Les nouveaux Nobélisés de physique nous révèlent que les mouvements des électrons sont devenus accessibles.
Les électrons sont, même si on ne peut pas les voir, omniprésents dans notre vie : notre vie biologique ainsi que dans notre vie technique, bref, dans notre vie de tous les jours. Dans notre vie biologique, les électrons forment l’union entre les atomes, avec lesquels ils forment les molécules et ces molécules sont les plus petites briques fonctionnelles de tout organisme vivant.
Si on veut comprendre comment ils fonctionnent, nous avons besoin de savoir comment ils bougent. Ce savoir a été conquis grâce aux travaux persistant, sur deux décennies, des trois Nobelisé(e)s en physique, en 2023 : Anne l’Huillier, Ferenc Krausz ; Pierre Agostini. Ils ont montré le chemin pour exploiter des pulses extrêmement courts de lumière permettant de mesurer, de qualifier, les processus rapides dans lesquels les électrons bougent ou changent de niveaux d’énergie. Pour observer ces phénomènes physiques nous avons besoin d’une technologie appropriée[1] obtenue grâce à la contribution originale de Paul Corkum. Dans le monde des électrons, leurs évolutions se produisent en quelques dizaines d’attosecondes. L’attoseconde est si petite qu’il y en a autant dans une seconde qu’il y a de secondes qui se sont écoulées depuis le Big Bang (sic). L’attoseconde est une durée de temps qui vaut un milliardième de milliardième de seconde, soit au moyen de son expression mathématique : 10-18s.
De ces travaux, il résulte qu’une fenêtre est ouverte pour l’observation des électrons et des mécanismes qui les gouvernent. A partir de là, il sera possible d’agir sur cette entité et les mécanismes qu’elle génère.
Acquérir la capacité d’observer et d’opérer à cette échelle du temps est important parce que c’est à cette vitesse que l’électron, élément clé de l’atome, opère. Par exemple, il suffit de 150 attosecondes à l’électron pour faire le tour du noyau d’un atome d’hydrogène. Cela signifie que l’observation au niveau de l’attoseconde procure aux scientifiques l’accès à des processus fondamentaux qui étaient, effectivement, jusqu’à présent inaccessibles à notre connaissance.
Les progrès sont asymptotiques, en 2003 le groupe de A. L'Huillier bat le record avec l’obtention d’une période temporelle de 170 attosecondes. En 2008, le physicien F. Krausz atteint une période de 80-attosecondes. Alors que P. Agostini ne pouvait mesurer que des durées minimales de 250 attosecondes en 2001. Nous devons nous rappeler que le passage de la femtoseconde : 10-15s à l’attoseconde, a nécessité, au bas mot, une dizaine d’années. La prochaine étape en perspective est la zeptoseconde 10-21s. Difficile d’évaluer dans combien de temps ce résultat sera obtenu, s’il est accessible !
La liste des applications déjà entrevue grâce à la possibilité d’observer le mouvement des électrons s’étend sur une variété de domaines tels que l’électronique et la médecine.
Le physicien M. Pearce, membre du comité Nobel, a déclaré : « Une fois que nous comprenons et contrôlons les électrons nous franchissons et ouvrons une grande étape vers l’avant » ; « Par exemple, nous pouvons voir s’il est d’un côté de la molécule ou bien de l’autre. »
D’autres experts affirment : “Les électrons se déplacent si rapidement, qu’il fut hors d’atteinte de pouvoir les isoler, mais maintenant savoir les observer au cours de la plus petite fraction de seconde possible, permet aux scientifiques d’avoir un aperçu « flou » d’eux, et ceci ouvre de toutes nouvelles sciences »
Il est donc partagé la pensée que le fait d’accéder à une observation effective du mouvement de l’électron, ainsi que d’avoir un aperçu (flou) de sa présence, cela permet, de facto, d’engager une appropriation intellectuelle chez les scientifiques, assurée dans la continuité, ce qui enclenche une faculté de spéculer, sélectionner, sur ce qu’il est possible de faire grâce à cette nouvelle connaissance. A ce stade cela vaut, au-delà de ce qui est nouvellement prédictif pour l’électron, pour toute nouvelle situation scientifique qui se présente, quel que soit le phénomène ou l’objet physique en question. Alors il est pertinent de se demander jusqu’à quelle valeur infiniment petite d’intervalle de temps, pouvons-nous espérer accéder à de l’observation ?
