Stanislas Dehaene : suite.
On peut considérer que la publication du livre de S. Dehaene est pour nous un bel événement. En conséquence j’en profite pour prolonger l’exploitation de la matière de ce livre en rapport avec l’ensemble des sujets qui nous préoccupent depuis plusieurs années.
p. 133, paragraphe : Statistiques inconscientes, échantillonnage conscient
Selon S. Dehaene, globalement comment ça fonctionne ? :
« Ma vision de la conscience suggère une répartition naturelle du travail. Dans les profondeurs de l’inconscient, une armée de travailleurs souterrains effectue un énorme travail de fond : tous traitent des monceaux de données. Pendant ce temps, au sommet, un petit groupe distingué d’administrateurs de haut niveau, sur la base d’un condensé de la situation, réfléchit aux décisions conscientes avec toute la pondération nécessaire. »
En conséquence : « Notre conscience, par contre, ne nous donne qu’un aperçu très réduit de cet univers probabiliste – ce que les statisticiens appellent un « échantillon » de la distribution des possibles (sic). La conscience n’hésite pas à simplifier les choses : elle résume le monde à sa plus simple expression, un aperçu suffisamment condensé pour être utilisable par nos systèmes de prise de décision. »
P.136 : « Une armée de processeurs inconscients évalue toutes les possibilités, mais notre conscience n’en reçoit que la synthèse. »
P.138 : « Ce que nous voyons à un instant donné est donc, le plus souvent, l’interprétation la plus probable, mais d’autres possibilités font irruption dans notre conscience, avec une durée proportionnelle à leur vraisemblance. L’inconscient calcule toutes les probabilités, tandis que la conscience les échantillonne au hasard. »
Ce que nous signifie S. Dehaene c’est comment le sujet pensant fonde ses vérités qui sont le fruit de l’interprétation la plus probable. En conséquence, il vaut la peine de s’interroger sur la problématique de la vraisemblance. Il est implicitement indiqué que les autres possibilités ont des vraisemblances relatives. Comment s’établit cette hiérarchie ? Est-ce que ce sont des vraisemblances qui sont établies par notre entendement pur inhérent au sujet pensant ? A priori la réponse ne peut être que négative. Par contre la vraisemblance a toutes les chances de s’établir sur des acquis empiriques en fonction de l’expérience, de l’éducation, de la culture, des préoccupations du ‘sujet pensant’. Ce qui serait intéressant de comprendre, c’est comment la référence au vraisemblable peut évoluer. C’est-à-dire que, ce qui n’était pas vraisemblable, ou peu, pour la conscience, avant, le devient un peu plus, voire plus, après coup[1].
Je veux illustrer mon propos avec l’exemple suivant qui me touche directement. J’ai créé mon blog il y a maintenant 3 ans avec l’idée principale que E = mc2, n’est pas la panacée et que la constante C : ‘vitesse’ de la lumière n’est universelle que dans la contrée de notre capacité de penser actuelle. Depuis, j’ai toujours eu comme retour que ces hypothèses étaient invraisemblables, gratuites, sauf que depuis quelques mois ces hypothèses deviennent formulables. Pas plus tard que ce matin (le 10/10/2014), je peux lire dans l’annonce d’un colloque (qui aura lieu 3 jours plus tard) : « Existe-t-il des interactions se propageant plus vite que la lumière ? » Qui est-ce qui fait qu’au sein de la communauté des physiciens cela devienne maintenant, pour quelques un, moins invraisemblable de penser : plus vite que C ? Toujours est-il que selon moi, ce n’est pas ainsi qu’il faut aborder ce sujet. Comme je l’ai proposé dans l’article : « Un authentique Big-Bang ; Fracturer le masque parfait de la Relativité Restreinte. », du 27/08/2014, il faut questionner les conditions de possibilités de l’anthrôpos de transcender les déterminations qui sont actuellement les nôtres à propos de l’exploitation de l’espace et du temps car comme je l’indiquai, p.1 : «Il en est de même pour les autres grandeurs qui vont suivre dans l’article. Ce qu’il faut retenir c’est que toutes les grandeurs qui sont appropriées par l’intelligence primordiale et dont la référence première est offerte par la Nature, ne le sont que par un processus de réduction vis-à-vis de toutes les possibilités (sic) qui sont offertes par cette Nature. » Merci S. Dehaene d’apporter de l’eau à mon moulin.
