Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 février 2021 5 19 /02 /février /2021 14:51

Ôter les œillères de la pensée en physique.

Dans un article à la mi-novembre, dans le Cern-Courier, intitulé : « In pursuit of the possible » ; « A la poursuite du possible », une phénomologiste des collisions répondait à un interview et expliquait ce à quoi correspondait sa nouvelle fonction au sein du CERN. Sa mission spécifique consiste, étant donné sa spécialité, à tenter de débusquer, parmi les données accumulées et enregistrées depuis que le LHC fonctionne, des événements qui auraient échappé à la sagacité des physiciens parce qu’ils n’auraient pas été pensés préalablement comme étant de l’ordre du possible.  C’est à dire qu’aucune théorie voire simplement ébauche de théorie formulée actuellement par les physiciens des particules élémentaires ne peut pré-voir la présence éventuelle de tels événements dans les détecteurs.

Depuis plus de dix ans que le LHC a été mis en activité, la déception est grande étant donné la pauvreté des résultats obtenus en rapport avec ceux qui étaient attendus. Certes l’observation pour la première fois du boson de Higgs grâce à la détection de signatures caractéristiques, dans les détecteurs CMS et ATLAS, signalant sa présence n’est pas un mince résultat puisque prédit depuis un demi-siècle. Mais toutes les espérances de nouvelles découvertes ont été franchement déçues, rien sur la matière noire, rien sur les particules supersymétriques et autres prédictions. Aujourd’hui c’est l’impasse complète dans le domaine de la physique des particules élémentaires. Le titre de l’article dont je me réfère : « A la poursuite du possible » est significatif car il indique que l’on est à la poursuite de ce que possiblement on a été incapable de pré-voir théoriquement. Cette situation, résulte selon mon point de vue (voir article du 8/11/2011 « Qui se permettra de le dire ? »), d’un aveuglement théorique des physiciens de cette spécialité considérant que toute nouvelle physique fondamentale pouvait être certainement développée en continuant d’exploiter le paradigme de la théorie quantique des champs et les propriétés de symétrie[1]. Ils n’ont jamais été alertés par leurs extrapolations et des rajouts d’hypothèses qui ont provoqué une fragilité de plus en plus évidente de l’édifice théorique qui a engendré ce que l’on nomme : le Modèle Standard de la physique des particules élémentaires.

Maintenant on est obligé de revenir en arrière et tenter de scruter le film de ce qui a été enregistré depuis 10 ans au CERN et de donner du sens à des phénomènes que l’on a laissé passer comme non significatifs. La situation est périlleuse parce que comme le rappelle S. Weinberg : « Lors des expériences, le LHC crée environ un milliard de collisions entre protons par seconde. C’est trop de données, même pour la capacité de calcul du CERN. Par conséquent, les événements sont filtrés en temps réel et mis au rebut sauf si un algorithme signale qu’ils sont intéressants. A partir d’un milliard d’événements, ce « mécanisme déclencheur » n’en conserve qu’entre 100 à 200 triés sur le volet[2]… Pour moi, le fait que le CERN ait passé les dix dernières années à effacer des données qui détiennent la clé d’une nouvelle physique fondamentale (sic), c’est ça, le scénario de cauchemar. » Evidemment l’algorithme qui sépare le bon grain de l’ivraie est conçu sur la base de la physique du Modèle Standard bornée par les théoriciens n’ayant aucune ouverture de pensée en dehors de ce modèle. Il y a donc peu d’espoir d’accrocher quelque chose de nouveau qui fasse sens parmi tout ce qui a été mis en mémoire.