Dans de nombreux articles, depuis 2012, particulièrement celui du 2 Novembre, sur mon blog, dans l’article : « Un Monde en Présence », j’ai inféré que nous serons confrontés à une durée limite de notre capacité humaine d’observation, de détection, au voisinage de 10-26 ; -27s. Cela pourrait encore être un intervalle de temps plus petit, mais nous serons confrontés à un point aveugle, non seulement pour des raisons technologiques mais irréversiblement pour des raisons humaines car notre cerveau a un fonctionnement temporelle discontinu et cela se répercute sur les capacités d’éveil de nos sens et en conséquence sur nos capacités d’investigation des éléments physiques constitutifs de l’univers. Sur ce sujet, la synthèse la plus récente se trouve dans mon blog, à la date du 30/06/2022 : 05 suite de la publication 03 de ‘Présence’, et du 08/07/2022 : 06 suite et fin de la publication de ‘Présence’. Dans ces articles je rappelle mon argumentation sur l’existence d’un ‘Temps propre du Sujet’ pensant : ‘TpS’, de fait instituant le tic-tac universel de l’horloge fondamentale égrenant le temps. Ce temps propre de l’homme coïncide avec le temps de la physique, du physicien. Contrairement à ce qu’affirme Alain Connes, il n’y a pas de tic-tac d’une horloge divine qui égrènerait le temps (ce que j’ai qualifié d’hypothèse paresseuse). Le temps propre de l’être humain est universel, puisque ‘l’être humain est un être de/dans l’univers’.
Ci-après, je me réfère au livre de Guido Tonelli[2] : « Temps, ou les mystères de chronos. », édit : Dunod, 2023, dans lequel il est évoqué, page 129 – trop passivement selon mon point de vue – « La durée de vie de certains composants fondamentaux de la matière est si brève qu’aucun terme n’est approprié pour le décrire, nous devons recourir aux mathématiques et de noter cette durée 10-25seconde, même si notre imagination a du mal à appréhender ce que représente un intervalle de temps aussi infime. ». Cette passivité que je déplore de la part d’un physicien, je l’identifie, dans les quelques citations suivantes de son livre : « La durée de vie des particules dont la désintégration est due aux interactions fortes est très courte, autour de 10-23s. » et page 144 : « Le poids lourd de toutes les particules connues : le quark ‘Top’ se désintègre immédiatement (sic) après avoir été produit. Il a tellement hâte de disparaître de la circulation qu’il ne « s’habille » même pas avant de disparaître. C’est le seul des quarks qui meurt complètement « nu ». Sa durée de vie moyenne est estimée à 5×10-25seconde[3] et la trajectoire qu’il empreinte avant de se désintégrer est impossible à mesurer. » ; « Le boson de Higgs, un autre objet très massif a aussi une durée de vie très courte. Les produits de sa désintégration, c’est-à-dire les particules plus légères en lesquelles il se désintègre, sortent pratiquement du sommet primaire de l’interaction. On estime que sa durée de vie moyenne est de l’ordre de 10-22seconde. »
Effectivement, en appui de ce que je cite ci-dessus, je déplore la passivité de Tonelli car il identifie les raisons pour lesquelles nos capacités d’identification des composants fondamentaux de la matière inévitablement se réduisent jusqu’à disparaître sans qu’il y ait de sa part le moindre sursaut intellectuel, sans qu’il constate et anticipe qu’une problématique authentiquement scientifique est en train d’émerger.
