La physique n’est pas une science qui nous conduit à la connaissance de la réalité. Elle nous conduit à établir des vérités fondées.
Ces vérités fondées ne proviennent pas de nulle part, elles sont le fruit de l’analyse des propriétés observables de la nature et concomitamment de leur interprétation accompagnée d’une mise en forme dans le langage mathématique qui est considéré comme un langage universel. En tous les cas celui-ci favorise l’évaluation et l’approbation intersubjectives. Ces vérités sont retenues comme telles par une communauté de physiciens qui approuvent soit totalement, soit moyennement, soit d’une façon critique, ou soit réfute ce qui a été mis en évidence. Ces vérités fondées suscitent en permanence un bouillonnement intellectuel vivifiant pour toute la communauté, surtout en physique fondamental.
Certaines fois la situation peut être caricaturale. Le dernier oracle de S. Hawking en est un exemple mais ce n’est pas accidentel. En deux pages, sans justification par quelques équations, il annonce qu’il ne croit plus à l’hypothèse de l’horizon du trou noir au sens habituel que lui-même avait contribué à justifier, il y a quelques décennies, certes en tergiversant entre temps à propos de la perte irréversible de l’information, sur les objets engloutis dans le trou noir, ou pas. Il semblerait qu’il ait tourné casaque en évaluant les dispositifs extraordinaires voire abracadabrantesques qui ont été conçus pour justifier la conservation de l’information sur la matière après qu’elle soit engloutie par le trou noir.
Dans la durée, c’est-à-dire depuis au moins 40 ans, nous sommes témoins d’un bégaiement prolongé de la physique fondamentale. Celui-ci est illustré par l’impossibilité d’unifier les deux corpus majeurs de la physique théorique. La recherche de la théorie nouvelle qui émergerait de cette unification permettrait ainsi de réunifier le discours scientifique à propos des objets et des phénomènes qui font simultanément appel à ces deux corpus. Ainsi les physiciens retrouveraient le confort intellectuel de la croyance, qui pour une grande part les motive : atteindre la connaissance de la réalité du monde physique.
Il se trouve que la physique censée décrire les propriétés des trous noirs ne nous offre toujours pas la possibilité de trouver la voie conduisant à la formulation de nouveaux paradigmes libérateurs. Je considère que nous sommes condamnés au bégaiement tant que nous serons dans la conviction que la science physique est une science qui nous conduit à la connaissance de la réalité unique et définitive des choses.
Globalement on considère que le passage de la physique classique à la physique quantique s’apprécie au passage de grandeurs continues à des grandeurs discontinues. Or avec l’objet trou noir il se trouve que la discontinuité est subie par l’observateur extérieur au trou noir, dans le sens où son statut d’observateur des objets est progressivement gommé au fur et à mesure que ceux-ci se rapprochent de la ligne de l’horizon, il est (presque) privé de la lumière ou de signal qui lui permet de continuer d’être un observateur pur. Et si cet observateur pouvait vivre très, très, longtemps, il pourrait voir des choses bizarres qui seraient dues à des propriétés quantiques. Toutefois on peut considérer que ce même observateur a aussi un statut d’observateur cérébral qui peut prendre en partie la relève car grâce à sa connaissance de la relation d’équivalence entre mi = mg il lui est possible, potentiellement, de concevoir le destin de l’objet au-delà de l’horizon avant qu’il avoisine franchement la singularité spatio-temporelle car grâce à la relativité générale il peut concevoir et calculer la géodésique suivie par les objets, avant et après l’horizon, qui est assurément continue.
L’autre observateur, qui lui accompagnerait l’objet dans son mouvement de chute libre, ne constaterait aucune discontinuité au passage de l’horizon.
Dans cette affaire on constate que la place et le statut de l’observateur occupent un rôle essentiel dans l’explication rationnelle qui peut être mis en valeur pour rendre compte de la phénoménologie relative à un trou noir.