Pour la phénoménologiste, sa tâche est humble, celle-ci consiste à chercher des déviations par rapport aux résultats déjà obtenus en développant des calculs plus précis. Si déviations il y a, cela peut être considéré comme une fenêtre pour une nouvelle physique. Cette démarche est troublante car sans théorie préalable voire sans seulement, a minima, une ébauche de théorie on ne peut pas voir la lumière ni interpréter la lumière qui filtre par la fenêtre. Cette démarche est inquiétante car cette physicienne déclare : « Dans la plupart des cas les progrès en physique proviennent des observations. Après tout, c’est une science naturelle, ce n’est pas des mathématiques. » Ce point de vue est franchement erroné et inquiétant, il suffit de considérer les travaux de Boltzmann, l’avènement de la relativité générale d’Einstein, les travaux de Dirac pour prédire l’antiélectron et partant l’antimatière, l’invention du neutrino en 1931 et effectivement observé en 1956, la théorie des quarks, etc… La physique est une science qui révèle la dynamique de la confrontation de l’intelligence humaine avec la nature pour décrypter ses lois. La compréhension, la conquête de la place de l’être humain au sein du monde en est le perpétuel enjeu. La physique est une science de la pensée hardie et chaque rupture ascendante avec celle qui est considérée comme un aboutissement permet de franchir un nouveau palier de l’émancipation de l’intelligence humaine et partant nourrit son évolution. Bien sûr historiquement on peut constater qu’après des ruptures ascendantes, il y a toujours une période plus ou moins longue d’assimilation, de cheminements pragmatiques, d’ajustements, de tâtonnements mais de fait c’est toujours le mûrissement d’un nouvel élan de la pensée qui se prépare pour dépasser les nouveaux obstacles que celle-ci rencontre au dévoilement des lois de la nature. La nature ne se laisse pas voir, la contemplation passive à son égard ne conduit pas à son dévoilement. La conception, la vision Platonicienne n’est plus de mise. Pensons au sort réservé à Actéon qui a vu Artémis déesse de la nature prendre son bain nue.

Ma conception Anthropo-philosophique constitue un référentiel qui devrait inspirer plus fréquemment les physiciens car elle conduit un éveil continue de la pensée et elle s’oppose à la routine et à la fossilisation de celle-ci. Sachant que la mécanique quantique est la matrice de la physique des particules élémentaires, je rencontre une conception partagée par Bernard d’Espagnat (Physicien théorique 1921-2015), qui dans son livre : « Le réel voilé », 1994, édit. Fayard, écrit dès les premières lignes de son Avant-propos : « Je le dis sans ambages : quiconque cherche à se faire une idée du mondeet de la place de l’homme dans le monde – doit tenir compte des acquis et de la problématique de la mécanique quantique. Bien plus : il doit les mettre au centre de son questionnement. Cette vérité ne se révèle pas à nous d’emblée (sic)… »

Très sérieusement on doit considérer que la stagnation depuis plusieurs décennies de la pensée en physique théorique est très préoccupante car ce propos que je reproche à la phénoménologiste n’est pas un propos isolé, accidentel. Il reflète l’état d’esprit d’une trop grande partie de la communauté scientifique en question qui est celui du renoncement de la pensée que j’avais déjà relevé avec ma plus grande inquiétude au début de l’année 2016 quand j’ai lu la phrase suivante de Fabiola Gianetti inaugurant sa nouvelle responsabilité de Directrice Générale du CERN : « If new physics is there we can discover it, but it is in the hands of nature » ; « Si une nouvelle physique est là, nous pouvons la découvrir, mais c’est dans les mains de la nature. » Le propos de F. Gianetti creuse et confirme le chemin de la déroute. C’est un propos qui sous-estime le rôle du chercheur en physique fondamentale puisqu’il n’y a pas de découverte s’il n’y a pas d’investissement intellectuel préalable. Ce qu’elle nous dit, c’est qu’elle n’y croit plus et en conséquence elle ne peut pas nous dire « Une nouvelle physique n’est jamais ‘là’ naturellement, le ‘là’ d’une nouvelle physique ne peut être que celui déterminé, fixé par l’intelligence des physiciens » En effet, nous devons penser qu’il y a un nombre incommensurable de ‘’ dans la nature et on ne peut pas tous les embrasser simultanément car notre intelligence n’est pas universelle bien que cela soit l’horizon qui nous met en perpétuel mouvement.

A l’article de F. Gianetti, j’avais fait part de ma réaction dans l’article du 16/01/2016 : « Et si notre pensée est mal placée ! ». 5 années après, le marasme n’est toujours pas endigué.

Le titre de l’article du Cern-courier : « A la poursuite du possible » m’a directement interpellé car c’était la première fois que dans un article de physique je rencontrais le terme ‘possible’ utilisé comme substantif, et j’ai pensé qu’il y avait peut-être un rapport avec ma litanie que je cite régulièrement : « Au sein d’une éternité parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance de l’univers… » On note rapidement que dans un cas on est à la poursuite du ‘possible’ alors que dans l’autre cas on n’est pas dans une poursuite puisque on admet qu’ils sont tous déjà là et l’être humain doit en appréhender en permanence la possible multitude. Actuellement, on s’est lancé dans une poursuite infructueuse à cause d’une pensée bornée, considérée  absolue, encore imprégnée de la ‘Théorie du Tout’, de la part des théoriciens de la physique des particules élémentaires.  

