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15 septembre 2018 6 15 /09 /septembre /2018 11:24

                        Transhumanisme, Posthumanisme, Aujourd’hui, Demain.

Dans le livre de Pascal Picq[1] : ‘Le Nouvel Âge de L’humanité’ : les défis du transhumanisme expliqués à une lycéenne. Editions Allary, mai 2018, il y a de quoi réfléchir à des perspectives d’évolutions de type darwinienne et au-delà de Darwin de l’être humain. Avec P. Picq les réflexions sur ces perspectives sont étayées par ses connaissances accumulées en tant que paléoanthropologue évolutionniste[2] c’est-à-dire qu’elles sont corrélées avec une compréhension actuelle acquise de l’évolution de l’humain depuis les profondeurs du temps correspondant au bas mot à 2 millions d’années. Je ne peux que vous recommander de lire pour étude ce livre. Pour ma part, je privilégierai en premier lieu ce qui fait référence à ma thèse[3] – celle dont ont connaissance les lecteurs de mes articles – concernant l’être de la nature et l’être dans la nature avec au cours du temps le développement de l’être dans la nature qui, au fur et à mesure, réduit les contraintes de l’être de la nature, sachant qu’une telle émancipation est obtenue grâce à la compréhension (à une intellectualisation) des lois de la nature dont celles que met en évidence les physiciens. P. Picq le spécifie page 175, « surtout depuis un siècle, ne serait-ce qu’en raison de la coévolution, les avancées récentes des technologies ont modifié nos caractères biologiques (ceux-là concernent l’être de la nature) et cognitifs (ceux-là concernent l’être dans la nature). Bien sûr que dans ce propos il fait référence à une étape spécifique dont, collectivement, nous avons toujours en mémoire la trace mais évidemment ceci vaut depuis au moins 2 millions d’années. Toutefois, présentement, les vitesses de ces modifications s’accroissent d’une façon tellement fulgurante que cela en est en même temps troublant voire inquiétant. En 4e de couverture : « Cet essai vif et érudit permet à chaque lecteur de prendre conscience que nous vivons un moment décisif de l’histoire de l’humanité. »

            Ce livre est sur le plan pédagogique de très grande qualité et le sujet est tellement bien traité qu’il n’est pas possible de se dire – pour se rassurer – on verra cela plus tard. Je cite : « Plus qu’un choc culturel entre le Nouveau et l’Ancien Monde, est annoncée une révolution anthropologique. Grâce à la magie de la fée numérique, il devient possible de libérer les humains de leur condition de chenille bipède encore engluée dans les fils de l’évolution. Cette promesse s’inscrit dans un programme : le transhumanisme[4]. Celui-ci affiche un but : le posthumanisme, ou le déploiement du génie créatif des hommes pour dépasser leur condition. Après le Paléolithique, le Néolithique, les âges des métaux et les révolutions industrielles, le numérique nous fait entrer dans un nouvel âge de l’humanité. » ; « Le transhumanisme est certes l’aboutissement de millions d’années d’évolution, mais le posthumanisme annonce une rupture. »

            Le livre est conçu sur la base d’un dialogue entre Pascal Picq (P.P.) et une lycéenne, africaine de terminale d’un pays d’Afrique francophone, Adamo Amo (A.A.)

Page 174 : P.P. « Je vous propose, dans un premier temps, de regarder les principaux sujets qui intéressent les transhumanistes ainsi que les posthumanistes et, dans un second temps, de faire un état des lieux des changements actuels de l’humanité et de nos sociétés. Pour être encore plus précis, on tentera d’évaluer en quoi le transhumanisme entend modifier les facteurs biologiques nécessaires à toute adaptation et, ensuite, de cerner les changements d’environnement naturels et humains auxquels ils seront confrontés. C’est dans les interactions entre ces deux types de facteurs, le premiers dits internes et les seconds dits externes, que se joue l’évolution en train de se faire. »

L’auteur considère que la contribution des techniques est trop souvent négligée voire sous-estimée en tant que facteur de changements d’environnements naturels et humains contribuant aux grands changements de l’Histoire. Je cite, page 276 :

