Notre matière n’est pas toute la matière.
La fondation de la physique moderne est absolument concomitante avec la définition de la position et du rôle supposés du savant à l’égard de son sujet d’étude. C’est ce qui est affirmée par Galilée en termes explicites : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui est constamment ouvert sous nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, cercles et autres figures de géométrie, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. »
Ainsi selon Galilée l’univers est pré actualisé sous une forme mathématique. Avec cet acte de foi naît effectivement la science moderne. Celle-ci se distingue avant tout par le caractère mathématique universel de ses théories. Elle correspond au remplissage d’un cadre prédéterminé, où chaque phénomène doit être rapporté à une construction mathématique. Ainsi le physicien n’invente pas son monde, son rôle est beaucoup plus modeste et il doit se contenter de découvrir ce qui est. Se trouvent affirmer là, les racines de la physique moderne, et l’idéal d’omniscience qui entretient le physicien dans la croyance que sa connaissance peut rivaliser celle de Dieu le Créateur.
A ma connaissance, la première brèche à cet idéal du savoir conquis par le physicien fut ouverte par L. Boltzmann quand il exprima l’idée qu’il puisse y avoir une corrélation entre nos facultés cérébrales et le monde physique que nous serions à même de décrypter. Il est possible que cette hypothèse osée, ait accentué, à son époque, le processus de marginalisation de Boltzmann vis-à-vis de la communauté scientifique des physiciens.
Deux décennies après, avec l’émergence de la mécanique quantique, l’édifice des certitudes des physiciens classiques et réalistes se fissurent sérieusement. Tant que le problème de la superposition des états ne sera pas élucidé, aucun socle d’assurances ne pourra être reconstitué. A mon sens, cette élucidation impliquera que le ‘sujet pensant’ avec ses déterminations soit inclus dans la conception du monde tel qu’il nous apparaît. Ma proposition exclue évidemment toute velléité d’une quelconque emprise d’une conception physicaliste.
Avec l’avènement de la mécanique quantique, nous pensons les propriétés de la nature à des échelles spatiales et temporelles qui sont celles par lesquelles l’être humain : aussi être de la nature, atteint les dimensions de sa propre organisation intimeau point qu’il n’est plus possible de penser que le sujet pensant est dans une posture, d’extériorité, de contemplation, telle qu’elle est proposée par la métaphysique Galiléenne.
Ce sont ces considérations qui m’ont amené à formuler, depuis déjà de nombreuses années, l’hypothèse du temps propre du sujet (TpS= de l’ordre de 10-25s). Je ne reviens par sur les raisons multiples qui m’ont conduit à mettre en avant cette hypothèse, celles-ci étant exposées, pas à pas, dans l‘ensemble de mes articles. Le paradigme de la ‘Présence’ est donc un paradigme essentiel pour dépasser les apories actuelles de la physique fondamentale qui perdurent. C’est la raison pour laquelle, j’ai salué le ‘Moment Présent’, proposé tout récemment par Lee Smolin. Je profite de l’occasion pour proposer ma réponse à Anil Ananthaswamy auteur de la question suivante dans un article du NewScientist (le 17/06/2013) : ‘Espace, versus, Temps : l’un des deux est superflu – mais lequel ?’ Sans la moindre hésitation ma réponse est l’espace. En effet l’espace est secondaire, il est précédé par le Temps. TpS est un existential, il correspond au tempo de l’horloge primordial.
En 2010, un livre d’Albert Goldbettter, remarquable à mon sens, ‘La vie oscillatoire, au cœur des rythmes du vivant’ (Edit : O. Jacob) a été publié et à mon grand étonnement n’a pas eu beaucoup d’écho. Pourtant on peut lire des choses très intéressantes, p.241 : « l’un des plus beaux exemples de rythme cellulaire récemment découvert est celui de l’horloge de segmentation qui contrôle l’expression périodique des gènes impliqués dans la somitogenèse, c’est-à-dire la formation des somites, précurseur des vertèbres. Ce processus représente un exemple d’émergence d’une structure périodique au cours de l’embryogenèse. La structure spatiale du corps chez les vertébrés est ainsi liée de manière étroite à l’existence d’une structuration temporelle ; elle marque en quelque sorte la trace spatiale de cette structuration dans le temps (sic). »
Ou encore, p.245 « L’horloge de segmentation fournit un très bel exemple d’oscillation temporelle associée à une structuration périodique dans l’espace. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il se rapporte à un processus clé de la morphogenèse chez les vertébrés. Celui-ci a des implications cliniques : ainsi, des troubles de l’horloge de segmentation sont associés à diverses malformations de la colonne vertébrale. »
Enfin à méditer, p.264 « La fauvette de jardin peut connaître dans des conditions particulières, artificielles, « une agitation du voyage » qui révèle l’action d’une horloge circannuelle de nature endogène (sic). »
Bien évidemment c’est à un niveau bien plus profond que celui étudié par Goldbetter que se joue l’émergence d’un existential comme je le préconise, toutefois le constat d’une horloge endogène chez un être vivant telle la fauvette est remarquable.
Le plus brillant résultat de la Relativité Générale est représenté par ce triptyque : Matière-Espace-Temps. Ces 2 traits d’union sont remarquables. Ils sont le condensé d’une vraie révolution conceptuelle.
Considérant ce triptyque, dès que je considère que l’être humain est fondateur de l’espace et du temps, je dois déduire que la matière du triptyque est dépendante de cette fondation. C’est pourquoi j’intitule cet article : ‘Notre matière n’est pas toute la matière.’
