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28 septembre 2018 5 28 /09 /septembre /2018 09:44

Qu’est-ce que la réalité et le progrès scientifique ?

Ceci est le titre d’un article sur le site de ‘Pour La Science’ datant du 22/09/2018. Il consiste en un interview de Michela Massimi, philosophe (lauréate de la médaille Wilkins-Bernal-Medawar, exerçant actuellement à l’université d’Edimbourg), qui défend la science contre ceux qui pensent qu’elle ne peut plus rendre compte de la réalité physique à une époque où des théories physiques invérifiables fleurissent (exemple la théorie des cordes ou le Multivers, la théorie de la supersymétrie, etc…). ‘Pour La Science’ a traduit l’article original de ‘Quanta Magazine’ qui a pour titre ‘Questioning Truth, Reality and the Role of Science’, ‘Questionnement de la Vérité, Réalité et Rôle de la Science’. Dommage que ‘Pour La Science’ ait supprimé le terme de Vérité car selon moi, comme j’aurai l’occasion de le rappeler, la notion de Vérité est très importante à l’occasion de certaines étapes correspondant à l’adhésion à une loi, à l’explication d’un phénomène en physique. Les étapes de cette vérité sont des étapes génératrices d’avancées significatives de connaissances tangibles.

L’article sur le site est à lire dans sa totalité, il est évidemment très intéressant et il reprend en partie des thèmes que j’aborde et traite sur le Blog. Il permet de confirmer ou de relativiser ceux que je privilégie. Ainsi quand il est écrit que : « La philosophe soutient qu’aucune de ces deux disciplines (la philosophie des sciences et la science) ne devrait être jugée en termes purement utilitaires et qu’au contraire elles devraient être alliées pour défendre l’intérêt intellectuel et social de l’exploration sans fin du monde physique… Nous avons perdu l’idée, qui remonte à la Renaissance et à la révolution scientifique, que la science fait partie de notre histoire culturelle plus large… la science est utile à l’humanité au sens large. En tant que philosophes, construisons des récits sur la science. Nous examinons minutieusement les méthodologies scientifiques et les pratiques de modélisation. Nous nous intéressons aux fondements théoriques de la science et à ses nuances conceptuelles. Et nous devons cette enquête intellectuelle à l’humanité. Elle fait partie de notre patrimoine culturel et de notre histoire scientifique. » Je me permets de privilégier ces propos de M. Massini car il est essentiel que la plus grande partie de l’humanité soit informée et participe d’une façon ou d’une autre à l’enquête intellectuelle constituée par la volonté de décrypter les propriétés de la nature. C’est pour le plus grand nombre un chemin de liberté – c’est mon utopie – et il est certain que cette enquête doit être objectivement pensée comme faisant partie du patrimoine culturel de l’humanité. Ces propos indiquent aussi que les scientifiques et ici plus particulièrement les physiciens ont la responsabilité essentielle de diffuser en direction du plus grand nombre les nouvelles connaissances qui émergent pour contribuer à l’enrichissement culturel du plus grand nombre. De fait depuis une dizaine d’années des journaux généralistes, grand public, consacrent une fois par semaine des pages sur ces sujets et les articles écrits par des scientifiques sont de très haute tenue et pédagogiques.

Il est utile de rappeler que dans le domaine de la science physique le découplage entre science : matière à penser et matière à produire des résultats finalisés, s’est produit surtout   après le début des années 1940, peut-être que cela coïncide à l’époque où un ou plusieurs physiciens diffusé(s) dans les laboratoires en direction de leurs thésards la consigne suivante : ‘Tais-toi et calcule !’. A juste raison Massini rappelle dans l’interview :

« Au début du XXe siècle, de nombreux scientifiques étaient férus de philosophie, notamment Einstein, Bohr, Mach et Born. Ce temps est-il révolu ? »

« Oui, je pense que ce que nous avons perdu, c’est une façon différente de penser la science. Nous avons perdu l’idée, qui remonte à la Renaissance et à la révolution scientifique, que la science fait partie de notre histoire culturelle au sens large.

Au début du XXe siècle, les pères fondateurs de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique ont été formés à la philosophie. Et certains des débats les plus profonds de la physique de l’époque avaient un caractère philosophique. Quand Einstein et Bohr ont débattu de la complétude de la mécanique quantique, ce qui était en jeu était la définition même de la « réalité physique » : comment définir ce qui est « réel » en physique quantique ? Peut-on attribuer à un électron une position et une impulsion « réelles » en mécanique quantique, même si le formalisme ne nous permet pas de saisir les deux en même temps ? C’est une question philosophique profonde.

Aujourd’hui, il est rare d’être confronté à de tels débats en physique, et cela pour de nombreuses raisons. Les physiciens modernes ne s’intéressent pas toujours à d’autres disciplines que la leur à l’université ou ne reçoivent pas au préalable une éducation très pluridisciplinaire. De plus, les grandes collaborations scientifiques favorisent aujourd’hui une expertise scientifique plus pointue et plus ciblée. Plus généralement, c’est toute l’éthique de la recherche scientifique – reflétée par les pratiques institutionnelles d’incitation, d’évaluation et d’attribution des financements – qui a changé. Aujourd’hui, la science doit être utile à un groupe bien identifié, ou elle est jugée inutile.

