Intrication
Au début du mois de Novembre ce fut l’occasion de célébrer les 50 ans de la découverte théorique de John Stewart Bell adepte d’une interprétation ‘Réaliste’ de la mécanique quantique comme A. Einstein. En effet le 4 novembre 1964, le journal ‘Physics’ recevait un article qui allait faire date dans l’histoire de la physique quantique.
Les idées de Bell ont été mises en pratique par Alain Aspect et ses collègues au moyen d’une expérience conduite à l’université d’Orsay en 1982. Les résultats de cette expérience ont eu un retentissement mondial (violation des inégalités de Bell). L’interprétation des fondateurs de la mécanique quantique, c’est-à-dire de l’’Ecole de Copenhague’, en est sortie renforcée. Depuis elle continue d’être justifiée et la croyance téméraire d’A. Einstein qui s’opposa sans relâche à cette interprétation en puisant ses idées dans une conception ‘Réaliste’ radicale du monde est battue en brèche.
Depuis les résultats d’A. Aspect, l'intrication quantique s’est largement imposée dans le paysage scientifique avec ses propriétés mais aussi, il faut bien le dire, elle véhicule dans son sillage un ensemble de questions qui sont autant de sujets de controverse, et qui ne risquent pas d’être résolus de sitôt, puisqu’aucune explication au sens classique du terme ne peut être proposée et ce n’est qu’au prix de ce renoncement que le phénomène de l’intrication doit être entendu[1]. Celui-ci met en évidence un champ nouveau d'applications potentielles dans les domaines de l'information quantique, tels que la cryptographie quantique, la téléportation quantique ou l'ordinateur quantique. Dans les domaines cités des exploitations technologiques banalisées sont déjà à l’œuvre notamment en cryptographie.
Tout récemment, début septembre, plusieurs articles ont révélé un résultat que l’on peut qualifier d’’imagerie quantique’[2]. Grâce aux propriétés de l’intrication on forme des images d’objets dans une bande de longueurs d’onde donnée bien qu'il n’existe pas d’instruments permettant de prendre réellement une photo de ces objets. Les physiciens pensent que cette technique d’imagerie quantique avec intrication de photons permettra d’avoir un jour des applications en biologie et en médecine.
Plus récemment encore le 11/11 un article annonce : ‘Intrication quantique : la conjecture de Peres est fausse’[3]. Conjecture qui aurait (eu) un impact en téléportation quantique. Cela nous dit que nous sommes dans un domaine de la physique fondamentale théorique qui n’est pas encore stabilisé.
D’autant moins stabilisé que l’interprétation de Copenhague, qui n’a jamais été mise en porte à faux, est toujours contestée explicitement ou implicitement. La dernière tentative explicite apparaît dans un article du 05/11, sur le site du ‘NewScientist’[4] : « Des univers fantômes tuent le chat quantique de Schrödinger », relatant les cogitations de Howard Wiseman de l’Université de Griffith en Australie. Le leitmotiv de ce théoricien c’est qu’ « il n’est pas possible de penser la fonction d’onde comme une chose réelle (sic) ». Alors il pense que des univers fantômes sont présents, là, partageant avec Notre univers le même espace, chacun d’entre eux (un très grand nombre, mais un nombre fini) étant régi par les lois physiques classiques newtoniennes. Ces différents univers se bousculent et en conséquence dans Notre univers les propriétés quantiques apparaissent. Toutefois il y a un sérieux bémol, car avec cette vue de l’esprit il n’y a pas la possibilité d’expliquer l’intrication, mais… « Cela pourrait marcher si ces univers étaient en nombre infini. (sic) »
Rappelons-nous, et c’est essentiel, que les fondateurs de la mécanique quantique n’ont jamais prétendu que la fonction d’onde était quelque chose de réel, ni qu’elle représentait une réalité du monde physique investi par le physicien. D’ailleurs, c’est ce qu’on leur reprochait comme le relate W. Heisenberg au cours d’un entretien avec A. Einstein en 1925 : « Il me semble, me mit en garde Einstein, que votre pensée s’oriente maintenant dans une direction très dangereuse. Car tout d’un coup, vous vous mettez à parler de ce que l’on sait de la nature, et non pas de ce qu’elle fait effectivement. Mais dans les sciences, il ne peut s’agir que de mettre en évidence ce