L’étrangeté quantique, une illusion ?
Il n'y a pas d’illusion, il n’y a que ce que le sujet pensant est à même de concevoir. En insistant sur le terme illusion cela laisse entendre que nous savons qu’il y a quelque chose d’autre que ce que nous ‘voyons’, nous pensons, nous déduisons logiquement. Cela laisse entendre que nous ne sommes pas dupes et qu’il y aurait à coup sûr une réalité plus profonde.
Quelle est la nature de ce savoir ? Est-ce que nous ne serions pas plutôt toujours encombrés[1]par une métaphysique réaliste persistante qui a par exemple servi de fondement pour s’opposer à l’émergence de la mécanique quantique. L’étrangeté provient du fait que nous sommes des êtres classiques, déterministes, déterminés par notre rapport façonnant avec la Nature à l’échelle classique et notre intelligence naturelle ne peut évoluer que lentement au fur et à mesure que notre rapport avec la Nature s’enrichit, se densifie, s’approfondit. En bref, ‘penser quantique’ peut être une perspective, sur le long terme, pour le ‘sujet pensant’ que nous sommes. J’aurais pu dire pour ‘l’être pensant’ que nous sommes mais je prenais le risque d’esquiver l’idée essentielle du rapport déterminant avec la Nature et avec notre volonté façonnant de la maîtriser (déjà exprimé par Descartes : la soumettre.). Nous sommes plus dans une dynamique de confrontation à l’égard de la Nature qu’à son côté. (Rappelons-nous de l’hypothèse de l’apparition du langage chez l’homo ergaster concomitant avec le processus du taillage du silex.)
Pour l’essentiel, je fais référence à l’article publié dans ‘Pour la Science’ de Janvier 2014, qui vante les mérites des lumières du QBisme[2]à propos des soit disant étrangetés de la mécanique quantique. Heureusement et rapidement l’auteur rappelle quelque chose qui est essentiel : « L’idée selon laquelle la fonction d’onde ne serait pas une identité réelle remonte aux années 1930 et aux écrits de Niels Bohr, l’un des fondateurs de la mécanique quantique. Il considérait qu’elle faisait partie du formalisme « purement symbolique » de la théorie quantique : un outil de calcul, et rien de plus. Le QBisme est le premier modèle à donner un ancrage mathématique à l’affirmation de Bohr. Il fusionne la théorie quantique avec les statistiques bayésiennes, un domaine vieux de 200 ans qui considère la probabilité comme le reflet d’une croyance subjective. » En synthèse : « Le QBisme ne considère pas la fonction d’onde d’un système quantique comme une entité physique, mais comme un outil mathématique qui reflète les connaissances dont dispose l’observateur sur ce système. »
Je partage pour une large part ce qui est écrit dans cet article notamment : « mais une fonction d’onde n’est qu’une description de ce que pense l’observateur. » ou encore mais c’est au titre d’une affirmation banale : « Faisant la chronique des affres de la naissance du QBisme, l’ouvrage laisse entrevoir comment la physique théorique est créée par les êtres humains bien réels (sic). »
Tout ceci ne peut avoir un impact réel que si on se débarrasse une bonne fois pour toutes de toute présomption qu’il y aurait dans ce monde une réalité, finie, établie, indépendante de ce que nous sommes, et qu’il suffira de lever le voile ou les voiles successifs pour que l’os de cette réalité nous apparaisse définitivement. Grâce au niveau d’évolution qui est celui du genre humain, nous atteignons des fragments plus ou moins significatifs de vérités qui sont parfaitement crédibles et qui font sens au regard de nos capacités d’évaluation, en ce sens l’être humain est un être vivant exceptionnel mais toute extrapolation qui lui attribuerait l’exclusivité et le savoir universel ne peut plus, à mes yeux, être prétendue[3]. Il est plus juste de considérer que nous sommes ‘au sein d’une éternité parmi tous les possibles’ et que nous dévoilons progressivement un de ces possibles toujours en devenir.
J’ai déjà proposé une expérience qui permettrait de vérifier la validité de la thèse de N. Bohr et reprise par les QBistes. Je l’ai exprimé dans l’article du 27/08/2012 : ‘D’infinies précautions’, de la façon suivante :
Et si toute cette étrangeté n’était que le fruit d’une pensée fondamentalement archaïque de l’observateur qui conçoit une représentation ondulatoire par défaut.