« Je vais même être un peu brutal, en termes matérialistes au sens de Karl Marx, les nouveaux outils, les nouveaux modes de production et les nouveaux modes d’échanges de biens et d’informations façonnent de nouvelles croyances séculières, idéelles et spirituelles. Les grands monothéismes ont germé avec les inventions des agricultures et, depuis plus de deux mille ans, s’efforcent de suivre les évolutions techniques et sociétales, le plus souvent en s’y opposant, parfois en les accompagnant. Il en va de même avec les humanistes… Aujourd’hui, le même processus historique opère à nouveau, un processus très bien décrit par Leroi-Gourhan (1911-1986) pour la Préhistoire, J. Cauvin pour les inventions des agricultures, M. Godelier pour l’anthropologie culturelle, G. Simondon pour la philosophie des techniques… »

A.A. « Il n’y a donc pas que les grandes idées qui guident l’Histoire (sic) »

P.P. « Les techniques et leurs usages changent les moyens d’agir et de comprendre le monde (sic) tout comme les idées et les moyens de les diffuser. À force d’avoir trop négligé, voire méprisé, les outils, les techniques et leurs usages comme de simples solutions matérialistes, nous nous trouvons bousculés, et parfois désemparés, face à la révolution numérique. Si les historiens et les philosophes de l’Histoire perpétuent cette tradition idéologique, les préhistoriens ont mieux compris que, du premier silex taillé au smartphone, ce sont les mêmes processus matériels et idéels qui participent aux transformations des sociétés. Si les idées et les représentations du monde guident les actions des hommes, ce sont les techniques qui les façonnent depuis l’invention du feu et des bifaces. Le concept de synthèse créatrice, c’est-à-dire d’une nouvelle construction idéelle du monde après en avoir perçu les facteurs de changement, questionne la croyance en une histoire des hommes fondée sur la seule prééminence des idées. Je vous accorde que les transhumanistes ont, dans leur majorité, tendance à mettre les moyens avant les buts. Cependant, le reproche qu’on leur fait d’être des solutionnistes/matérialistes pour le futur de l’humanité nous amène à prendre conscience qu’on a négligé l’importance des outils et des techniques au cours de l’histoire humaine, trop longtemps perçus comme des solutions et non pas comme un processus de coévolution. Je ne vous cache pas que je trouve très plaisant que la Préhistoire soit plus à même dans ses concepts de comprendre le transhumanisme que l’Histoire. Vive l’anthropologie évolutionniste ! »

A.A. « Au risque de vous accuser de matérialisme évolutionniste. »

P.P. « Il en a toujours été ainsi dans l’Histoire avec des innovations technologiques de rupture modifiant la diffusion des connaissances et des idées comme le codex et la Bible au début de la chrétienté, l’imprimerie de Gutenberg avec la Réforme et les humanités à la Renaissance, les journaux pour les révolutions du XIXe siècle, la radio et la télévision pour le XXe siècle, aujourd’hui le numérique. En fait, et n’en déplaise aux idéalistes, ce sont des innovations techniques qui portent les idées et qui scandent la marche des civilisations. Il serait grand temps qu’on relise l’évolution et l’Histoire sous l’angle des échanges et des flux d’informations. »

Je cite longuement et exhaustivement cet échange parce qu’il me semble que P. Pick suit une mauvaise route en privilégiant ainsi les techniques, il faut, selon mon point de vue, qu’il y ait de la pensée qui soit préalablement active et placée car ce n’est pas la technique qui projette initialement dans l’avenir et encore moins, comme le prétend Pick, elle ne permet de comprendre le monde. C’est certain elle le façonne et j’ajouterai que la technique, qu’elle soit choisie ou bien purement contingente, réduit la possibilité de comprendre le monde dans toute son ampleur car la technique : produit des sciences de l’ingénieur, nous met en contact, parmi tous les possibles, avec seulement la partie du monde avec laquelle elle interagit.

Je trouve étonnant ce parti pris, qui d’ailleurs est assez chancelant du point de vue argumentaire car il écrit : « … ce sont des innovations techniques qui portent les idées. », et ce point de vue est juste, parce que de fait les idées qui façonnent une certaine compréhension du monde et qui provoque la volonté de s’y projeter sont déjà là pour être portées. Pensée, imaginaire, d’un côté et innovations techniques de l’autre ne peuvent pas être placés sur un même plan sans hiérarchie.