Mais tout comme pour la philosophie, nous avons besoin de recherche fondamentale en sciences (et en sciences humaines) car cela fait partie de notre patrimoine culturel et de notre histoire scientifique. Cela fait partie de ce que nous sommes (sic). »

            Il est certain que ceux qui ont étudié les échanges entre des scientifiques comme Einstein, Bohr, Heisenberg, Born, Von Weizsäcker, etc… c’est vraiment édifiant et puissant. On saisit comment grâce à une ouverture intellectuelle assumée au-delà de la science physique cela conduit à dépasser les schémas classiques pour rendre compte de ce que la nature laissait entrevoir comme nouvelles propriétés à cette époque. Cela m’avait conduit à créer un cours intitulé : « Les préalables philosophiques à la création scientifique » dans lequel je commentais à quel point les préalables philosophiques des physiciens qui ont compté dans l’histoire du développement de la physique sont à la source de sauts qualitatifs fondamentaux. J’ai constaté qu’exposer ainsi les grandes étapes des découvertes et en conséquence restituer de fait la dimension humaine et non pas purement calculatoire de la production scientifique cela rassurait les étudiant(e)s et cela leur donnait envie d’étudier plus loin la physique. J’ai même observé que des étudiant(e)s de formation essentiellement littéraire s’appropriaient à une vitesse incroyable les concepts et les raisonnements purement scientifiques et en conséquence les équations.

            Ensuite l’article aborde le sujet des réalistes/antiréalistes et Michela Massimi propose sa conception d’un réalisme subjectif. Je cite la partie qui fait référence à ce sujet et je commente selon mon point de vue.

            « Vous dites qu’il y a un débat entre les visions réalistes et antiréalistes de la science. Pouvez-vous préciser votre pensée ? »

« Ce débat a une longue histoire, et il porte essentiellement sur un positionnement philosophique vis-à-vis de la science. Quel est son but primordial ? La science vise-t-elle à fournir une représentation à peu près vraie de la nature, comme le réalisme le voudrait ? Ou bien doit-elle plutôt se contenter de rendre compte des phénomènes observables sans nécessairement chercher à s’approcher de la vérité, comme le prétendent les antiréalistes ?

Cette question a été un enjeu crucial dans l’histoire de l’astronomie. En effet, pendant des siècles, l’astronomie de Ptolémée a été capable de décrire les mouvements apparents des planètes en recourant à des épicycles et des déférents (des mouvements circulaires imbriqués), sans prétendre expliquer la réalité. Lorsque l’astronomie copernicienne est apparue, la bataille qui a suivi – entre Galilée et l’Église romaine notamment – a finalement consisté à savoir si le modèle copernicien décrivait le « vrai » mouvement des planètes, ou s’il se contentait de proposer une explication cohérente aux phénomènes observables.

Nous pouvons poser exactement les mêmes questions sur les concepts des théories scientifiques actuelles. La « couleur » des quarks est-elle réelle ? Ou est-ce simplement un concept de la chromodynamique quantique permettant d’expliquer l’interaction forte observée expérimentalement ? Qu’en est-il du boson de Higgs ? Et de la matière noire ? »

« Vous avez plaidé en faveur d’une nouvelle vision de la science, appelée réalisme subjectif. Qu’est-ce que c’est ? »

« Le réalisme subjectif dérive pour moi de la vision réaliste, en ce sens qu’il prétend (du moins dans ma propre version) que la recherche de la vérité est primordiale en science. Nous ne pouvons pas nous contenter uniquement d’expliquer les phénomènes observables et de construire des théories qui ne tiennent compte que des preuves disponibles. Cependant, le réalisme subjectif diffère du réalisme car il reconnaît que les scientifiques n’ont pas une vision omnisciente de la nature : notre capacité d’abstraction, nos approches théoriques, nos méthodologies et notre technologie passent par le filtre de notre culture et de notre passé. Est-ce que cela signifie pour autant que nous ne pouvons pas atteindre la vraie connaissance de la nature ? Certainement pas. Cela signifie-t-il que nous devrions abandonner l’idée qu’il existe une notion universelle de progrès scientifique ? Absolument pas. »

Je commente : En ce qui concerne la problématique de la vérité, il faut préciser que c’est une production et une reconnaissance humaine qui est bien souvent provisoire jusqu’à ce qu’elle soit déplacée par une autre vérité qui l’englobe ou bien la récuse. Ainsi la vérité Copernicienne, quand elle a fini par s’imposer, a récusé la vérité millénaire de Ptolémée. Par contre la vérité toujours en cours de la Relativité Générale a englobé la vérité multiséculaire Newtonienne. Le sujet de la vérité dans les sciences a déjà été abordé dans deux articles du 12/04/2016 et du 23/04/2016 à l’occasion de la sortie d’un livre d’Aurélien Barrau : ‘De la Vérité dans les Sciences’. Je considère que la corrélation affirmée par l’auteure : « …sans nécessairement chercher à s’approcher de la vérité, comme le prétendent les antiréalistes ? », est erronée car il n’y a aucune raison de considérer que la problématique de la vérité contribue à différencier les réalistes des antiréalistes.