Dans ‘Le code de la conscience’, il y a un sujet, dans le chapitre 4, aussi très intéressant qui est traité : ‘Chronométrer l’accès à la conscience’, et : ‘La conscience en retard sur le monde’. Selon les personnes, il faut entre 1/3 et 1/2 seconde pour prendre conscience d’un évènement. P.177 : « Une conséquence importante de ces découvertes est que notre conscience est en retard sur les événements. Non seulement nous ne percevons qu’une toute petite fraction des signaux qui bombardent nos sens, mais quand nous y parvenons, c’est avec un délai important. A ce titre, notre cerveau ressemble à un astronome qui recueille la lumière des étoiles : parce que la vitesse de la lumière n’est pas infinie, la nouvelle de l’explosion d’une supernova ne lui parvient que des millions d’années après qu’elle a eu lieu. De même, parce que notre cerveau accumule les données avec lenteur, ce que nous jugeons comme le « temps présent » de la conscience reste à la traîne de la réalité physique. La prétendue « vitesse de la pensée » n’a rien d’extraordinaire : notre cerveau est tellement plus lent qu’un ordinateur qu’il lui faut au moins un tiers de seconde pour réagir consciemment. Bien souvent, cette durée s’allonge lorsque l’entrée sensorielle est si faible que le cerveau doit accumuler de nombreuses données avant de franchir le seuil de la prise de conscience (cette situation est semblable à celle de l’astronome qui prolonge l’exposition pendant plusieurs minutes afin de photographier la lumière des étoiles les plus faibles)… « Nous sommes tous aveugles aux limites de notre attention et nous n’avons aucune conscience que notre perception subjective est en retard sur le monde extérieur… »
Depuis de nombreuse années, j’ai formulé et développé l’hypothèse de τs (Temps propre du Sujet : TpS) apprécié avec un ordre de grandeur de 10-25seconde et je le qualifie de point aveugle de l’intelligence humaine. Est-ce que j’ai le droit d’envisager une convergence entre le point aveugle de la conscience et le point aveugle de l’intelligence ? Evidemment cela ne se peut directement, la conscience et l’intelligence sont deux instances très distinctes. A priori aucun pont de correspondance ne peut être établi entre ces deux moments aveugles du sujet pensant. Ce sont deux déterminations qui n’ont pas les mêmes conséquences. La période aveugle de la conscience n’est certainement pas un obstacle pour l’être pensant dans sa quête de connaissance et de compréhension du monde, ses conséquences sont effaçables (S. Dehaene, cite des exemples p. 178 – 180). La période aveugle de la conscience s’impose pour des raisons fonctionnelles. Le fonctionnement de notre cerveau, tel que nous le connaissons aujourd’hui met en relief ce que sont ses contraintes. Je fais l’hypothèse du point aveugle de l’intelligence humaine, TpS, pour des raisons existentielles. C’est un intervalle de temps inexpugnable (il pourrait rendre compte : du pourquoi de l’intrication), ses conséquences ne sont pas effaçables, donc il n’est pas possible de penser qu’il puisse y avoir un rapport d’homothétie entre ces deux moments aveugles. Toutefois pas de potentialité de conscience = pas d’intelligence, dans cette situation c’est l’instinctuel qui constitue la référence.
A l’origine de l’hypothèse TpS, je fais référence à une durée (insécable) de retrait, une durée de renouvellement, de réinitialisation (de son unité dans le monde), de l’être pensant. C’est pour cette même raison que S. D. a identifié une durée aveugle de la conscience, cela correspond à la nécessité d’une réinitialisation de l’activité de la conscience occupée par la situation précédente. Il y a là, une contrainte commune identifiée que j’ai expliquée pour une part, à propos de TpS, comme une condition de la mobilité de la pensée et partant du langage et d’autre part le moment aveugle de la conscience mis en évidence par S. Dehaene s’explique comme une nécessité de recouvrer une disponibilité de la conscience.
A des niveaux très distincts, ces deux atavismes ont une fonction de réinitialisation, de régénérescence, de l’être pensant dans un cas et du cerveau de l’être pensant dans l’autre cas. Je m’appesantis sur cette similitude, parce qu’il me semble que ce sera très difficile voire impossible d’accéder à l’identification directe de τs par contre il sera peut être possible, sans chercher à établir un rapport d’homothétie, de valider l’hypothèse de τs, comme une hypothèse légitime voire souhaitable, sur la base de résultats relais, de concepts relais, identifiables, permettant ainsi de concevoir une représentation cohérente des modalités et des capacités d’investissement du ‘sujet pensant’ dans la dynamique de sa quête irrépressible de la connaissance du monde.