Nous sommes confrontés depuis plusieurs décennies à une hypothèse que nous n’arrivons pas à élucider, celle de la matière noire qui en des proportions importantes (un peu plus de cinq fois) constituerait l’essentiel de la masse dynamique dans notre univers. A cette matière noire nous lui prêtons une propriété d’interaction gravitationnelle sans vraiment l’évaluer avec certitude. Nous lui prêtons des effets car actuellement nous ne sommes pas capables d’expliquer les plateaux de vitesse des étoiles dans les galaxies, la dynamique des différentes structures identifiées dans l’univers, pas plus que l’ampleur des effets lentilles gravitationnelles. Ces connaissances sont obtenues par des lectures indirectes. Toutes les tentatives de ‘voir’ directement cette matière ‘noire’ ont échoué. D’ailleurs les scientifiques anglo-saxons ne parlent plus de matière dite noire mais de ‘stuff’ : étoffe, cette variation sémantique rend compte d’une évolution conceptuelle qui est donc très récemment amorcée.
Au moins nous avons des certitudes pour ce qui constitue 4.8% de notre univers : la matière qui pour nous est visible et donc intelligible est aussi celle qui nous constitue. Est-ce qu’elle représente toute la matière du triptyque ? Pour moi la réponse est oui. Bien que la matière noire soit encore incluse dans l’expression matière dynamique, le mot dynamique ne doit pas faire illusion quant à notre éventuel savoir de la partition des propriétés qui se jouent dans cette dynamique.
La matière noire serait donc en dehors du triptyque de la relativité générale. Elle serait aussi en dehors de la relation d’équivalence E = mc2. Nous ne pouvons donc pas la détecter par les moyens habituels. Quels sont alors les moyens qu’il faut mettre en œuvre par la détecter ? Disons qu’immédiatement nous n’avons pas la possibilité d’identifier des nouveaux moyens parce qu’il faut comprendre ce qu’est cette matière par rapport à ce que nous sommes et ce que savons déjà.
Notre matière visible est contrainte par la relation d’équivalence E = mc2, c : étant justement la vitesse de déplacement de la lumière qui est émise par m. Nous avons maintenant acquis une connaissance approfondie de l’imbrication de cette matière et de cette lumièreau point que nous devons considérer que la relation d’équivalence serait le reflet flagrant de cette corrélation si intime entre l’une et l’autre : « … les deux faces d’une même réalité… »
Ceci étant, il est temps de considérer qu’il est probablement erroné de considérer qu’il ne peut y avoir de matière ou quelque chose d’équivalent (d’où le mot stuff) que dans le cadre de la contrainte citée. Tout ce que nous savons de notre univers est effectivement éclairé par la relation d’équivalence et c. Soit nous arrivons à étendre notre connaissance de l’univers au-delà de la relation d’équivalence soit nous accédons à un nouveau champ de connaissances qui met en évidence d’autre(s) univers qui s’enchevêtrerai(en)t avec le nôtre. Hypothèse redoutable mais pertinente et optimiste car elle dit aussi que le sujet pensant est certes déterminé mais il n’est pas pour autant borné par ce qui le détermine. La dynamique de l’existence du sujet pensant est intimement liée à la dynamique de son développement cognitif. Sa faculté de projection par la pensée connaît évidemment l’inertie conservatrice mais le propre de l’être humain est de transformer sans cesse le rapport entre, l’être de la nature qu’il est, et, l’être dans la nature, posture qui le conduit à s’en émanciper.
Nous disposons probablement d’un banc d’essai prometteur qui nous permet de tester si l’hypothèse d’échapper à une lecture exclusive des propriétés de la nature par l’intermédiaire de E = mc2 est valable. Les neutrinos sont des objets qui peuvent servir de révélateurs. En effet ceux-ci, dans le cadre de la physique quantique et des particules élémentaires actuellement la plus avancée, sont toujours insaisissables, on a beau accumuler les hypothèses à l’égard des propriétés physiques observables et accumuler des moyens de détection fabuleux depuis 80 années, ils nous répondent toujours : « Nous ne sommes pas ce que vous pensez !! »
Or on pourrait considérer que ces neutrinos qu’ils soient d’une saveur : électronique, muonique, tauique, sont en partie des électrons, des muons, des taus, qui ont perdu leur charge électrique, donc perdu la source de la lumière qui nous est si familière. Le versant ‘matière pure’ qui les caractérise est peut-être plus proche de ce que l’on appelle la matière noire que de la matière ordinaire. Ceci explique peut-être pourquoi nous ne connaissons toujours pas la masse de ces neutrinos. Comme l’a dit F. Reines : « Le neutrino est la quantité de réel la plus ténue jamais imaginée par un être humain. » Ma proposition consiste à considérer que les neutrinos sont l’antichambre du savoir que l’on pourrait développer à propos de la matière noire, à la condition de prendre comme hypothèse qu’ils ne sont pas caractérisables par les propriétés de la matière ordinaire.
Voir mon article du 21/12/2011 : ‘l’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence une Loi de la Nature’
Je ne suis pas prêt à utiliser l’expression : ‘fonctionnement intime’ car cela laisserait supposer que cela soit possible d’accéder à la connaissance de ce fonctionnement. Je l’exclue totalement. Par contre il devient de plus en plus indubitable qu’une organisation sous-tend en partie ce qui constitue la singularité de l’être humain au sein de tous les êtres vivants.
Lisons la conclusion d’une des conférences de S. Haroche : « Atomes et lumière sont les acteurs principaux du monde tel que nous le percevons depuis l’origine du temps. En étudiant l’interaction des atomes avec la lumière, nous avons découvert qu’ondes et particules ne sont que les deux faces d’une même réalité et que la lumière qui nous renseigne sur la matière peut également servir à la manipuler de façon étonnante… »