Transgressions : à suivre !
En physique théorique, il y a deux transgressions intellectuelles particulières qui méritent d’être analysées. L’une de ces transgressions est relative à la physique quantique et c’est l’hypothèse des ‘mondes multiples’ émise premièrement par H. Everett et l’autre est relative à la relativité générale et c’est l’hypothèse du ‘multivers’ (souvent commentée par A. Barrau sans qu’il en soit pour autant l’auteur). Chacune de ces hypothèses sont des échappatoires à des problèmes posés par ces deux théories fondamentales qui sont toujours aujourd’hui sans solutions satisfaisantes. Selon moi, ces deux hypothèses ne sont pas banales car elles révèlent, ce que j’ai déjà signifié dans l’article du 22/07 : ‘Ai-je fait si fort ?’, et celui qui le précède, la nécessité impérative, vitale sur le plan intellectuel, de concevoir un au-delà à l’obstacle sur lequel bute actuellement la pensée scientifique. L’enfermement intellectuel est la pire situation que puisse supporter Homo Sapiens.
A propos de l’hypothèse des mondes multiples je m’appuie sur l’article récent du 02/09, dans ‘Nature’ qui a pour titre : ‘La logique bizarre de la théorie des mondes multiples’, (R. Crease se réjouit de l’incursion de S. Carroll[1] dans la théorie de plus de 60 ans.)
Je cite : « Le physicien américain Hugh Everett est à l’origine de cette théorie à la fin des années 1950. Il envisage de considérer notre univers comme juste un monde parmi les mondes parallèles nombreux qui se débranchent les uns des autres, nanoseconde par nanoseconde, sans se croiser, ni communiquer. (La théorie des mondes multiples diffère du concept de multivers, car elle conçoit de nombreux univers autonomes dans différentes régions de l’espace-temps.)
Six décennies plus tard, cette théorie est l’une des idées les plus bizarres, mais tout à fait logique. Cette théorie est née des principes fondamentaux de la mécanique quantique sans introduire d’éléments étrangers.
Carroll rend compte de la validité de la théorie des mondes multiples et de son évolution post-Everett, et pourquoi malgré tout notre monde ressemble à ce qu’il est. Grandement à cause de son caractère logique, Carroll désigne l’invention d’Everett : « La meilleur vue de la réalité que nous ayons. » sic.
Attraper la vague.
La mécanique quantique est le cadre de base de la physique subatomique moderne. Elle a résisté avec succès à près d'un siècle de tests, dont à celle du physicien français Alain Aspect confirmant l’intrication, ou l'action à distance entre certains types de phénomènes quantiques. En mécanique quantique, le monde se déploie à travers une combinaison de deux ingrédients de base. L'un est une fonction d'onde lisse et entièrement déterministe : une expression mathématique qui transmet des informations sur une particule sous la forme de nombreuses possibilités pour son emplacement et ses caractéristiques. Le second est quelque chose qui réalise l'une de ces possibilités et élimine toutes les autres. Les opinions diffèrent sur la façon dont cela se produit, mais il pourrait être causé par l'observation de la fonction d'onde ou par la fonction d'onde rencontrant une partie du monde classique.
Beaucoup de physiciens acceptent au pied de la lettre ce bidouillage conceptuel connu sous le nom d'interprétation de Copenhague, promue par Niels Bohr et Werner Heisenberg dans les années 1920. Mais l'approche de Copenhague est difficile à avaler pour plusieurs raisons. Parmi celles-ci est le fait que la fonction d'onde est inobservable, les prédictions sont probabilistes et ce qui fait que la fonction d’onde s’effondre est mystérieux.
Carroll soutient que la théorie des plusieurs mondes est l'approche la plus simple pour comprendre la mécanique quantique. Il accepte la réalité de la fonction d'onde. En fait, il dit qu'il y a une fonction d'onde, et une seule, pour l'Univers entier. En outre, il indique que lorsqu'un événement se produit dans notre monde, les autres possibilités contenues dans la fonction d'onde ne disparaissent pas. Au lieu de cela, de nouveaux mondes sont créés, dans lesquels chaque possibilité est une réalité. La simplicité et la logique de la théorie dans le cadre conceptuel de la mécanique quantique inspirent Carroll au point de l’appeler l'approche « courageuse ». Ne vous inquiétez pas de ces mondes supplémentaires, affirme-t-il — nous ne pouvons pas les voir, et si la théorie des plusieurs mondes est vraie, nous ne remarquerons pas la différence. Les nombreux autres mondes sont parallèles aux nôtres, mais ils sont si cachés de lui qu'ils "pourraient aussi bien être peuplés de fantômes".