Ceci étant mis en exergue, il vaut la peine de relire l’article du 05/01/2018 : ‘Turing or not Turing’ dans lequel je cite S. Dehaene : « La pensée géométrique est assez ancienne. Il est très intrigant de voir que, il y a 1.6 à 1.8 millions d'années les hommes, façonnaient déjà des objets aux propriétés mathématiques élaborées, notamment des pierres en forme de sphère, comme s'ils possédaient la notion d'équidistance à un point. On connaît également des dizaines de milliers de bifaces, ces outils pourvus de deux plans de symétrie orthogonaux : ils ont le même degré d'ancienneté, et leur perfection géométrique démontre une recherche délibérée de la géométrie, au-delà de la simple utilité fonctionnelle. Dès lors, je me demande si la capacité de représentation symbolique et récursive n’est pas apparue, dans un premier temps, indépendamment du langage, avant tout comme un système de représentation rationnelle du monde.

Le cerveau d'Homo erectus avait peut-être déjà atteint la compétence d'une machine de Turing universelle (sic), capable de représenter toutes les structures logiques ou mathématiques possibles. Peut-être est-ce une illusion, mais pour l'instant, notre espèce a réussi à comprendre l'organisation des structures du monde à toutes les échelles de l'Univers. Dans un deuxième temps, il y a environ 100.000 ans, on observe une explosion culturelle qui suggère un langage, une communication... On peut donc se demander s'il n’y a pas d'abord la mise en place d'un système de représentations mentales enchâssées, puis l'apparition d'une capacité à communiquer ces représentations. »

Ces points de vue si différents, nous amènent à réfléchir car on devine qu’il y a beaucoup de chemins à parcourir avant de saisir, si cela est un jour accessible, pourquoi et comment une intelligence aussi spécifique que l’intelligence humaine, que je ne qualifie pas d’universelle et loin s’en faut, a pu s’établir dans un monde naturel de tous les possibles.

Je reviens sur les propos de notre auteur car précédemment page 250, P. Pick écrit :

« Nous avons cohabité avec eux (les Néandertaliens) pendant plus de 50000 ans, puis il ne reste plus que nous (depuis 30000 ans), les Sapiens, partout sur la Terre. Ce qui a fait la différence ne tient pas à des avantages biologiques, cognitifs ou techniques de « rupture », comme on dit dans le monde économique actuel. En fait, cela provient de leur imaginaire, d’une autre façon de comprendre le monde et d’agir sur le monde. »

A.A. « En quoi cela consiste-t-il ? »

P.P. « On ne sait pas grand-chose de ses contenus. Cependant, on constate l’explosion de l’art sous toutes ses formes. C’est une révolution symbolique qui confère aux Sapiens des organisations sociales plus efficaces et de nouvelles représentations du monde (sic) – et là, c’est considérable – qui les entraînent à marcher et à naviguer vers d’autres mondes : Australie, Océanie et les Amériques. Or on ne va pas vers des mondes absolument inconnus sans imaginaire. »

Dans cet échange avec A.A., je suis en accord avec Picq, étant entendu qu’il n’y a pas d’imaginaire sans pensée bien que celle-ci puisse ne pas être aussi formulée comme on veut bien l’entendre actuellement ou que celle-ci puisse être formulée par des codes dont nous avons perdu la trace. De toute façon Pick fait référence à un ou à des imaginaires collectifs qui circule(nt) entre les êtres Sapiens et motivent ceux-ci à se mettre en mouvement, ils marchent et naviguent vers d’autres mondes…

La problématique de la primauté de la technique qui déplacerait d’autant la primauté de la pensée, de la réflexion, jusqu’à d’une certaine façon, prendre le pas sur celles-ci, nous l’avons rencontré dans l’article précédent du 01/09/2018. Je l’ai évoqué aussi dans l’article ‘Perspectives’ du 26/02/2017 parce que F. Combes ne considérait comme ‘perspectives’ qu’une liste d’instruments à construire et à développer pour résoudre l’impossibilité multi-décennale rencontrée par les astrophysiciens et les cosmologistes à résoudre les inconnues considérables à propos de ce que l’on appelle notre univers.