C’est encore plus riche en surprise car selon la loi de la Relativité Générale, l’observateur extérieur ne verra jamais, en fait, l’objet franchir l’horizon et l’explication qui s’impose pour rendre compte de la phénoménologie relative à la fréquentation du voisinage de l’horizon sans son franchissement observable fait appel aux lois de la mécanique quantique qui propose la thermalisation de l’objet. Actuellement ces deux discours rationnels se valent et sont également vraisemblables pour un même objet. Ces deux discours s’appuient sur des vérités scientifiques tout autant fondées l’une comme l’autre, ce qui fait la différence c’est le point de vue des observateurs.
Il est remarquable de penser que la loi de Relativité Générale fut motivée par son auteur avec la conviction que le point de vue de l’observateur doit être évincé pour atteindre la réalité du monde physique et que mettre en évidence les propriétés d’invariances, dans le cadre de ces lois, à l’égard de tous les points de vue était un critère de validation des lois qui touchent au monde réel. Voilà que l’objet Trou Noir, qui est un objet caractéristique des théories d’Einstein, et par un effet boomerang remarquable, impose qu’on réhabilite le ou les observateurs pour dire des choses sensées à leur sujet.
Léonard Susskind rappelle dans son livre : ‘Black holes, information and the string theory revolution’, p.175 : « Bien que la mécanique quantique ait rendu l’événement probabiliste et que la relativité rende la simultanéité non absolue, il était malgré tout assumé que tous les observateurs agréeraient sur les relations invariantes entre les évènements. Cette conception persiste toujours avec la R.G. classique. Mais le paradigme progressivement se déplace. Il n’a jamais été adéquat pour combiner la mécanique quantique et la relativité générale. »
L. Susskind a raison d’indiquer à partir de ces deux constats qu’il y a matière à forger des paradigmes, et je retiendrai celui qui s’est imposé sur la base de la conviction ‘Réaliste’ d’Einstein : « La simultanéité n’est pas absolue’ ou encore avec l’affirmation équivalente : «Ce qui du point de vue physique est réel… est constitué de coïncidences spatio-temporelles. Et rien d’autre[1]. ». Cette croyance d’Einstein a pour conséquence l’expulsion affirmée et irrémédiable de la ‘Présence’ du sujet. Conviction cohérente avec son préalable philosophique qui est que les bonnes lois de la physique sont celles qui ne sont pas assujetties à des points de vue multiples d’observateurs, en fait à aucun.
Depuis de nombreuses années je prétends que se situe exactement à cet endroit la source de toutes les difficultés de la physique théorique d’aujourd’hui. En introduisant l’hypothèse du TpS (Temps propre du Sujet), (voir plusieurs articles du blog), on élimine toute idée que le sujet pensant puisse accéder à l’observation de la simultanéité et en conséquence on établit la réalité du ‘sujet pensant générique’ dans la conception fondamentale du corpus de la physique théorique. On ne peut expulser sa ‘Présence’. Ainsi le paradigme d’Einstein, qui fait obstruction au développement de la physique théorique aujourd’hui, est effacé.
Cette thèse que je défends a, évidemment, une conséquence qui est annoncée dans le titre de l’article : La physique n’est pas une science qui nous conduit à la connaissance de la réalité. Elle nous conduit à établir des vérités fondées. Il faudrait donc renoncer à la certitude que nous puissions atteindre la connaissance du monde réel et accepter l’idée que le physicien conçoit des vérités fondées. Il est certain que sur le plan ontologique, qualitatif, le renoncement est redoutable. Mais c’est le prix d’une liberté, d’une respiration intellectuelle qui est nécessaire et sera bénéfique. Ce renversement fondamental sera une source de nouvelles avancées des propriétés de la Nature que nous sommes à même de distinguer. Effectivement cela implique que le sujet pensant générique soit partie intégrante du monde que progressivement nous dévoilons. Dans ce cas nous ne pouvons pas prétendre que la physique serait une science absolument objective au sens strict du terme.
Les résultats récemment publiés à propos des premiers instants de notre univers doivent être considérés comme un magnifique exemple du processus de création d’une vérité fondée. Surtout ne donnons pas à ces résultats le statut d’une preuve d’un réel début unique de l’univers. Notre univers, c’est-à-dire celui que nous pouvons intellectuellement investir, n’est que celui provisoire, correspondant à l’état de nos capacités actuelles de décryptage au sein d’une éternité, parmi tous les possibles… J’annonce ainsi le thème du prochain article.