Prosper Taurin, Edwin Hubble, Arno Penzias, Robert Wilson et les autres découvreurs.
Dans l’article du 07/05 : ‘Assistons-nous à une redéfinition de la science’, j’ai affirmé ce qui suit : « Sans ‘Présence’, il n’y a rien…qui soit discernable. Selon ma thèse, le ‘Rien’ et ‘Tous les possibles’ sont des concepts qui se rejoignent. Il en est de même du ‘Rien’ et de l’’Eternité’. C’est donc la ‘Présence’ de l’être pensant qui provoque la fracture et qui par la nécessité de son discernement fait émerger dans l’urgence le possible le plus immédiat, émergence qui est toujours en renouvellement, en enrichissement, et ne peut avoir de fin. »
Je propose à travers quelques exemples d’illustrer mon propos qui a priori peut apparaître franchement et exagérément iconoclaste.
C’est le 21 mars 1830 que le laboureur Prosper Taurin, nouveau propriétaire d’un lopin de terre en Normandie non loin de Bernay, heurte le soc de sa charrue sur un obstacle dans le prolongement du sillon droit qu’il ouvrait. Il aurait pu le contourner mais il aurait perdu la rectitude rigoureuse du sillon, alors que depuis l’aurore il avait jusqu’alors retourné avec application des bourrelets de terre bien grasse sur lesquels se réfléchissaient les rayons du soleil levant. Le laboureur se pencha et essaya de saisir l’obstacle coincé sous le soc. Ouf ! Ce n’est qu’une tuile. Il la soulève et la jette au loin, mais avant de relancer son attelage, il jette un œil, il voit des éclats de lumière qui s’échappent du creux de la terre. Le laboureur Normand comprend vite à la couleur des reflets qu’il y a là des pièces d’or. Il creuse et agrandit le trou avec sa pioche et il met au jour une grande quantité d’objets précieux, au moins à ce qu’il lui semble. Dans la frénésie de sa découverte, avec ses mains ou avec sa pioche, il met en évidence des grandes dalles, des parois travaillées et des structures d’une construction importante. Il reste concentré sur ce qui libère des éclats.
Le laboureur avait envie de tirer un gain immédiat de sa fabuleuse découverte mais il se ravisa, il eut l’intelligence de faire connaître quelques un de ces objets à une personne de sa connaissance qui était érudite. Le diagnostic de celui-ci a été immédiat : cela vaut plus que de l’or, ce sont des objets romains, des statues, un buste de Minerve, des cuillers à encens, des canthares, des patères, datant à coup sûr d’avant le IIIe siècle.
Par la suite, essentiellement, de 1850 à 1900, les scientifiques archéologues s’emparèrent du site et c’est un temple de deux mille mètres carrés consacré à Mercure qui fut révélé et ce sont des pans entiers de l’histoire profonde de la Normandie qui furent éclairés et déferleront à partir de ce heurt du soc de la charrue et du soulèvement de cette tuile. Avant, pendant plus d’un millénaire, tous les laboureurs qui précédèrent Prosper Taurin considérèrent que sous cette tuile-couvercle, qu’ils ignorèrent, il n’y avait ‘Rien’ à voir, ‘Rien’ à en dire.
Prosper Taurin mourut très riche.
En 1964, les radio-astronomes Penzias et Wilson, travaillent à mettre au point une antenne très performante, pour ce faire, ils ont besoin d'étalonner correctement leur antenne, et en particulier de connaître le bruit de fondgénéré par celle-ci ainsi que par l'atmosphère terrestre. Quand ils analysent leurs données, ils trouvent un faible, mais persistant bruit de fond mystérieux qui parasite leur récepteur. Ce bruit résiduel semble parfaitement réparti dans tout le ciel et produit son effet jour et nuit. Ce signal d’une longueur d’onde caractéristique ne vient pas de la terre, du soleil, ni de notre galaxie. Après avoir analysé la qualité des composants de leur antenne, ils détruisent les nids de pigeons qui avaient été bâtis, nettoient les déjections des volatiles, mais le bruit de fond persiste. Tous deux concluent que ce bruit est un bruit supplémentaire d'origine inconnue sur la longueur d'onde 7,35 cm. Ce bruit, parfaitement isotrope, converti en température d'antenne, correspond à une température du ciel de 2,7 K, ne présente pas de variations saisonnières, et ses éventuelles fluctuations en fonction de la direction ne dépassent pas 10 %.