Je n’évoque que l’échappatoire des mondes multiples aux apories de la mécanique quantique, il y a évidemment d’autres échappatoires, celles : du Qbism, des variables cachées, de l’onde pilote, de l’hypothèse GRW, etc…, mais aucune n’est satisfaisante et les apories sont toujours là, précisons que ces apories sont relatives à notre sens commun en général et particulièrement à celui des physiciens.
Complémentairement je cite ce que déclare Steven Weinberg[2] au cours de l’interview obtenu par Sabine Hossendelfer et rapporté dans son livre ‘Lost in Maths’, page 151 et suivantes : « Il est particulièrement agaçant de constater que la fonction d’onde s’effondre simplement quand elle est mesurée, parce que aucun autre des processus que nous connaissons n’est instantané. Dans toutes les autres théories, une connexion entre deux endroits signifie que quelque chose doit se déplacer d’un point à l’autre à une vitesse inférieure à celle de la lumière. Cette propagation progresse au fil du temps est dite « localisée », et elle est conforme à notre expérience quotidienne. Mais la mécanique quantique, elle, prend nos attentes à contre-pied parce que des particules intriquées sont liées, mais pas localement. Mesurez l’une d’elles, et l’autre le saura aussitôt. C’était ce qu’Einstein appelait « l’étrange action à distance »
« L’interprétation des mondes multiples postule que la fonction d’onde ne s’effondre jamais. Au lieu de cela, la fonction d’onde se subdivise en des univers parallèles, un pour chaque résultat possible des mesures. Dans l’interprétation des mondes multiples, il n’y a pas de problèmes de mesure, mais seulement la question de savoir pourquoi nous vivons dans cet univers particulier. Steven Weinberg trouve tous ces univers « repoussants », mais aux yeux de Max Tegmark[3], cette logique est « belle », et il croit que « la théorie la plus simple, et sans doute la plus élégante, implique des univers parallèles par défaut. »
En ce qui concerne l’autre échappatoire, relative à la relativité générale, générée avec l’hypothèse du Multivers, elle permet de s’émanciper du principe anthropique[4] car avec l’hypothèse du multivers : notre Univers prescrit et décrit par la relativité générale ne serait pas unique. Cela permet d’évacuer le questionnement du dessein intelligent qui veut affirmer et justifier l’unicité de notre univers. Selon l’hypothèse du multivers, il se pourrait qu'il y ait un nombre infini d'« univers bulles » produits, sans connexions les uns avec les autres, ou de façon très marginale. Dans ce cas, il n'y a aucune raison de penser que les lois de la physique soient les mêmes dans chaque univers, et il existerait ainsi bien plus d'univers que d'univers concevables par nous.
Comme je l’ai déjà précisé, ces hypothèses : multivers et mondes multiples, sont des extrapolations qui ont vocation à consolider des théories physiques très bien établies… jusqu’à un certain point. Les propositions de sorties des impasses sont actuellement de l’ordre de l’aventure intellectuelle et les débats sont âpres. Je cite à nouveau S. Weinberg dans l’ouvrage déjà indiqué :
Page 258 : « Brian Greene[5] ? »
- « Oui. Il a ces neuf multivers. Neuf ! Et les arguments sur lesquels il s’appuie sont sur une pente savonneuse. Donc, d’un côté, vous avez Martin Rees[6] qui dit que l’univers ne s’arrête pas à notre horizon visuel, et donc, en un sens, c’est un multivers. Et je suis évidemment d’accord. Et un peu plus loin, vous avez l’inflation chaotique d’André Linde[7], avec son nombre infini d’univers-bulles. Et encore plus loin, par là-bas, vous avez le paysage de la théorie des cordes, où la physique est différente dans chaque bulle. Et encore plus loin, vous tombez sur le multivers mathématique de M. Tegmark. Et après, très loin là-bas, vous trouvez des gens comme N. Bostrom[8] qui affirme que nous vivons dans une simulation sur ordinateur. Ce n’est même pas de la pseudoscience, c’est de la fiction. »
- S. Hossenfelder intervient : « C’est la version moderne de l’univers vu comme une horloge, en gros. A l’époque, c’étaient des rouages et des boulons, aujourd’hui, ce sont des ordinateurs quantiques. »
- « Oui, opine George. Mais vous voyez, B. Green, dans son livre, dit que c’est une possibilité. Et quand des gens écrivent que des choses pareilles sont des possibilités scientifiques, moi, je me demande : jusqu’où peut-on avoir confiance dans ce qu’ils pensent ? C’est tout simplement ridicule ! »
