L’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence une loi de la Nature ?
L’être humain est-il nu de toute contribution lorsqu’il décrypte et met en évidence une loi de la Nature ? Ce questionnement acquière toute sa pertinence lorsqu’il s’agit de lois dans le domaine de la physique quantique. A cette question, la très grande majorité des physiciens répondraient : « Oui, il est nu de toute contribution… » Ceci se comprend car effectivement dans le cas d’une réponse négative ce serait l’essence même de l’objectivité qui caractérise la science physique, telle qu’elle est considérée maintenant, qui serait remise en cause. Il y a donc une croyance forte, dominante, que notre rapport avec les entités de la nature (à l’échelle quantique) n’est pas relatif à ce que sont nos capacités d’investissement intellectuel et en conséquence la différenciation absolue, entre ce qui est de l’ordre du sujet pensant et ce qui est de l’ordre de l’objet de l’investigation, peut être, in fine, assurément atteinte.
Si cette assurance est soupçonnée d’être confrontée à un biais, l’expression de ce soupçon reste marginale et de toute façon, il n’est pas intégré par les physiciens. Ainsi, citons E. T. Jaynes, qui en 1990 exprimait l’avis suivant : « Le formalisme actuel de la M.Q. n’est pas purement épistémologique ; c’est un mélange particulier décrivant, en partie des réalités de la Nature, en partie une incomplète information humaine sur la Nature – le tout mélangé par Heisenberg et Bohr dans une omelette que personne n’a réussi à démêler. Maintenant nous pensons que le démêlement est un pré requis pour envisager une nouvelle avancée en physique théorique fondamentale. En conséquence, si nous ne pouvons pas séparer les aspects subjectifs des aspects objectifs du formalisme, on ne peut pas savoir de quoi on parle ; c’est aussi simple que ça (sic). » Mesurons que le soupçon en question, de E. T. Jaynes, se situe seulement au niveau du formalisme, et en conséquence cela devrait être ‘réparable’.
Pour tous ceux qui n’acceptent pas, ou n’acceptent plus, l’injonction : « Tais-toi et calcule ! » et que leur curiosité de physicien appelle à aller au-delà d’une exploitation passive des capacités remarquables de calcul et de prévision, que permet la mécanique quantique fondée par l’école de Copenhague, et en conséquence cherchent une réponse à la question : pourquoi et comment ?, ceux-ci sont essentiellement guidés par la petite voix einsteinienne : « Mon opinion est que la fonction d’onde ne décrit pas (complètement) ce qui est réel, mais elle nous permet seulement d’accéder à une connaissance maximale empirique au regard de ce qui existe réellement. C’est ce que je veux signifier quand j’avance l’idée que la mécanique quantique donne une description incomplète du réel état des choses. »
Analysons donc les hypothèses et les travaux les plus récents de ceux qui tentent de suivre les recommandations de la petite voix einsteinienne. (A ce stade, il peut être utile de lire ou relire l’article de ce blog : ‘Etonnant’, posté le 19/10). L’article du ‘NewScientist’ du 29/10/2011: « Begone, quantum voyeur… », nous propose un bilan à jour de ces tentatives qui prennent racines dans l’approche appelée GRW (G de Ghirardi, R de Rimini, W de Weber : les 3 auteurs de cette approche proposée en 1983). Article traduit par mes soins : « GRW préconise de considérer que la réduction de la fonction d’onde se produit tout le temps (même en dehors de la situation spécifique d’une opération de mesure au sens quantique du terme), mais cette réduction est extrêmement rare pour une particule individuelle, par contre dès qu’on crée une situation de mesure on force celle-ci à interagir avec le dispositif de mesure. La particule devient intimement liée, ou intriquée, avec les nombreux atomes constituant le système de mesure. Parce que ces atomes sont nombreux, une des fonctions d’onde est forcée de s’effondrer pendant le processus de la mesure. Grâce à l’intrication, cela déclenche la réduction des autres fonctions d’onde ainsi que celle de la particule soumise à l’opération de mesure. Ainsi, la fonction d’onde de la particule s’effondre sans avoir recours à une quelconque fantomatique raison provoquée par l’observateur.
En 1989, Philip Pearle, amende GRW avec une autre hypothèse appelée « Continuous Spontaneous Localisation » : CSL, qui plutôt que d’attribuer l’effondrement de type GRW, fruit du hasard, à un champ de forces, il l’attribue aux fluctuations dans une entité qui occupe (emplit) l’univers, et varie dans le temps et dans l’espace. Quand les physiciens réécrivent leurs équations relatives à CSL afin d’ajuster celles-ci aux prédictions de la relativité restreinte, ils se heurtent à une variation subite de vitesse. D’insaisissables ‘secousses instantanées’ apparaissent dans les fonctions d’onde et cela introduit des valeurs infinies de l’énergie dans l’univers, ce qui est en désaccord avec ce que nous connaissons de la fonction d’onde.