Tous ceux-là qui se considèrent comme les héritiers d’Einstein et des grands penseurs théoriques du début du 20e siècle, malencontreusement, propose de plus en plus de déléguer à des machines le soin de combler l’impossibilité actuelle de comprendre. Ce qui ressemble à un affaissement de la pensée des physiciens est, selon mon point de vue, dû, entre autres, à une adoption acritique de ce qui constitue un des aspects notables de l’héritage d’Einstein[5], c’est-à-dire l’héritage d’une croyance que les bonnes lois de la physique sont celles qui décrivent le monde réel, tel qu’il est. Cela mène à la croyance qu’un résultat concret (c.à.d. accord entre calcul théorique et observation) obtenu par des physiciens constitue un élément participant à l’édifice réel du monde. Croyant que ce résultat a été obtenu, alors on passe à autre chose et on essaie de découvrir la pièce prochaine du ‘puzzle-monde’.  

Cette interprétation du travail du physicien est à mon avis erronée. On doit plutôt considérer qu’un résultat obtenu par des physiciens est un apparaître parmi tous les possibles de ce monde qui résulte d’une adéquation significative entre la capacité actuelle de scrutation des physiciens et un des aspects du monde avec lequel on interagit. L’erreur consiste donc à passer à autre chose car, selon mon interprétation, un résultat obtenu est surtout la preuve d’une pensée en éveil, en mouvement, qui ne tarit pas ce qui doit être considéré comme le sujet (en opposition à objet) d’une découverte. En croyant qu’ils ont découvert des objets, qui composent le monde réel, les physiciens ont accumulé des éléments hétéroclites qui se choquent plus qu’ils ne s’assemblent dans des modèles dits standards.

 

[1] J’ai déjà fait référence aux travaux de P. Picq dans un article du 21/09/2016 : ‘P. Picq l’annonce, S. Dehaene l’illustre.’ À la relecture on pourra apprécier une évolution de sa réflexion.

[2] Dixit P. Picq : « l’anthropologie évolutionniste est la seule science multidisciplinaire qui intègre les sciences de la vie, de la Terre et de l’espace ; les sciences économiques, sociales et humaines ; la médecine ; la philosophie ; les religions et même l’art et la mode. Evidemment, aucun anthropologue ne maîtrise toutes ces disciplines et leurs corpus de connaissances. Mais l’anthropologie évolutionniste possède la méthode et l’épistémologie nécessaires. »

[3] L’auteur n’aborde pas directement et explicitement ce qui est compris dans ma thèse mais des recoupements sont significatifs. En effet je développe ma réflexion sur le plan du rapport entre le développement des capacités intellectuelles de l’être humain et le développement des capacités de décryptage des lois physiques de la nature. Mes désaccords avec l’auteur sont aussi très enrichissants et j’espère être capable de vous les faire partager pour que vous puissiez vous forger une opinion personnelle.

[4] P. 273 : « En tant qu’anthropologue évolutionniste, j’ai longtemps nourri un profond scepticisme sur les propositions des transhumanistes… Ils proposent une ultime libération de l’homme par les voies sacrées de la technologie… Si les transhumanistes prétendent apporter des solutions techniques à ce qu’ils considèrent comme des fléaux désormais inacceptables par l’humanité (la vie, les maladies… etc. la mort), il n’en demeure pas moins que leurs penseurs nous incitent à réfléchir sur notre condition humaine non plus en tant que mortels, mais comme des amortels potentiels… Il faut donc penser l’homme et l’humanité faits par les hommes et pour les hommes dans une nouvelle conception de l’avenir (sic).

Je commente : Ici il est prétendu que l’être de la nature est (sera bientôt) totalement réduit, aboli, sans influence, seul l’être dans la nature serait acteur de l’avenir. Je ne crois pas à ce débranchement car dans ce cas, et je suis radical, il n’y a plus d’Être.

[5] Avec la citation qui suit on constate que l’héritage assumé n’est que partiel : « La science est une création de l’esprit humain aux moyens d’idées et de concepts librement inventés… L’expérience peut, bien entendu nous guider dans notre choix des concepts mathématiques à utiliser, mais il n’est pas possible qu’elle soit la source d’où ils découlent. […] C’est dans les mathématiques que réside le principe vraiment créateur. En un certain sens, donc, je tiens pour vrai que la pensée pure est compétente pour comprendre le réel, ainsi que les Anciens l’avaient rêvé. » (Conférence d’Oxford, 1933)

 

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