que la nature fait effectivement. » Certainement, Einstein avec beaucoup d’autres n’a jamais pu accepter que la fonction d’onde ne représente que le savoir que l’on a de l’état d’un système quantique et pas plus. A Côme, en septembre 1927, lors d’une conférence très pédagogique, N. Bohr a expliqué que les expériences et les mesures sont nécessairement faites avec des appareils de dimensions macroscopiques[5], en conséquence les observations des phénomènes atomiques et subatomiques entraînent une interaction avec l’instrument d’observation qui ne peut être négligée. « On ne peut par conséquent attribuer une réalité indépendante, au sens physique ordinaire de ce mot, ni aux phénomènes ni aux instruments d’observation. » La réalité physique est ramenée à nos rapports opérationnels avec elle, au-delà de laquelle la science n’a plus rien à connaître. Dans sa formulation même, la théorie quantique ne dit pas comment le monde est, mais comment il répond aux sollicitations. Les concepts physiques tirent leur seule légitimité de leur capacité à « couvrir la situation expérimentale. » Pour les ‘Réalistes’, avec A. Einstein comme chef de file, renoncer à décrire la réalité du monde physique était inacceptable, cela le fut aussi pour J. S. Bell et cela continue de l’être pour une grande majorité de physiciens (cela me semble être le cas pour Alain Aspect) que cela soit implicite ou explicite.
L’intrication implique que deux objets quantiques, à un certain moment, sont structurellement tellement imbriqués qu’il n’est plus possible de les distinguer. Ils ne constituent qu’un seul système quantique avec des propriétés qui lui sont propres. Cela veut dire qu’à ce moment-là on ne peut pas leur attribuer des coordonnées spatiales distinctives. Ils sont spatialement indiscernables et ils le resteront après coup quelle que soit leur évolution spatio-temporelle. Des expériences abouties ont permis de constater que l’intrication demeurée pour des photons séparés, par la suite, de plus de 200km. Si le système de bi photon présente un spin 0 au départ, la mesure du spin individuel de chacun d’entre eux donnera en somme toujours 0. Si la mesure de l’un donne : -1, l’autre donnera automatiquement et instantanément comme réponse à la mesure : +1 et vice versa. Evidemment aucun signal n’a pu être échangé entre les deux photons.
Le système de bi photon reste un système de bi photon bien que l’imbrication structurelle ne soit plus, au sens courant du terme, mais la propriété d’intrication, au sens physique du terme, demeure. Cette dernière décennie, des systèmes intriqués sophistiqués ont été élaborés et l’étude expérimentale de ses systèmes a toujours été probante.
Du point de vue du formalisme de la mécanique quantique cela s’exprime par le fait que la fonction d’onde qui représente le système quantique intriqué au départ ne peut par la suite être modifiée de telle façon que deux fonctions d’onde se déduisent de la première, pas plus que formellement l’objet 1 puisse se distinguer de l’objet 2. Donc après coup quand on fait une mesure sur un objet dont on sait qu’il est à 200km de l’autre, on ne sait pas, et on n’a pas les moyens de savoir, si on fait la mesure sur 1 ou sur 2.
C’est donc une faille dans les capacités de l’observateur qui est en cause. Disons plutôt, faille dans les capacités universelles et omniscientes qu’il s’attribue, alors que l’être pensant doit être considéré comme un être déterminé, comme je l’ai maintes fois présenté dans plusieurs de mes articles.
Selon mes critères l’intrication résulte d’une imbrication instantanée de deux objets quantiques. Elle se produit sur une durée inférieure à TpS : point aveugle de l’intelligence humaine, durée pendant laquelle le sujet pensant ne peut fonder les données spatiales attachées à chacun des 2 objets en question. Le sujet pensant ne peut intérioriser que le système lui apparaissant unique, et cela est irréversible.
La différence d’interprétation est nette. Pour la très grande majorité des physiciens il est considéré que ce sont les objets de la nature qui se comportent ainsi et l’énigme est d’une grande ampleur. De mon point de vue, l’intrication résulte des capacités cognitives déterminées du sujet pensant et elles conditionnent notre représentation de la situation.