Si le point aveugle de la conscience est à coup sûr une détermination du sujet pensant, il ne semble pas qu’il soit un obstacle rédhibitoire dans sa quête de la connaissance du monde, par contre à l’évidence TpS est un déterminant aux conséquences rédhibitoires. A nouveau, je propose d’exploiter un résultat expérimental décrit dans le ‘Code de la Conscience’, p.136, « Si vous regardez un bâton par le trou d’une serrure, vous ne parvenez pas à déterminer comment il bouge, car une infinité de mouvements réels sont compatibles avec le mouvement observé. Chaque neurone de l’aire MT/V5 est soumis à cette ambiguïté fondamentale – et pourtant nous n’en avons pas conscience. Même dans les pires circonstances, nous ne percevons qu’un mouvement particulier, mais jamais un ensemble de probabilités. Notre cerveau prend une décision et nous donne à voir l’interprétation qu’il juge la plus probable. En l’occurrence, c’est celle qui minimise le déplacement : nous voyons le bâton se mouvoir dans une direction perpendiculaire à lui-même. Une armée de processeurs inconscients évalue toutes les possibilités, mais notre conscience n’en conçoit que la synthèse. »
Réfléchissons car ce résultat n’est pas banal. Premièrement et comme par ‘hasard’ le cerveau qui prend la décision sur l’interprétation de cette expérience opte pour le déplacement minimum. Ceci est vraiment en phase avec le principe de moindre action tel qu’il fut énoncé par Pierre Louis Moreau de Maupertuis, en 1744. S. Dehaene dit : « Notre cerveau » ; je reprends : « Le cerveau », parce qu’il me semble important de distinguer les cerveaux imprégnés intellectuellement de ce principe de moindre action de ceux qui ne le sont pas du tout. Si le résultat est le même dans ces deux cas de figure, alors S. D. a raison, on peut dire « Notre cerveau » et dans ce cas nous avons à faire à une détermination du sujet pensant dont il faut comprendre son origine, sinon il faut faire la distinction expérimentale, comprenant des observateurs ayant, d’un côté, et n’ayant pas, d’un autre côté, la connaissance du principe de Maupertuis.
Revenons sur les conditions de l’expérience ci-dessus : on regarde par le trou d’une serrure, c’est-à-dire qu’on regarde dans les limites d’une distance spatiale imposée et en conséquence on ne peut pas décrire le mouvement réel du bâton, mais simplement donner une description de ce mouvement tel qu’il nous apparaît. Nous n’avons pas accès à la réalité du mouvement mais un collectif d’observateurs homogène sur le plan intellectuel peut concevoir et partager une vérité fondée sur l’apparaître du mouvement et le penser avec force comme étant le mouvement réel.
Maintenant, je propose de reprendre l’idée de cette expérience mais les limites de l’observation sont celles d’une distance temporelle et c’est τs. Eh bien, les conséquences sont les mêmes. Il n’est pas possible de voir la chose telle qu’elle est mais on peut simplement voir qu’à travers le filtre de la contrainte temporelle. Ce résultat illustre ma thèse que le sujet pensant ne peut accéder au monde réel.
[1]Je fais référence à l’article : ‘Les intuitions en géométrie sont-elles universelles ?’ dans Techno-Science, le 25/05/2011, qui rend compte de l’analyse d’un test entre des Indiens Mundurucus, vivant en Amazonie dans un territoire isolé : 22 adultes et 8 enfants de 7 à 13 ans, n’ayant jamais reçu d’instruction en géométrie et une trentaine d’adultes et d’enfants originaires de France et des Etats-Unis qui avaient étudié la géométrie… Dans un univers sphérique, il s’avère que les Indiens d’Amazonie répondent mieux que les Français et les Nord-américains. Ces derniers auraient de par l’apprentissage de la géométrie à l’école, acquis une plus grande familiarité avec la géométrie plane qu’avec la géométrie sphérique. On constate dans cet article que les représentations induites par les critères de la géométrie sphériques restent vraisemblables chez les Mundurucus.