Il n’y a de vérité en science physique que lorsqu’il y a consensus sur un niveau de compréhension et d’explication rationnelle sur une loi ou un phénomène de la nature jusqu’à ce qu’il soit possible d’aller au-delà en termes d’interprétations. C’est une étape très importante car elle favorise au sein de la communauté scientifique un ‘penser-ensemble’ sur la base d’un même référentiel de concepts et d’interprétations de résultats. Ainsi l’effort de la réflexion collective si essentiel est favorisé. Il est certain que c’est grâce à l’observation de la nature et/ou grâce à l’action sur des objets de la nature que la communauté scientifique rencontre ces étapes historiques consensuelles mais ce sont des étapes construites qui correspondent à l’état de l’art de la pensée collective des physiciens et comme le précise Massimi cela correspond à : « Notre capacité d’abstraction, nos approches théoriques, nos méthodologies et notre technologie passent par le filtre de notre culture et de notre passé. »

Comme je l’ai plusieurs fois précisé dans des articles antérieurs, je préfère que l’on se réfère à la notion de vérité plutôt qu’à la notion de réalité. Comme je l’ai indiqué à la fin de l’article précédent (15/09/2018), une nouvelle découverte ou une nouvelle compréhension, doit être considérée comme un sujet (à creuser) et non pas vouloir placer prioritairement, au foyer de cette découverte, un objet. Prenons l’exemple de la matière noire et faisons le bilan de la multitude des fausses pistes depuis près de 40 ans du fait que l’on ait voulu que le phénomène constaté soit ipso-facto explicable par la présence d’objets invisibles dans l’espace, sans vraiment s’interroger sur le sujet à creuser des fondements des lois qui régissent le modèle standard, sans vraiment s’interroger sur la conception de notre univers qui serait fermé, sans interaction avec ce qui pourrait être un/d’autres univers, ou encore sans penser à un au-delà de ce que nous considérons comme étant les bords de notre univers.

M. Massimi interroge : « Est-ce que cela signifie pour autant que nous ne pouvons pas atteindre la vraie connaissance de la nature ? » Je considère que cette question est superflue car la vraie connaissance de la nature nous ne pouvons pas la connaître a priori, c’est ce que nous cherchons à connaître et c’est la source inépuisable de notre dynamique intellectuelle. L’auteure se contredit car dans l’interview au tout début elle dit : « … elles devraient être alliées pour défendre l’intérêt intellectuel et social de l’exploration sans fin du monde physique. » Selon moi, c’est effectivement sans fin, une connaissance finale n’est pas à prévoir, et elle n’est pas envisageable car cela mènerait à l’immobilité intellectuelle et à la fin de ce que nous sommes. Le problème de la vraie connaissance de la nature, de la réalité de la nature, est un faux problème et collimater notre pensée avec la perspective qu’il y aurait une vraie connaissance absolue, qu’il y aurait in fine une réalité finale, c’est procéder à une réduction rédhibitoire de notre faculté de penser. Bref je considère que la problématique d’une réalité effective constitue un faux ami et parasite la pensée en physique. Ce n’est pas par hasard si mon leitmotiv est résumé ainsi : Au sein d’une éternité, parmi tous les possibles, Anthrôpos ne cesse de creuser sa connaissance sans fin de l’univers…

Enfin pour terminer l’article je cite, sans avoir besoin de commenter, puisque si appropriée, la réponse à la question suivante : « Quel a été le point de départ de votre réflexion ? » :

« Tout a commencé un jour en 1996 alors que je parcourais de vieux numéros poussiéreux de Physical Review dans le sous-sol de la bibliothèque de physique de l’université de Rome. Tout à coup, je suis tombée sur le célèbre article d’Einstein-Podolsky-Rosen (EPR) de 1935 (« La description que donne la mécanique quantique de la réalité physique peut-elle être considérée comme complète ? » ; le premier article à avoir abordé le phénomène aujourd’hui appelé intrication quantique). J’ai été frappée par la notion de « critère de réalité physique » qui figurait sur la première page. Il était expliqué que si, sans perturber d’aucune façon un système, on peut prédire avec certitude la valeur d’une grandeur physique, alors cette grandeur correspond à une réalité physique. Je me suis alors demandé pourquoi un article de physique commençait par une prise de position en apparence très philosophique sur la « réalité physique ». Quoi qu’il en soit, me suis-je dit, que peut bien représenter un « critère » de la réalité physique ? Celui proposé est-il pertinent ? Je me souviens avoir lu la réponse de Niels Bohr à cet article, qui a résonné dans mon esprit avec des affirmations plus modestes et plus concrètes sur la façon dont nous en sommes venus à appréhender ce que nous savons sur la réalité du monde. J’ai compris que j’avais trouvé là un véritable trésor philosophique, qui n’attendait que d’être exploré. »

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