Je me souviens lorsque j’ai lu en 2005 le livre de 470 pages : « La phénoménologie du LHC », comprenant toutes les conférences de l’université d’été en Ecosse de 2003, consacrées à l’exposé théorique de toute la physique qui sera découverte grâce au LHC. Celui-ci était programmé à l’époque, pour fonctionner à partir de 2007. En étudiant ce livre, j’ai été impressionné par les blocs de certitudes, sans failles possibles, exposés par un nombre très limité de physiciens théoriciens triés sur le volet et probablement cooptés. Je cite : « L’ampleur de la physique couverte par le LHC est très large : des recherches du boson de Higgs et de la physique au-delà du Modèle Standard (sic), aux études détaillées de la chromodynamique quantique, des secteurs de la B-physique et les propriétés de la matière hadronique aux hautes densités d’énergie… Ce livre inclue les contributions des chercheurs leaders (sic) de ces sujets, et commence par une introduction basique du Modèle Standard et de ses extensions les plus probables. »

Dans ce livre toutes les cases étaient cochées. Tous les ‘là’ étaient censés avoir été identifiés. Il n’y avait aucune place pour une autre respiration de la pensée en physique des hautes énergies. 15 ans après, on essaye à la marge d’enrichir la trop maigre récolte de résultats scientifiques par quelques possibles qui auraient été oubliés.

‘Parmi tous les possibles’ cela signifie : lorsqu’un nouveau résultat de physique fondamentale est obtenu il ne doit pas être considéré comme autosuffisant, il faut plutôt maintenir l’esprit ouvert en considérant que le résultat obtenu peut représenter la partie émergée d’un iceberg d’influences, d’interactions qui encourage à conjecturer que nous ne pensons pas dans un système clos et que nous mettons plutôt en évidence l’étendue qui s’accroit d’un savoir dont nous venons d’en décrypter seulement une partie. Dans un article du 22/07/2019 : ‘Ai-je fait si fort’, j’ai tenté de rendre compte de la dimension anthropologique de ce processus.

Prenons pour exemple la cosmologie. Depuis plus de 30 ans on recherche les constituants de la matière noire qui doivent être présents dans l’univers, le nôtre, qui serait limité spatio-temporellement. Toute l’impressionnante énergie cérébrale dépensée depuis ce temps et tous les détecteurs plus sophistiqués les uns que les autres n’ont jamais donné le moindre signe de vraisemblance à cette hypothèse. Et pourtant, encore un très grand nombre de physiciens persiste à considérer qu’il n’y a pas d’autres alternatives. La phénoménologiste au CERN (Giulia Zanderighi) est aussi, encore, malgré tout, chargée de vérifier, entre autres, s’il y a des signatures possibles de matière noire supersymétrique enregistrées dans les détecteurs. On commence maintenant à supposer qu’en fait, des trous noirs, primordiaux ou pas, pourraient être des vecteurs de supplément d’interaction gravitationnelle dans l’univers que nous habitons. Ces trous noirs pourraient être des vestiges de bébés univers du multivers de notre univers. C’est par la force des choses, à cause de plus de trente années d’échecs retentissants, que l’on commence à considérer que notre univers ne serait pas fermé, limité, mais qu’il ferait partie d’un ensemble (ex : type multivers) que nous avons à conquérir intellectuellement pour constater grâce à des observations que nous habitons cet ensemble. C’est grâce à ce processus d’appropriation intellectuelle conduisant des expériences et/ou des observations que nous apprenons à franchir l’au-delà des connaissances acquises.

A des distances moins au grand large de cette belle aventure intellectuelle, il n’y a que trente ans que l’on a découvert les premières planètes en dehors de notre système solaire. On aurait pu se dire depuis Galilée (1564-1642), que tout système solaire, avec une bonne probabilité, doit comprendre des planètes gravitant comme celles autour de notre étoile. Ce n’est qu’une fois que nous avons posé notre pensée sur cette possibilité (c’est-à-dire récemment) que nous avons conçu des dispositifs observationnels très sensibles permettant d’identifier des exoplanètes. Les auteurs principaux de ces découvertes ont obtenu le prix Nobel en 2019. Aujourd’hui on en a identifié plus de 4000 et on peut conjecturer que dans notre galaxie il y a au total plus de 100 Milliards de planètes (gazeuses, telluriques, etc…). De là, imaginer que d’autres formes d’intelligence puissent exister dans notre Galaxie, c’est parfaitement sensé. Toutefois, on a devant nous de nombreuses étapes à franchir avant que nous-mêmes soyons en capacité d’identifier d’autres formes d’intelligence.