Penzias et Wilson ne connaissaient pas les travaux des cosmologistes de leur époque, et c'est presque par hasard qu'ils les découvrent. Penzias mentionne fortuitement sa découverte au radio-astronome Bernie Burke, qui lui dit savoir de Ken Turner que James Peeblesa prédit l'existence d'un rayonnement de quelques kelvins, et qu'une équipe composée de Dicke, Roll et Wilkinsonde l'université de Princeton est en train de construire une antenne pour le détecter. Penzias prend alors contact avec Dicke pour lui faire part de ses résultats. Ils décident alors de publier conjointement deux articles, l'un signé de Penzias et Wilson décrivant la découverte du fond diffus cosmologique, l'autre signé par Peebles et l'équipe de Dicke en décrivant les conséquences cosmologiques. L'histoire raconte que lorsque Dicke apprit la découverte de Penzias, il dit à ses collaborateurs une phrase restée célèbre : « Well boys, we have been scooped » (« Les gars, nous nous sommes faits devancer »). On ne sait pas bien si ces derniers auraient pu effectivement détecter ce rayonnement avec les moyens dont ils disposaient mais cela semble probable.
Penzias et Wilson recevront chacun 1/4 du prix Nobelde physique 1978 pour leur découverte
Nous reconnaissons tous, aujourd’hui, que la détection fortuite de cette première image du cosmos, a encore des conséquences extraordinaires permettant de progresser vers une plus grande intelligibilité de Notre univers.
Avant les observations de Edwin Hubble, avant 1920, au-delà de notre galaxie il n’y avait ‘Rien’. Le tout de l’Univers était constitué de la Voie Lactée. Grâce au nouveau télescope Hooker de 250 cm, le plus puissant télescope à l'époque, Hubble se rend compte que les « nébuleuses » observées précédemment avec des télescopes moins puissants ne font pas partie de notre Galaxie, mais constituent d'autres galaxieséloignées. Il annonce sa découverte le 30 décembre 1924. Au-delà de Notre galaxie, la première nébuleuse identifiée comme une galaxie n'est pas M31 (la Galaxie d'Andromède), mais la petite galaxie NGC 6822située dans la constellation du Sagittaire (1925). Suivront ensuite M33 (la Galaxie du Triangle) en 1926 et M31 en 1929. Ainsi ce ‘Rien’ se trouve être occupé par d’autres galaxies et nous savons donc combien, en à peine un siècle d’observations et de cogitations, Notre univers s’est enrichi et diversifié. On n’oubliera pas que quelques-uns de ses collègues les plus renommés se moquèrent de ses découvertes, alors qu’effectivement la compréhension dite scientifique de Notre univers changea fondamentalement grâce à la perspicacité de E. Hubble et l’exploitation appropriée des signaux fournis par son nouveau télescope.
A partir de ces exemples je veux expliciter comment au sein du ‘rien’ ou du ‘Rien’ supposé, affirmé, vibrionne de la multitude, comment du possible peut déferler et devenir pour nous explicite, dès que la curiosité humaine se penche et s’interroge sur le pan d’un ‘rien’ proclamé par routine voire par paresse.
Maintenant on accepte l’idée qu’il n’est plus possible de penser le scénario suivant : « A partir de ‘Rien’, dans un formidable big-bang a surgi l’Univers », pas plus que : « Au-delà de l’Univers (qui se confondait avec le nôtre) il n’y a ‘Rien’. »
On remarquera que P. Taurin eut le pressentiment que ce qu’il avait mis au jour en soulevant la tuile dépassait son entendement et il demanda de l’aide pour que l’on décrypte ce qu’il venait de découvrir. Il en fut gratifié.
Penzias et Wilson firent de même, ils partagèrent, avec une cascade de spécialistes en dehors leur propre domaine, leur étonnement à l’égard de ce qu’ils venaient de mettre en relief avec leur antenne. Leur découverte fut ainsi valorisée.
Quant à Hubble, qui se tourna vers ses pairs pour leur annoncer une véritable extension de l’univers, il connaitra en retour des sarcasmes. Ceux-ci réagirent comme s’il n’était pas question qu’un nouveau venu vienne perturber leur croyance au sein de leur pré carré.