A ce stade de l’article, je veux insister sur le contenu de l’intervention de S. Hossendelfer car elle met le doigt sur une problématique très importante. Pour des raisons évidentes nous sommes toujours très conditionnés par un investissement intellectuel sur les objets d’études physiques en termes de : « rouages et boulons », c’est le principe de causalité qui nous guide en général (voir Descartes). Cela nous conduit à concevoir l’univers en termes ‘d’univers-bloc’ (voir L. Smolin) et de le penser comme une machine sur lequel nous projetons un mode fonctionnement usuel, familier, classique. Ainsi on peut lire dans des articles : « Suggérant que peu dans le domaine sont prêts à rejeter les théories qui sous-tendent notre compréhension de la façon dont l’univers travaille (sic) – au moins pas maintenant. »
A mon avis, en ce qui concerne notre investissement sur l’idée d’univers il ne faut pas le penser en termes de machinerie, de mécanismes et donc il ne travaille pas et c’est particulièrement absurde et primaire de penser qu’il travaillerait. C’est nous, qui sommes des machines à penser, qui sommes dotés de mécanismes qui orientent et conduisent à la prospection de nouveaux savoirs, de stockages cérébraux de connaissances, qui réunis permettent d’inférer dans de nouveaux espaces de connaissances jusqu’alors inconnus par Homo Sapiens. Je propose de penser l’univers global qui serait dans un état, lui-même étant cet état. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que souvent je cite (désolé) : « Au sein d’une éternité, parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers... » La conjonction de l’éternité et de tous les possibles définit l’état de l’univers effectif que nous devons considérer.
La dynamique du creusement, qui ne cesse, par Anthrôpos est confortée par les échappatoires conçues pour proposer une issue aux impasses avérées des deux théories fondamentales car d’une certaine façon elles proposent de dépasser la conception actuelle étriquée et mécanique du modèle standard. Pour illustrer cette affirmation qui peut être considérée comme légère, je cite à nouveau le livre de S. Hossenfelder, p 133 : « Il est cependant possible de combiner ces différents multivers en un autre encore plus grand. » Le mouvement que je préconise est déjà à l’esquisse. A suivre !
[1] Sean Carroll 53 ans, est un astronome américain, chargé de recherche au département de physique du California Institute of Technology (Caltech). Auteur d’un livre tout récent : ‘Something deeply hidden’, Quantum Worlds and the Emergence of Spacetime.
[2] S. Weinberg, 86 ans, prix Nobel en 1979 pour sa contribution à l’unification des interactions faibles et électromagnétiques.
[3] Physicien, cosmologiste, 52 ans, professeur au MIT.
[4] Dans Wikipédia : Le principe anthropique est un principe épistémologique selon lequel les observations de l'univers doivent être compatibles avec la présence d'un observateur étant une entité biologique douée de conscience. Cette contrainte pourrait permettre d'orienter l'heuristique de la recherche scientifique fondamentale.
Ce principe, proposé par l'astrophysicien Brandon Carter en 1974 1, existe en deux versions principales. Le principe anthropique faible dit que ce que nous pouvons nous attendre à observer doit être compatible avec les conditions nécessaires à notre présence en tant qu’observateurs, sinon nous ne serions pas là pour l'observer. Le principe anthropique fort postule que les paramètres fondamentaux dont l'univers dépend sont réglés pour que celui-ci permette la naissance et le développement d’observateurs en son sein à un certain stade de son développement. En d'autres termes les observations de l'univers seraient contingentes dans la version « faible » alors qu'elles seraient au contraire nécessaires dans la version « forte »
[5] 56 ans, est un physicien américain connu comme un des spécialistes mondiaux de la théorie des cordes. Professeur de physique et de mathématiques à l'université Columbia de New York
[6] 77 ans, est un scientifique britannique professeur d'astronomie
[7] 71 ans, est un physicien américano-russe et professeur de physique à l’université Stanford (Californie). N.B. : Dans une conférence, Linde évoqua l’étrangeté du « bon » réglage des constantes physiques (voir Principe anthropique) et émit l’hypothèse qu’il existait peut-être une « mousse » d’univers, chacun ayant eu son Big Bang (ou quelque autre événement en tenant lieu) et ses propres lois et/ou constantes physiques, le nôtre étant l’un de ceux qui, par hasard, avait des paramètres permettant l’apparition de la vie.
[8] 46 ans, est un philosophe suédois connu pour son approche du principe anthropique et ses recherches relatives aux simulations informatiques.