Grâce à la maturité des sciences cognitives et de l’imagerie cérébrales, ma conviction est : qu’il est possible maintenant de mettre en évidence cette durée aveugle de l’intelligence humaine et le processus de la fondation de l’espace du sujet pensant.[1]
L’expérience que je propose consiste à mettre en évidence des sollicitations cérébrales distinctes d’un observateur formé à la science physique placé devant un interféromètre dans lequel on fait circuler des objets quantiques. Cet interféromètre permettant soit de connaître à volonté le chemin suivi par les objets soit à volonté d’être dans l’ignorance du chemin suivi. L’idée serait de constater, selon mon hypothèse, que lorsqu’il y n’a pas de connaissance de la trajectoire spatio-temporelle possible des objets en question, alors c’est une zone distincte du cerveau qui s’active pour construire une représentation du phénomène physique conduisant à une image d’interférence. Zone distincte du cerveau de celle qui est activée lorsqu’il y a connaissance des trajectoires spatio-temporelles. Cette évaluation doit être aussi réalisée avec un observateur qui n’a pas une culture physique développée, notamment sur le phénomène ondulatoire.
Ensuite, au cas où cette expérience serait éclairante et probante, il serait alors fondé de réaliser une expérience mettant en jeu le phénomène de l’intrication et observer quelle est la zone du cerveau qui est activée par l’observateur du phénomène.
On commence à sérieusement comprendre que notre cerveau a des modalités de fonctionnement, c’est-à-dire qu’il est contraint par des processus qui résultent de l’assemblage de ses constituants, de leurs articulations et de leurs facultés de communication. Il est par définition un objet naturel, dont on peut dater les grandes étapes de son évolution, il est doué d’une grande ‘plasticité’, mais in fine ce qu’il produit n’est pas de l’ordre de la nature (n’appartient pas spécifiquement à la Nature, n’est pas réductible à des automatismes) mais absolument d’un autre ordre : celui de l‘humain. L’imagerie cérébrale est actuellement suffisamment développée et suffisamment précise pour qu’en toute rigueur il soit possible d’établir des relations de correspondance entre l’objet naturel et la production humaine de la pensée.
Stanislas Dehaene[2] a déjà remarqué le rôle primordial du : « Sens de l’espace et de celui du nombre (qui) sont des prédispositions si indispensables à la survie (sic) qu’elles sont attestées chez de nombreuses espèces : une série de recherches très récentes montrent que non seulement l’homme mais aussi d’autre primates, certains mammifères, des corvidés et même certains poissons disposent de compétences spatiales et numériques. Cela peut se comprendre : toutes les espèces animales ont besoin d’interagir avec un environnement structuré spatialement et numériquement. En 2009, deux équipes, celle de John O’Keefe à l’University College de Londres et celle de May-Britt et Edward Moser à l’université de Trondheim en Norvège ont montré que, dès la naissance, les bébés rats sont munis d’un système de navigation spatiale : celui-ci comprend des neurones sensibles à la position, qui disent où l’on est. Sans que l’on comprenne bien pourquoi, ce système anatomique qui se trouve dans l’hippocampe semble réutilisé chez l’homme pour la mémoire épisodique. » Là où S.D. indique ‘que l’on ne comprend pas bien pourquoi‘ il est possible qu’il y ait des choses pas banales qui se produisent chez l’homme. Jusqu’où, présentement, peut-on tenter d’aller voir ?[1] Voir, entre autres, article sur le blog du 27/08/2014 ainsi que l’article du 27/08/2012.
[2] Voir article du 26/10/2014
[1] Einstein a éprouvé la nécessité de rappeler que l’on ne doit pas introduire l’idée d’’action fantôme’.
[2] Par exemple voir sur le site de ‘Futura-Science’, le 03/09/2014 : « Photographier un objet avec une lumière… qui ne l’éclaire pas’
[3] Site ‘Techno-Science’.
[4] Présenté par Michael Slezak.
[5] Il en est ainsi, par exemple, de l’appareil de Stern et Gerlach qui servait à la mesure du moment cinétique d’objet macroscopique et moyennant des adaptations servit par la suite à la mesure du spin de particules élémentaires. Ce qui conduit à une confusion très importante car le terme ‘spin’ : tourner, est un vrai ‘faux ami’. Par exemple l’électron tournerait sur lui-même quel que soit l’axe de rotation que l’on choisirait !! C’est évidemment une représentationerronée. Il vaudrait mieux se dispenser de toute représentation, ce qui n’est pas simple car le mot spin est là et nous n’avons aucun terme de substitution.