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Lorsque l’observateur sait qu’il y a quelque chose dans l’interféromètre (qu’elle que soit cette chose : photons, électrons, neutrons, molécules de fullerènes, virus ?) mais reste parfaitement ignorant du chemin suivi par la chose[4] alors c’est l’aspect ondulatoire (étendue spatiale) qui s’impose à l’observateur. Je propose de considérer que cette part d’ignorance de l’observateur joue un rôle essentiel et donc dans le cadre d’un cheminement archaïque de notre fonctionnement cérébral se trouve comblée l’ignorance spatio-temporelle par l’’illusion’ d’une représentation ondulatoire. Attention parce que l’illusion va jusqu’à une mystification (ou une auto suggestion imposante) car les figures d’interférence sont visibles sur la plaque du détecteur. A ce titre on peut considérer qu’il est absurde et donc rédhibitoire de formuler une telle hypothèse. Pourtant, je propose de continuer à la retenir en laissant cet aspect provisoirement de côté.
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Si au contraire l’observateur recueille une information sur le passage par un chemin particulier dans l’interféromètre (information spatio-temporelle) alors c’est l’aspect objet ponctuel qui s’impose à l’observateur. L’investissement cérébral de l’observateur est sollicité d’une manière différente grâce à l’information spatio-temporelle.
Si je souhaite persévérer avec l’hypothèse 1), c’est parce qu’il est peut-être possible de la soumettre à l’expérience. En effet une pensée (représentation) archaïque devrait probablement avoir pour siège une partie archaïque du cerveau. Il existe maintenant grâce aux laboratoires de neurosciences cognitives et d’imagerie cérébrale la possibilité de mettre au point une expérience, avec un protocole certainement très sophistiqué, où on pourrait évaluer si l’ignorance partielle d’un observateur compétent mettrait en jeu une région du ‘cerveau pensant’ différente de celle d’un même observateur qui penserait l’ondulatoire à partir d’un apprentissage acquis (par exemple à partir de la connaissance des équations de Maxwell et de leur résolution.)
J’ai dû, pour formuler cette hypothèse, vaincre mes propres réticences dont l’héritage est évidemment bien connu. Je ne doute pas que les lecteurs de cet article vont éprouver la même réluctance. Sans vouloir provoquer qui que ce soit, j’ai la profonde conviction qu’il faudra dans un temps proche passer par ce stade expérimental.
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Pourquoi je ne peux pas être satisfait de quelques un des commentaires et des appréciations de Hans Christian von Baeyer ?
Je voudrais expliciter mon insatisfaction en isolant deux expressions de l’auteur : « Bayésianisme quantique : la fonction d’onde ne correspond qu’à l’état mental (sic) de l’observateur ; le chat lui-même est soit mort, soit vivant. » et « En considérant la fonction d’onde du chat comme une propriété subjective (sic) de l’observateur, et non comme une propriété objective de l’animal, le QBisme résoudrait le paradoxe du chat de Schrödinger. »
Avant tout, il est vrai que cet article valide l’intitulé de mon cours, proposé depuis 2007 : ‘Faire de la physique avec ou sans ‘Présence’ ? ’. Toutefois la présence que j’évoque est avec un P, alors que celle de l’article est à mon avis celle d’un p.
L’article contribue aussi à renforcer le sens de ceux que j’ai proposé dans le passé, notamment : ‘ l’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence les lois de la nature ?’ (le 21/12/2011) ; ‘Thomas Bayes dans le cerveau ?’ (le 2/11/2012) ; ‘Scientifiques façonnés dès la naissance’ (le 24/03/2013).
Vous comprenez que ce n’est pas un problème de purisme exacerbé que de vouloir exprimer une différence fondamentale entre le p majuscule et le p minuscule. En fait cela met en évidence des présences qui sont d’une nature différente. Dans l’article ‘Scientifiques façonnés dès la naissance ?’, j’ai écrit : « Nous serions donc en tant que sujet pensant profondément déterminés par cette voie illustrée par la formule de Bayes. » C’est-à-dire que j’évoque la ‘Présence’ constitutive du sujet pensant tel qu’il est dans la profondeur de sa nature anthropologique. C’est une ‘Présence’ qui est la racine de l’anthrôpos. Je me réfère donc à la Présence inexpugnable du sujet pensant malgré les velléités d’Einstein avec sa thèse du ‘réalisme’ de gommer toute idée : d’instant, de moment, présent.
