée, celle qu’il faut concentrer notre sagacité de physiciens sur le présent, le ‘Moment Présent’, et selon moi la ‘Présence’. Il faut donc mettre en évidence un (des) nouveau(x) paradigme(s) qui confirmerai(en)t cette conception nouvelle et pertinente. Pour ma part TpS remplit ce rôle, il faut donc le mettre à l’épreuve.
Je ne rejoins pas pour autant le point de vue de ceux qui affirme comme Carlo Rovelli que le temps n’existe absolument pas. Je dirais qu’au contraire cet a priori est néfaste car il borne malencontreusement la pensée (avec C. Rovelli et L. Smolin on entend encore deux sujets pensant à l’œuvre qui révèlent leur inertie intellectuelle respective).
Je dirais que nous sommes, avec le phénomène de l’intrication, au seuil d’un autre rapport entre le ‘sujet pensant’ véhiculant ses propres déterminations et ce que nous appelons la nature. Le 1er est celui qui nous a amené à penser ce que nous appelons la physique classique qui est englobé par la relativité générale, le 2ième est celui qui nous a amené à penser la mécanique quantique qui ne peut pas être décryptée par une rupture franche avec les concepts que nous avons forgés dans le 1er parce que ceux-là nous déterminent. Le 3ième appelle à un enrichissement voire à un dépassement de notre intelligence actuelle des propriétés de la nature.
Ma métaphysique peut se résumer ainsi : ‘Au sein d’une éternité, parmi tous les possibles, le sujet pensant creuse sans fin la compréhension de son univers correspondant à ses capacités de décryptage’. Nous nous trouvons confrontés à devoir mettre en œuvre de nouvelles capacités de décryptage pour développer un discours éclairé sur ce 3ième monde. Dans une certaine mesure je propose une variation significative de ce qui a déjà été perçu par Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie, qui a évoqué différentes régions ontologiques dans un ouvrage, bien que je ne mette surtout pas en avant des régions d’être constituant une réalité, mais plutôt différentes régions de possibilités de formation d’un savoir des propriétés de la nature. Chaque région oblige à mettre en jeu des facultés totalement nouvelles qui s’appuient sur des bases radicalement neuves que l’on nomme aussi nouveaux paradigmes. Ceci étant dit comment jeter les bases d’un investissement neuf par la pensée à propos de propriétés possibles de la nature sans notre habituel référentiel spatio-temporel. Plus de distances spatiale, ni temporelle, plus de vitesse dont celle de la lumière !! Plus de rapport d’équivalence E = mc2, donc plus de matière identifiable grâce à cette contrainte. Alors une ‘autre matière’ ? Une ‘autre énergie’ ? Est-ce là une possible explication à l’égard du problème des 95% inconnus, incompréhensibles, composant notre univers ? Est-ce que des scientifiques américains qui désignent par le terme général ‘stuff’ : étoffe, ces composants inconnus de l’univers indiquent qu’il faut prendre du recul avec les concepts traditionnels de matière et d’énergie ? Cette étoffe (composante : matière noire) laisse constater quelques effets qui peuvent être interprétés de nature gravitationnelle, étant donnés nos moyens actuels de décryptage. Sans plus !!
Si, comme je le propose, nous remettons en cause, radicalement, le référentiel spatio-temporel, la loi de la relativité générale nous dit aussi que cela remet en cause notre conception traditionnelle de la matière et de l’énergie car la relation et l’interdépendance : Matière-Energie-Espace-Temps, sont clairement affirmées par celle-ci.
Il y a 2 ans j’ai intitulé mon blog : ‘mc2-est-ce-suffisant’ parce que j’avais déjà la conviction qu’il fallait penser des propriétés fondamentales dans la nature au-delà de cette contrainte. A cette époque l’interrogation concernait principalement les neutrinos. En effet, depuis longtemps, je considère que ceux-ci nous suggèrent qu’ils sont les vecteurs de propriétés jusqu’alors non élucidées à cause des limites de notre référentiel cognitif actuel. Entre 1930 et aujourd’hui si on fait le bilan de tout ce qui a été dit et affirmé à propos des neutrinos on doit s’étonner de la faiblesse du savoir acquis sur ces objets qui renvoient toujours, aux physiciens spécialistes du domaine, une réponse du type : ‘nous ne sommes pas ce que vous croyez’. Il est probable que certaines inconnues de la physiques des neutrinos soient corrélées avec celles de la ‘matière noire’. Par exemple ils n’ont pas de masse qui puisse être encryptée par E/C2.
En aucun cas je ne m’exprime sur le problème du dépassement ou non de la vitesse de la lumière car en tant que tel c’est un sujet extrêmement délicat. Elle caractérise une vitesse horizon qui borne la conception de notre univers actuelle. Si on réfléchit bien, en fait, nous sommes constitutivement des ‘êtres de cette lumière’. Par contre parmi tous les possibles, il y a des contrées d’univers où les notions d’espace, de temps, de vitesse, n’ont plus de validité et si nos ressources cognitives nous permettent d’investir ces contrées des nouveaux possibles enrichiront la représentation actuelle de notre univers. Sans exclure l’idée que ce serait un autre univers ou d’autres qui s’enchevêtrerai(en)t avec celui qui nous est le plus commun aujourd’hui.