Empiriquement nous pouvons constater que quelle que soit l’infinie petitesse des intervalles de temps d’observation dont nous pouvons disposer, il y a toujours des entités naturelles à identifier et/ou des phénomènes physiques qui se produisent. Ce que j’infère depuis 2012, c’est que l’infini petitesse, ne peut pas être pour nous, observateur, infiniment petite. Selon mon estimation, en deçà de 10-26 ; -27s nous n’aurons plus la capacité de discerner des intervalles de temps aussi minimes. A ce stade nous serons intellectuellement aveugles. Les physicien(ne)s nobelisé(e)s, avec les autres, en réussissant à concevoir un instrument qui nous permet de compter les attosecondes se réjouissent d’avoir un aperçu « flou » de l’électron en mouvement dans un atome, dans une molécule. Quant au boson de Higgs qui aurait une durée de vie de l’ordre[4] de 10-21 ; -22s, on ne peut observer directement sa trace, on ne peut l’identifier que grâce aux empreintes enregistrées de ses produits de désintégration qui apparaissent dans les détecteurs d’une sensibilité maximale plus tardivement. Malgré tout, notre compétence pour reconstruire sa présence est de très grande qualité. En ce qui concerne le quark ‘Top’, sa durée de vie moyenne est estimée à 5×10-25seconde et la trajectoire qu’il empreinte avant de se désintégrer est impossible à mesurer. Nous sommes donc confrontés à un processus de perte d’observation, d’identification, des éléments de la nature et de leur propriété. Ainsi nous devenons de plus en plus aveugles et il faut comprendre ce que cela signifie. C’est au cours des années 1969, 1970, que j’ai commencé à m’interroger sur ce processus inexorable avec la désintégration des résonances des hadrons par interaction forte.
Implicitement, les physiciens considèrent que tant qu’il y aura quelque chose de nouveau à détecter dans la nature, d’une façon ou d’une autre, l’être humain sera toujours en mesure de l’identifier d’une façon directe ou indirecte. Il faudrait quand même méditer le résultat qui vient d’être nobélisé : il y a d’un côté l’électron objet quantique par excellence, et d’un autre côté une horloge qui scande les attosecondes. Les attosecondes sont comme des trous de serrure de plus en plus infimes du temps qui d’une façon ou d’une autre nous laissent ‘voir’ les choses de la nature. Ceci vaudra jusqu’à ce que le trou de serrure le plus infime du temps, techniquement conçu, coïncidera avec le Tic-Tac cérébral du genre humain : TpS[5]. Ce paradigme qui finira par s’imposer aux physiciens ne doit pas être considéré comme une limite humiliante mais devra être considéré comme l’occasion incontournable de situer vraisemblablement la place et le rôle de l’être humain, dans son mode d’être présentiel, dans un univers éternellement appréhendé. Ce sera donc installé sur un tout nouveau belvédère que le physicien, être dans la nature, pourra tenter de décrypter ce qu’il considère comme étant de l’ordre de la nature, de l’ordre du ‘hors-de-soi’.
[1] Paul Bruce Corkum est un physicien canadien spécialisé dans la physique attoseconde et des lasers. A regret, il n’a pas été Nobélisé à cause de la limite imposée à trois nobélisables maximum sur un même sujet.
[2] Sur la 4e de couverture de son livre, il est indiqué : « Des mythes anciens à l’horloge cosmique, de Newton à Einstein, Chronos reste un mystère pour les physiciens d’aujourd’hui comme pour les premiers humains, et celui qui le maîtrise domine le monde. » ; « G. Tonelli, chercheur invité au CERN et professeur à l’université de Pise, est l’un des principaux protagonistes de la découverte du boson de Higgs. »
[3] Soit 10 millionièmes de milliardième de milliardième de seconde.
[4] De l’ordre de l’ordre de la zeptoseconde : mille milliardièmes de milliardième soit 10-21, ou dix mille milliardièmes de milliardième soit 10-22s.
[5] Le livre suivant : « Your Brain Is a Time Machine”, de David Buonomano 2017, W.W. Norton, je le recommande pour ceux qui souhaitent creuser le sujet. Je cite Sean Carrol : « Pourquoi le temps semble s’écouler de moment en moment ? C’est un mystère parce que les physiciens disent une autre histoire : le temps ‘est’ tout simplement, une étiquette passive dans les différentes parties de l’univers. En puisant dans la philosophie et les neurosciences D. Buonomano, nous aide à comprendre cette question, et en conséquence clarifie notre place (sic) dans le monde physique. » De Lee Smolin : « Le livre de Buonomano est une révélation qui propose une nouvelle perception radicale du cerveau dans lequel la fonction primordiale des circuits neuronaux est de générer des processus dont les actions définissent le temps. »