Historiquement, on a de beaux exemples qui montrent qu’Homo-Sapiens ne pourrait pas Être ce qu’il est et ce qu’il deviendra s’il n’était pas mû par la dynamique de repousser les frontières de la connaissance de son monde. Prenons l’exemple de l’avènement de la Relativité Générale (1915). Quelques mois après Karl Schwarzschild déduit une métrique en tant que solution partielle, particulière (symétrie sphérique), des équations d’Einstein. Cette métrique contient néanmoins un terme intriguant car il peut tendre vers l’infini si le terme au dénominateur tend vers zéro. Ne sachant pas trop quoi en faire à cette époque, on déclare que c’est une singularité mathématique, donc on la contourne, et grâce à cet évitement on recueille les premiers résultats prédits par la R.G. Plusieurs dizaines d’années après, cette singularité mathématique est qualifiée de singularité physique car on commence à comprendre que cette singularité pourrait signifier quelque chose au niveau physique et cela aboutira à rendre compte de l’objet physique céleste appelé trou noir. Ce n’est qu’en 2000 que le trou noir central de notre galaxie, avec 4 millions de fois la masse solaire, est scientifiquement officialisé en France par l’académie des sciences. Il est légitime de considérer que la très grande majorité des galaxies de notre univers (plusieurs centaines de milliards) ont en leur centre un trou noir. Et maintenant on sait qu’il y en a d’autres qui cheminent par paires dans l’univers. Depuis 2016, en toute certitude, on a détecté plusieurs dizaines de collisions de ces trous noirs. Malgré ces magnifiques résultats on est toujours plongé dans l’inconnu car la singularité est placée au centre du trou noir et qu’en est-il de la matière qui une fois qu’elle franchit l’horizon des événements ne peut, à cause de la force gravitationnelle croissante, que s’agglomérer au centre du trou noir. Qu’en est-il de la physique et de ses propriétés au centre du trou noir ? Présentement, la réponse obligée, mais insupportable, consiste à reconnaître que c’est la fin de la matière et de l’information qu’elle véhicule, bref la fin de la physique et de son discours.

Heureusement, grâce à des développements théoriques on commence à lever le voile et il est crédible de conjecturer qu’il n’y a pas obligatoirement une fin car avec les avancées de la théorie de la gravité quantique qui est encore en développement, la matière accrétée au sein du trou noir pourrait rebondir et réapparaître sous différentes formes. Des possibilités d’observations d’objets célestes nouveaux, témoins directs ou indirects, de ces rebonds, sont identifiées. Observations nouvelles parce que maintenant elles font sens. Les auteurs de ces articles récents qui avancent cette hypothèse d’une dynamique au cœur des trous noirs et non pas cette fin irrémédiable, expriment en même temps un soulagement, une jubilation et une victoire de la pensée dépassant l’idée d’une fin dans l’univers. Ceci a besoin d’être décanté mais la voie est ouverte. Si cette hypothèse fructifie, cela voudra dire que l’on commence à comprendre des structures de l’espace-temps à grande courbure engendrées par une force gravitationnelle très intense ainsi que ce qui peut en émerger. Les conséquences ne seraient pas banales car l’hypothèse des trous de ver déjà théorisée dans un article publié par Einstein et Rosen en 1935 pourrait devenir sérieusement concluante. Dans ce cas on saura cibler les régions de l’univers où on pourra observer au moins leurs effets. Un article d’un physicien Russe bien argumenté explique déjà quels sont, entre autres, les trois phénomènes observables que l’on pourra attribuer à la présence d’un trou de ver dans une région de l’univers.

 

 

[1] Voir livre, en français, de Sabine Hossenfelder : « Lost in maths ; comment la beauté égare la physique. »

[2] De ces centaines quelques dizaines au plus sont considérés comme significatifs.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de mc2est-cesuffisant
  • : Ce blog propose une réflexion sur les concepts fondamentaux de physique théorique. Le référentiel centrale est anthropocentrique. Il attribue une sacrée responsabilité au sujet pensant dans sa relation avec la nature et ses propriétés physiques. L'homme ne peut être nu de toute contribution lorsqu'il tente de décrypter les propriétés 'objectives' de la nature.
  • Contact

Recherche

Liens