La contribution de Bedingham est de rendre compatible la CSL avec la R.R. en évitant les termes infinis. Plutôt que d’envisager que ce soit le champ fluctuant qui agisse sur les fonctions d’onde, il introduit un champ intermédiaire qui lisse ses effets et élimine les ‘secousses instantanées’
Au lieu d’une version relativiste de la CSL précédente, l’hypothèse de Bedingham conduit non seulement à la description de particules individuelles mais aussi aux forces qui prévalent entre elles – un ‘must’ pour tous ceux qui cherchent à remplacer la mécanique quantique… Si cela était vrai : ce serait la première modification de la mécanique quantique depuis sa fondation dans les années 1920… »
« Bedingham a posté en ligne, en octobre 2010, le fruit de ses cogitations et a récidivé en mars 2011 avec une version encore plus claire. »
L’exclusion d’une quelconque détermination du sujet pensant ou d’une quelconque trace indélébile de celui-ci dans le résultat de la mesure oblige ces physiciens réalistes à ajouter, et surajouter, des entités théoriques, intermédiaires, comme dans un millefeuilles. Entités qui seraient présentes et actives dans la nature. On peut considérer que cette conception est sécurisante étant donné qu’il y a une mathématisation possible de l’action, de l’influence, de ces entités. Ainsi on se trouve dans la continuité de la démarche scientifique habituelle au sens stricte du terme[1]. A ce niveau-là on mesure l’ampleur de la rupture conceptuelle qu’il faut effectivement entreprendre en acceptant l’idée que dans le résultat dit : ‘physique’, il y a, à l’échelle quantique, une part caractéristique du sujet pensant inexpugnable qui y est inscrite. (Toutefois dans l’article posté, du blog, le 13/10 ‘Si faille il y a, quelle est sa nature ? on a constaté que A. Zeilinger et N. Gisin, par exemple, peuvent dans une réflexion extrême, évoquer, conjecturer, sur cette part du sujet pensant. Et cela me convient, je considère que cela est une avancée.)
Est-ce que cette part inexpugnable est mathématisable ? Il me semble qu’elle devrait être directement ou indirectement quantifiable mais pour l’essentiel cette part du sujet pensant est qualitative dans la mesure où la contribution du sujet ne peut pas être absolument distinguée dans le résultat de la mesure de l’objet quantique. Remarquons au passage que les physicalistes ne connaissent pas ce type d’inhibition.
Dans le référentiel théorique que j’ai commencé à élaborer depuis 5 années, j’ai d’emblée introduit le ‘Temps Propre du Sujet’ : TpS. A ce propos, toutes les références et les accès à ce travail sont donnés dans le 1er article posté le 8/10/2011.
Le TpS annule toute possibilité de mesure de coïncidences temporelles et en conséquence il annule aussi toute possibilité de mesure de coïncidences spatiales au sens strict du terme. Ce qui conduit à méditer sur le postulat einsteinien : « Ce qui du point de vue physique est réel… est constitué de coïncidences spatio-temporelles. Et rien d’autre[2]. »
L’introduction de ce paramètre TpS a une conséquence immédiate qui est celle de contredire encore l’autre affirmation d’Einstein (en 1955) : « Pour nous, physiciens croyants (sic), la séparation entre passé, présent et avenir, ne garde que la valeur d’une illusion, si tenace soit-elle. », affirmation parfois reprise et propagée d’une façon violente et intransigeante : « le fait que le passage du temps (le maintenant) ne corresponde à rien dans la réalité physique… » (Voir Thibault Damour conférence en 2000). En effet le TpS implique une consolidation du présent, du maintenant, socle de la ‘Présence’, il est donc une détermination inexpugnable du sujet pensant. Le TpS impose de revisiter certains aspects de la relativité restreinte et les propriétés qui en sont la conséquence, essentiellement lorsque on est au voisinage du TpS (de l’ordre de 10-25s), par exemple, le sommet du cône de lumière habituel ne peut pas être ponctuel. On peut y trouver, peut-être, des arguments qui rendent compte de l’intrigante phénoménologie de l’intrication.
L’impossibilité de discerner dans la structure, la plus fine, la plus intime, du rapport sujet/objet, ce qui relève de l’entité naturelle de ce qui relève de l’être humain est particulièrement difficile à admettre, angoissante voire révoltante sur le plan intellectuel et existentiel. On peut comprendre qu’il y ait une extraordinaire censure, qu’il y ait une extraordinaire inertie, pour aborder ce sujet.
La durée de TpS est la durée du retrait de l’être dans la Nature, elle est la condition de la mobilité de la pensée, elle est la durée de l’oscillation primordiale, elle est donc la source de la temporalisation du temps. A ces titres TpS est un ‘existential’. Cette conception affirme une/la singularité de l’être humain et contredit ceux qui prônent et annoncent la fin de l’exception humaine. Cette conception affirme aussi une distance raisonnable avec les chantres du cognitivisme. La relation de l’être humain avec la Nature est une relation exceptionnelle, primordiale, elle n’a pas d’origine : elle a toujours été. Elle est la source du développement d’une connaissance réciproque, sans fin, de l’un et de l’autre.
[1] De E. Kant « Dans toute théorie particulière de la nature, on ne peut trouver de science à proprement parler que dans l’exacte mesure où il peut s’y trouver de la mathématique. » ; ou encore de B. Russel « La physique est mathématique, pas parce que nous connaissons si bien le monde physique, mais parce que nous connaissons si peu : ce sont seulement les propriétés mathématiques que nous pouvons découvrir. Pour le reste notre connaissance est négative. »
[2] Lettre à Ehrenfest du 26 décembre 1915.