L’état mental et la subjectivité de l’observateur, évoquent des qualités, des états qui sont variant dans le temps, variant aussi suivant les cultures, cela évoque une ‘présence’ du sujet pensant déjà établie.
Le patrimoine intellectuel est déterminant
Si on se réfère au principe de complémentarité, Bohr précise que l'apparaître ondulatoire ou l'apparaître corpusculaire sont complémentaires et ce sont les instruments d'observation qui font la différence. La fonction d'onde comprend l'ensemble des informations relatives à tous les 'apparaître' potentiels qui sont le fruit de notre patrimoine intellectuel en tant qu'observateur générique. (Non-dit par les QBistes, en cela ils négligent quelque chose d'essentiel.) Générique au sens que Kant l'a proposé. L'instrument de mesure détermine quel apparaître sera effectif. Il y a donc réduction. Si on prend l'exemple de la lumière on ne peut pas oublier que l'interprétation corpusculaire a fait partie de l'histoire des tentatives d'explication des phénomènes de la lumière (exemple célèbre et caractéristique : Newton) tout comme l'explication ondulatoire. Voilà ce que j'appelle le patrimoine qui s'est constitué au cours de l'histoire de notre développement cérébral et intellectuel au cours de notre confrontation avec ce que nous offre la Nature immédiate à l'échelle de nos facultés de perception naturelles et à l'échelle classique. Cela n'est pas un problème de Ph. D. comme le dit avec sarcasme J. Bell. Il est aujourd'hui possible d'aller voir expérimentalement si cette explication est pertinente.
[1] Parce que la rétention d’information de la part de la chose est parfaite. A. Zeilinger précise que si la chose émet une information et ce même s’il n’y a pas d’observateur pour la recueillir, eh bien : pas de figure d’interférence. (Est-ce de sa part une intuition ou une affirmation prouvée ?)
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[1] J’évoque l’idée d’encombrement parce que cela laisse croire que nous sommes pris dans une symétrie figée. D’un côté il y a un sujet pensant établi, statique, et de l’autre des lois de la Nature à mettre en lumière dans le but d’atteindre in fine l’os d’une réalité immuable. Cela laisse entendre qu’il n’y aurait aucune relation dynamique entre le sujet pensant et l’objet qui motive son enquête intellectuelle alors qu’il y a certainement une relation dialectique qui prévaut. Sur la durée, il faut comprendre, quand je découvre, que j’invente, des lois de la nature, en tant que sujet pensant, je m’invente tout autant. Les neuroscientifiques découvrent de mieux en mieux actuellement la plasticité cérébrale remarquable chez l’enfant à l’occasion des apprentissages, chez le sujet pensant elle est en plus dans la plasticité de la capacité de projection intellectuelle et donc d’émancipation vis-à-vis d’un consensus intellectuel précédemment et provisoirement établi. (Plasticité cérébrale et plasticité intellectuelle sont à mes yeux, d’un point de vue qualitatif nécessairement distincts et je l’expliciterai dans une prochaine occasion.)
[2] Sujet que nous avons étudié l’année passée dans le chapitre XXXII et qui fut l’objet d’un article sur le blog le 21/11/2012 : ‘Thomas Bayes dans le cerveau’
[3] Voir dernier article sur le blog : « La fin comme celle du Phénix. », note n° 5 : « Intelligences capables de fabriquer des outils différents de ceux que nous fabriquons en tant que homo sapiens sapiens et par exemple seraient à même d’intercepter un rayonnement par d’autres instruments qu’un interféromètre ou une plaque photoélectrique. » En conséquence, intelligences qui n’identifieraient pas obligatoirement le rayonnement par un aspect ondulatoire ou un aspect corpusculaire, ni caractériseraient le rayonnement avec les paramètres de longueur d’onde, de vitesse de propagation, etc…
[4] Parce que la rétention d’information de la part de la chose est parfaite. A. Zeilinger précise que si la chose émet une information et ce même s’il n’y a pas d’observateur pour la recueillir, eh bien : pas de figure d’interférence. (Est-ce de sa part une intuition ou une affirmation prouvée ?)